38835.fb2 Le d?ner des ex - читать онлайн бесплатно полную версию книги . Страница 20

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Plus j'avance dans la vie, plus les instants qui suivent l'apothéose d'un concert me sont pénibles. Un alanguissement m'envahit, comme celui qui vient parfois après l'amour. Je rêve souvent de filer à l'anglaise dès la fin des rappels. Cela t'arrivait-il ?

Après le concert clôturé par le Magnificat je restai en coulisse avec musiciens, solistes et les fidèles qui viennent me retrouver pour m'offrir des fleurs, sachant qu'aucun d'entre eux n'aurait compris mon absence. Maintenant que j'avais mené à terme ce projet, une seule chose m'importait : prendre du repos avant le prochain concert, et consacrer ces quelques jours de détente à Martin.

Le dernier instrumentiste s'en alla enfin ; je signai un ultime autographe, embrassai un ami, et me sauvai. De retour chez moi, cette solitude m'a semblé si pesante que j'ai voulu l'évincer en t'écrivant à nouveau. Je pensais aux chanteurs et musiciens que j'avais fait travailler ces derniers jours ; après le concert, tous avaient dû rentrer chez eux, partager leurs impressions avec la personne proche de leur cœur.

À défaut d'homme dans ma vie, voudrais-tu bien continuer à être mon confident privilégié ? J'ai l'impression, en prolongeant cette longue lettre, d'alléger mes tourments, d'estomper mon isolement, comme si je redevenais une adolescente se confiant à un journal intime.

M'as-tu fait l'honneur de suivre mon Magnificat. Il m'a semblé, à un moment, flairer ta présence. Quel extraordinaire bonheur, ce chœur ! Étincelant pour Omnes generaciones, éclatant pour Fecit potentiam, exactement ce que je désirais.

En revanche, je suis moins contente de l'emphase de certains solistes – ne citons pas de noms ; ton oreille infaillible a dû les discerner –, et d'un manque de clarté à la quatrième mesure du Gloria. Ce fut, malgré tout, une belle aventure, un bon travail d'équipe.

Je dois t'avouer que je suis rarement satisfaite d'une représentation. Un détail, même infime, voilera mon bien-être. Cette soif d'une perfection toujours déçue s'applique également – hélas ! – à ma vie sentimentale. Si chaque homme aimé fut « une belle histoire », le bonheur absolu s'entête à me fuir. J'en ai donc tiré une judicieuse conclusion : si le concert parfait n'existe pas, l'homme parfait non plus. (Ni la femme parfaite, dis-tu ? Tu n'as pas tort…)

J'aurais aimé tomber amoureuse d'un pot-pourri de vous trois ; un homme fatal qui posséderait ton génie musical, l'esprit étincelant de Pierre, l'élégance et la sensualité de Manuel. Existe-t-il ? Non, bien sûr. Il n'est que chimère. J'ai passé l'âge des illusions.

À qui ressemblera mon prochain amant ? Peut-être ne sera-t-il qu'un de ceux qu'on étreint un soir d'isolement pour regretter le lendemain. Tu es bien la preuve que l'on peut chavirer d'amour, passé la première jeunesse. Mais la lucidité dont je te parlais semble avoir occulté chez moi tout élan. Oserai-je te confier, à la veille de mes quarante ans, qu'après trois passions, une série d'aventures, un enfant, un mariage et un divorce, j'ai l'impression d'être blasée ?

Je sens que tu n'apprécies point la teneur de mon discours et que tu menaces de t'en aller. Alors, pour te retenir, pour t'amadouer, voici dans sa version intégrale, l'histoire de Manuel. Il s'agit d'une histoire libertine, mais avant de céder à quelque commentaire grivois, rappelle-toi que j'y ai laissé des plumes.