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Toi qui divorças trois fois, tu dois en savoir plus long que moi sur ce qui fait sombrer un mariage. On dit parfois que la naissance d'un bébé cimente un couple, mais le mien se gâta dès l'arrivée de Martin, et il n'y a pas une, mais plusieurs raisons à ce naufrage.
La première fut sans aucun doute l'incompatibilité profonde de nos deux personnalités. Le caractère difficile de mon mari, ses colères, sa froideur, heurtaient ma sérénité coutumière. Acceptant mal l'emprise de mon métier sur notre vie de couple, Pierre aurait voulu que j'abandonne ma carrière afin d'élever notre enfant. Je n'ai pas sacrifié Martin au profit de ma musique, comme l'insinue parfois son père. Il est, comme la musique, ma raison d'être. Voilà ce que Pierre n'a ni compris, ni accepté.
Depuis que le bébé était là, je ne parvenais pas à travailler dans notre appartement. Je dénichai alors un studio rue de V. afin de pouvoir m'enfermer à ma guise, et une nourrice venait garder Martin chez nous. Pierre ne me le pardonna pas, et sa rancœur s'accentua. Il semblait prendre plaisir à me faire des réprimandes injustes qui m'arrachaient malgré moi des sanglots ; puis, avec un sourire cruel à la vue de mes larmes, il se retranchait dans un silence qui m'exaspérait.
J'étais peu patiente. Je n'avais jamais vécu avec un homme ainsi, au jour le jour. Pierre manquait à mes yeux de charme, d'imprévu, de gaieté. De surcroît, je découvrais la maternité et le mariage, tout en dirigeant mon orchestre de chambre de L., trois activités intenses que je cumulais avec contrariété.
Partager l'intimité d'une musicienne ne doit pas être chose facile. Il est vrai que tout mari peut mal supporter ces absences répétées, ce métier particulier et si prenant, ce besoin de s'isoler pour travailler. Pierre a dû souffrir de tout cela.
Flaires-tu la deuxième raison de notre mésentente ? J'ai toujours eu le goût des hommes. J'aime leur compagnie, leurs sourires, leurs secrets, leur séduction. J'aime sentir un homme près de moi. J'aime l'expression dans les yeux d'un homme lorsque l'envie de moi le prend. Mais mon homme, à force de me battre froid, devenait ennuyeux.
Après l'accouchement, il me semblait que nous faisions de moins en moins l'amour. Pierre n'avait jamais été passionné au lit ; il était d'une nature plutôt tendre et calme, préférant les cajoleries agréables à des étreintes plus fougueuses. Au début de notre mariage, je m'étais accommodée de ce tempérament réservé, mais à la longue, je réalisai que la fréquence de nos rapports diminuait et que j'en ressentais une certaine frustration.
L'arrivée d'un bébé pouvait bouleverser la vie sexuelle d'un couple ; en revanche, j'avais entendu dire que c'était la libido des femmes qui s'étiolait après une naissance. Ce fut plutôt celle de Pierre qui se mit en berne, alors que la mienne avait le vent en poupe. Une fois au lit, mon mari me tournait le dos et s'endormait sur-le-champ ; et lorsque je tentais de réveiller d'anciennes ardeurs, il invoquait des soucis professionnels ou se laissait faire sans conviction.
Je t'ai parlé, plus haut, de ma « logique de fidélité », et comment j'avais tenté de m'y tenir, sans grande conviction. J'avais réussi à évincer Manuel tant bien que mal, mais Brice fut le premier à me faire faillir. Après lui, le désir d'autres hommes me prit.