38852.fb2
– 50 –
Parce que je suis la première et la dernière. Je suis l'honorée et l'abhorrée. Je suis la prostituée et la sainte.
Fragment de Nag HAMMADI 6, 2.
Lorenza Pellegrini entra. Belbo regarda le plafond et demanda un dernier martini. Il y avait de la tension dans l'air et je fis le geste de me lever. Lorenza me retint. « Non, venez tous avec moi, ce soir, au vernissage de la nouvelle exposition de Riccardo, il inaugure un nouveau style ! Il est génial, tu le connais toi, Jacopo. »
Je savais qui était Riccardo, il rôdait toujours chez Pilade, mais alors je ne compris pas pourquoi Belbo se concentra avec plus d'application encore sur le plafond. Après avoir lu les files, je sais que Riccardo était l'homme à la cicatrice, avec qui Belbo n'avait pas eu le courage d'en venir aux mains.
Lorenza insistait, la galerie n'était pas loin de chez Pilade, ils avaient organisé une véritable fête, mieux une orgie. Diotallevi en fut bouleversé et il dit aussitôt qu'il devait rentrer, moi je balançais, mais il était évident que Lorenza me voulait aussi, et cela aussi faisait souffrir Belbo, qui voyait s'éloigner le moment du dialogue entre quatre yeux. Mais je ne pus me soustraire à l'invitation et nous nous mîmes en route.
Pour ma part, je n'aimais pas beaucoup ce Riccardo. Au début des années soixante, il produisait des tableaux très ennuyeux, textures très fines de noirs et de gris, très géométriques, un peu optical, qui faisaient danser les yeux. Ils étaient intitulés Composition 15, Parallaxe 17, Euclide X. A peine 68 commencé, il exposait dans les maisons squattées, il venait de changer de palette, maintenant ce n'étaient que contrastes violents de noirs et blancs, la maille était plus large, et les titres étaient du genre Ce n'est qu'un début, Molotov, Cent fleurs. A mon retour à Milan, je l'avais vu exposer dans un cercle où on adorait le docteur Wagner, il avait éliminé les noirs, il travaillait sur des structures blanches, où les contrastes n'étaient donnés que par les reliefs du tracé sur un papier Fabriano poreux, de façon que les tableaux, expliquait-il, révèlent des profils différents selon l'incidence de la lumière. Ils avaient pour titres Eloge de l'ambiguïté, A/ Travers, Ça, Bergsgasse et Dénégation 15.
Ce soir-là, à peine nous fûmes entrés dans la nouvelle galerie, je compris que la poétique de Riccardo avait subi une profonde évolution. L'exposition s'intitulait Megale Apophasis. Riccardo était passé au figuratif, avec une palette éclatante. Il jouait des citations, et, puisque je ne crois pas qu'il sût dessiner, j'imagine qu'il travaillait en projetant sur sa toile la diapositive d'un tableau célèbre – ses choix oscillaient entre les pompiers fin de siècle et les symbolistes du tout début XXe. Sur le tracé original, il travaillait avec une technique pointillée, à travers des gradations infinitésimales de couleur, parcourant point à point tout le spectre, de façon à commencer toujours à partir d'un noyau très lumineux et flamboyant et à finir sur le noir absolu – ou vice versa, selon le concept mystique ou cosmologique qu'il voulait exprimer. Il y avait des montagnes d'où émanaient des rayons de lumière, décomposés en un poudroiement de sphères aux couleurs ténues ; on entrevoyait des ciels concentriques avec des ombres d'anges aux ailes transparentes, quelque chose de semblable au Paradis de Gustave Doré. Les titres étaient Beatrix, Mystica Rosa, Dante Gabriele 33, Fidèles d'Amour, Athanor, Homunculus 666 – voilà d'où vient la passion de Lorenza pour les homoncules, me dis-je. Le tableau le plus grand s'intitulait Sophia, et il représentait une coulée d'anges noirs qui s'estompaient à la base, engendrant une créature blanche caressée par de grandes mains livides, calquées sur celle qu'on voit dressée contre le ciel dans Guernica. La combinaison était douteuse, et, de près, l'exécution apparaissait grossière ; mais, à deux ou trois mètres de distance, l'effet était très lyrique.
