38835.fb2 Le d?ner des ex - читать онлайн бесплатно полную версию книги . Страница 51

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Pierre, en apprenant ma grossesse, voulut m'épouser sur-le-champ. Cet engouement inattendu, qui détonnait avec son tempérament réservé, me séduisit. Avais-je fait exprès de tomber enceinte ? À vrai dire, non. Mais parfois la nature fait bien les choses… Cela faisait à peine quelques mois que nous nous connaissions, et Pierre se déplaçant autant que moi, la conception de ce bébé relevait du miracle.

Notre mariage fut rapidement annoncé, préparé, organisé. Je l'aurais préféré intime, Pierre l'a souhaité grandiose. J'aurais aimé me passer de cérémonie religieuse pour me contenter de noces civiles, il en fut autrement. Je garde un seul bon souvenir de cette journée éprouvante : notre départ en hélicoptère après le dîner, sortie flamboyante et romanesque, comme dans la fin du film Peau-d'Ane.

Je te parlerai peu de mon ex-belle-famille, assemblée pétrifiée de parvenus moroses, et moins encore de ma belle-mère, rombière aux inflexions acides qui n'a jamais consenti à ce que son fils cadet succombât à une musicienne gravide de trente-cinq ans, alors qu'il eût pu – selon elle – épouser l'héritière pucelle d'un vicomte.

Je ne me sentais pas enceinte ; mon corps restait le même. En apprenant que l'on porte un enfant, on imagine que cela se voit d'emblée ; mais j'eus beau poser la main sur mon ventre, je ne captais pas le moindre frétillement. Je ne pouvais imaginer que sous mes doigts pût se trouver une autre vie, une existence qui en était encore à l'embryogenèse ; un nouvel être unique, mâle ou femelle, possédant déjà un patrimoine génétique : quarante-six chromosomes inédits déterminant la couleur de ses yeux, de ses cheveux, sa taille, sa morphologie et les traits de son caractère. Plus tard, l'échographie nous révéla que j'attendais un garçon.

Alors commença une de nos premières batailles : la bataille pour le prénom de notre fils. Belle-mère, ivre de joie à l'idée que j'allais produire le premier héritier mâle de la famille (après les quatre filles du frère aîné de Pierre), se montra si chaleureuse à mon égard que je me suis souvent demandé comment elle eût réagi à l'annonce d'une fille.

Elle insistait pour que nous appelions l'enfant Gilles, prénom de son mari ; Pierre se gargarisait du charme pompeux de César, Sixte ou Auguste, tandis que sa sœur suggérait d'autres prénoms familiaux : Bertrand, Bernard, Philippe, Thierry. Aucun de ces derniers ne me plaisaient, mais personne ne s'enquérait de mon avis. Je n'étais qu'une matrice priée de se taire.

Je rêvais de donner à mon fils le prénom d'un des compositeurs de génie dont j'interprétais la musique : Franz, Richard, Antonio, Ludwig, Wolfgang, Joseph, Domenico, Johannes, Sébastian, Hector, Frédéric, Léo, Gabriel, Félix, Jean-Baptiste, Gustave…

Mais Pierre ne voulait pas en entendre parler. Il trouvait que la musique empiétait suffisamment sur notre mariage, et qu'il fallait que l'enfant portât un nom neutre. Ainsi, après d'interminables discussions, plusieurs querelles et beaucoup de concessions de ma part, nous décidâmes que le bébé se prénommerait Martin.