« Je suis un réaliste vieux jeu, me murmura Belbo, je ne comprends que Mondrian. Qu'est-ce que représente un tableau non géométrique ?
– Lui, avant, il était géométrique, dis-je.
– Ça n'était pas de la géométrie. C'était du carrelage pour salle de bains. »
Pendant ce temps Lorenza avait couru embrasser Riccardo, lui et Belbo avaient échangé un signe de salut. Il y avait foule, la galerie se présentait comme un loft de New York, tout blanc, et avec les tuyaux du chauffage, ou les conduites d'eau, à nu au plafond. Qui sait combien ils avaient dépensé pour l'antidater comme cela. Dans un coin, un système d'amplification étourdissait l'assistance avec des musiques orientales, des trucs avec un sitar, si mon souvenir est bon, de ceux dont on ne reconnaît pas la mélodie. Tout le monde passait, distrait, devant les tableaux, pour s'entasser aux tables du fond et attraper des verres en papier. La soirée était maintenant bien avancée, l'atmosphère s'appesantissait de fumée, quelques filles, de temps en temps, ébauchaient des mouvements de danse au centre de la salle, mais les gens étaient encore occupés à converser et à consommer le buffet, au vrai fort riche. Je m'assis sur un divan au pied duquel se trouvait une longue et large coupe de verre, encore à moitié pleine de macédoine. Je m'apprêtais à en prendre un peu, car je n'avais pas dîné, mais j'eus l'impression d'y apercevoir comme l'empreinte d'un pied, qui avait pressé au centre les petits cubes de fruits, les réduisant à un pavé homogène. Ce n'était pas impossible parce que le sol était à présent mouillé de flaques de vin blanc, et certains invités bougeaient déjà péniblement.
Belbo avait capturé un verre et se déplaçait avec indolence, sans but apparent, donnant de temps à autre une tape sur l'épaule de quelqu'un. Il essayait de retrouver Lorenza.
Mais rares étaient ceux qui restaient immobiles. La foule était prise dans une sorte de mouvement circulaire, comme un essaim d'abeilles à la recherche d'une fleur encore inconnue. Moi je ne cherchais rien, et pourtant je m'étais levé et je me déplaçais en suivant les impulsions que me communiquait le groupe. Je voyais à quelques pas de moi Lorenza qui errait en mimant des retrouvailles passionnelles avec l'un ou avec l'autre, la tête haute, le regard intentionnellement myope, les épaules et le sein figés et droits, une allure distraite de girafe.
A un moment donné, le flux naturel m'immobilisa dans un coin derrière une table, avec Lorenza et Belbo qui s'étaient enfin croisés, et me tournaient le dos, bloqués ensemble, peut-être par hasard. Je ne sais pas s'ils s'étaient aperçus de ma présence, mais, dans ce vacarme de fond, personne désormais n'entendait ce que disaient les autres. Ils se crurent ainsi isolés, et je fus obligé d'écouter leur conversation.
« Alors, disait Belbo, où l'as-tu connu, ton Agliè ?
– Mon ? C'est aussi le tien, d'après ce que j'ai vu aujourd'hui. Toi tu peux connaître Simon, et moi pas. Bravo.
– Pourquoi tu l'appelles Simon ? Pourquoi il t'appelle Sophia ?
– Mais c'est un jeu ! Je l'ai connu chez des amis, d'accord ? Et je le trouve fascinant. Il me baise la main comme si j'étais une princesse. Et il pourrait être mon père.
– Gaffe-toi, il pourrait devenir le père de ton fils. »
J'avais l'impression que c'était moi qui parlais, à Bahia, avec Amparo. Lorenza avait raison. Agliè savait comment on baise la main d'une jeune femme qui ignore ce rite.
« Pourquoi Simon et Sophia ? insistait Belbo. Il s'appelle Simon, lui ?
– C'est une histoire merveilleuse. Tu le savais, toi, que notre univers est le fruit d'une erreur et que c'est un peu de ma faute ? Sophia était la partie féminine de Dieu, parce qu'alors Dieu était davantage femelle que mâle, c'est vous, après, qui lui avez mis une barbe et l'avez appelé Lui. Moi j'étais sa bonne moitié. Simon dit que j'ai voulu engendrer le monde sans demander la permission, moi la Sophia, qui s'appelle aussi, attends, voilà, l'Ennoïa. Je crois que ma partie masculine ne voulait pas créer – peut-être n'en avait-elle pas le courage, peut-être était-elle impuissante – et moi, au lieu de m'unir avec lui, j'ai voulu faire le monde toute seule, je ne résistais pas, je crois que c'était par excès d'amour, c'est vrai, j'adore tout cet univers bordélique. C'est pour ça que je suis l'âme de ce monde. C'est Simon qui le dit.
– Comme il est gentil. Il dit ça à toutes ?
– Non, idiot, à moi seulement. Parce qu'il m'a comprise mieux que toi, il ne cherche pas à me réduire à son image. Il comprend qu'il faut me laisser vivre la vie à ma façon. Et c'est ce qu'a fait Sophia, elle s'est mise bille en tête à faire le monde. Elle s'est heurtée à la matière primordiale, qui était dégueulasse, je crois qu'elle n'utilisait pas de déodorants, et elle ne l'a pas fait exprès mais il paraît que c'est elle qui a fait le Dému... comment on dit ?
– Ce ne serait pas le Démiurge ?
– Voilà, lui. Je ne me souviens pas si ce Démiurge, c'est Sophia qui l'a fait ou bien s'il existait déjà et c'est elle qui l'a poussé, allez gros bêta, fais le monde, qu'on va s'en payer une tranche après. Le Démiurge devait être un bordélique et il ne savait pas faire le monde comme il faut, il n'aurait même jamais dû le faire, parce que la matière est mauvaise et qu'il n'était pas autorisé à y mettre la patte. Bref, il a combiné ce qu'il a combiné et Sophia est restée dedans. Prisonnière du monde. »
Lorenza parlait et buvait beaucoup. Toutes les deux minutes, tandis qu'un grand nombre de gens, les yeux fermés, s'étaient mis à osciller doucement au milieu de la salle, Riccardo passait devant elle et lui versait quelque chose dans son verre. Belbo tentait de l'interrompre, en disant que Lorenza avait déjà trop bu, mais Riccardo riait en secouant la tête, et elle se rebellait, en disant qu'elle tenait l'alcool mieux que Jacopo parce qu'elle était plus jeune, elle.
« Okay, okay, disait Belbo. N'écoute pas le pépé. Écoute Simon. Qu'est-ce qu'il t'a dit encore ?
– Tout ça, que je suis prisonnière du monde, plus précisément des anges mauvais... parce que, dans cette histoire, les anges sont mauvais et ils ont aidé le Démiurge à faire tout le bordel... les anges mauvais, je disais, me gardent parmi eux, ils ne veulent pas me laisser échapper, et ils me font souffrir. Mais de temps à autre, parmi les hommes, quelqu'un me reconnaît. Comme Simon. Il dit que ça lui était déjà arrivé une autre fois, il y a mille ans – parce que je ne te l'ai pas dit, mais Simon est pratiquement immortel, si tu savais tout ce qu'il a vu...
– Bien sûr, bien sûr. Mais à présent il ne faut plus boire.
– Chuuut... Une fois Simon m'a trouvée et j'étais prostituée dans un boxon de Tyr, et je m'appelais Hélène...
– C'est ce qu'il te raconte, ce monsieur? Et toi tu es toute contente. Vous permettez que je vous baise la main, jolie petite putain de mon univers de merde... Quel gentilhomme.
– Si jolie petite putain il y a, c'était cette Hélène. Et puis quand on disait prostituée en ces temps-là, on voulait dire une femme libre, sans liens, une intellectuelle, une qui ne voulait pas être femme au foyer, tu le sais toi aussi qu'une prostituée était une courtisane, une qui tenait salon, aujourd'hui ce serait une femme qui s'occupe de relations publiques, tu appelles putain une femme qui s'occupe de relations publiques, comme si c'était une grosse pute, de celles qui allument des feux au bord des routes pour les camionneurs ? »
A cet instant-là Riccardo passa de nouveau à côté d'elle et la prit par un bras. « Viens danser », dit-il.
Ils étaient au milieu de la salle, ébauchant de légers mouvements un peu absents, comme s'ils battaient un tambour. Mais par moments Riccardo la tirait à lui, et lui posait, possessif, une main sur la nuque, et elle le suivait, les yeux fermés, le visage enflammé, la tête rejetée en arrière, avec ses cheveux qui tombaient plus bas que ses épaules, à la verticale. Belbo allumait une cigarette après l'autre.
Peu après, Lorenza saisit Riccardo à la taille et elle le fit bouger lentement, jusqu'à ce qu'ils fussent à un pas de Belbo. En continuant à danser, Lorenza lui enleva son verre des mains. Elle tenait Riccardo de la main gauche, le verre de la droite, dirigeait un regard un peu humide vers Jacopo, et on eût dit qu'elle pleurait, mais elle souriait... Et elle lui parlait.
« Et ne va pas croire que ç'a été l'unique fois, tu sais ?
– L'unique quoi ? demanda Belbo.
– Qu'il a rencontré Sophia. Bien des siècles plus tard, Simon a été aussi Guillaume Postel.
– C'était un type qui portait les lettres.
– Idiot. C'était un savant de la Renaissance, qui lisait le juif.
– L'hébreu.
– Et qu'est-ce que ça change ? Il le lisait comme les gamins lisent Mickey. A première vue. Eh bien, dans un hôpital de Venise il rencontre une servante vieille et analphabète, sa Joanne, il la regarde et dit, voilà, j'ai compris, elle est la nouvelle incarnation de la Sophia, de l'Ennoïa, elle est la Grande Mère du Monde descendue parmi nous pour racheter le monde entier qui a une âme féminine. C'est ainsi que Postel emmène Joanne avec lui, et tous le traitent de fou, mais lui rien, il l'adore, il veut la libérer de la prison des anges, et quand elle meurt lui il reste à fixer le soleil pendant une heure et des jours et des jours sans boire et sans manger, habité par Joanne qui n'est plus mais c'est comme si elle était présente, parce qu'elle est toujours ici, qu'elle habite le monde, et que de temps en temps elle affleure, comment dire, elle s'incarne... N'est-ce pas une histoire à faire pleurer ?
– Je fonds en larmes. Et toi, tu aimes tant que ça être Sophia ?
– Mais je le suis pour toi aussi, mon amour. Tu sais qu'avant de me connaître tu avais des cravates horribles et des pellicules sur les épaules ? »
Riccardo lui avait repris la nuque. « Je peux participer à la conversation ? avait-il dit.
– Toi, tais-toi et danse. Tu es l'instrument de ma luxure.
– Ça me va. »
Belbo poursuivait comme si l'autre n'existait pas : « Alors tu es sa prostituée, sa féministe qui s'occupe des RP, et lui c'est ton Simon.
– Moi je ne m'appelle pas Simon, dit Riccardo, la langue déjà pâteuse.
– On ne parle pas de toi », dit Belbo. Depuis quelques instants, j'étais mal à l'aise pour lui. Lui, d'habitude si jaloux de ses propres sentiments, était en train de mettre en scène sa querelle amoureuse devant un témoin, pis, un rival. Mais avec cette dernière réplique, je me rendis compte que, se mettant à nu devant l'autre – au moment où le véritable adversaire était un autre encore –, il réaffirmait, de la seule manière qui lui était permise, sa possession de Lorenza.
Pendant ce temps, Lorenza répondait, après avoir quémandé un autre verre à quelqu'un : « Mais par jeu. Mais c'est toi que j'aime.
– Encore heureux que tu ne me haïsses pas. Ecoute, je voudrais rentrer à la maison, j'ai une crise de gastrite. Moi je suis encore prisonnier de la basse matière. A ma pomme Simon n'a rien promis. On s'en va ensemble ?
– Mais restons encore un peu. C'est si bon. Tu ne t'amuses pas ? Et puis je n'ai pas encore regardé les tableaux. Tu as vu que Riccardo en a fait un sur moi ?
– Que de choses j'aimerais faire sur toi, dit Riccardo.
– Tu es vulgaire. Écarte-toi. Je suis en train de parler avec Jacopo. Jacopo, bon Dieu, il n'y a que toi qui peux faire des jeux intellectuels avec tes amis, moi pas ? Qui est-ce qui me traite comme une prostituée de Tyr ? Toi.
– Je l'aurais parié. Moi. C'est moi qui te pousse dans les bras des vieux messieurs.
– Lui, il n'a jamais tenté de me prendre entre ses bras. Ce n'est pas un satyre. Ça t'embête qu'il n'ait pas envie de coucher avec moi mais me considère comme un partner intellectuel.
– Allumeuse.
– C'est vraiment pas ce que tu aurais dû dire. Riccardo, emmène-moi chercher quelque chose à boire.
– Non, attends, dit Belbo. A présent, tu vas me dire si tu le prends au sérieux, je veux comprendre si tu es folle ou pas. Et arrête de boire. Dis-moi si tu le prends au sérieux, nom de Dieu !
– Mais mon amour, c'est notre jeu, entre lui et moi. Et puis le plus beau de l'histoire c'est que quand Sophia comprend qui elle est, et se libère de la tyrannie des anges, elle peut évoluer, libre du péché...
– Tu as cessé de pécher ?
– Je t'en prie, reviens-y, dit Riccardo en la baisant pudiquement au front.
– Au contraire, répondit-elle à Belbo, sans regarder le peintre, toutes ces choses-là ne sont plus péché, on peut faire tout ce qu'on veut pour se libérer de la chair, on est au-delà du bien et du mal. »
Elle donna une poussée à Riccardo et l'éloigna d'elle. Elle proclama à haute voix : « Je suis la Sophia et pour me libérer des anges je dois perpétrer... perpétrer... per-pé-trer tous les péchés, même les plus délicieux ! »
Elle alla, en titubant légèrement, dans un coin où était assise une fille habillée de noir, les yeux bistrés, le teint pâle. Elle l'attira au centre de la salle et commença d'ondoyer avec elle. Elles étaient presque ventre contre ventre, les bras ballants le long des flancs. « Je peux aimer même toi », dit-elle. Et elle l'embrassa sur la bouche.
Les autres s'étaient avancés autour, en demi-cercle, un peu excités, et quelqu'un cria quelque chose. Belbo s'était assis, avec une expression impénétrable, et il regardait la scène comme un impresario assiste à un bout d'essai. Il était en transpiration et il avait un tic à l'œil gauche, que je ne lui avais jamais remarqué. Soudain, alors que Lorenza dansait depuis au moins cinq minutes, faisant, par ses mouvements, de plus en plus mine de s'offrir, il eut un sursaut : « Maintenant, viens ici. »
Lorenza s'arrêta, écarta les jambes, tendit les bras en avant et s'écria : « Je suis la prostituée et la sainte !
– Tu es la conne », dit Belbo en se levant. Il alla droit sur elle, la saisit avec violence par un poignet, et l'entraîna vers la porte.
« Arrête, cria-t-elle, tu n'as pas le droit... » Puis elle éclata en larmes et lui jeta les bras au cou. « Mon amour, mais moi je suis ta Sophia à toi, tu ne t'es pas mis en colère pour ça au moins... »
Belbo lui passa tendrement un bras autour des épaules, l'embrassa sur une tempe, lui arrangea les cheveux, après quoi il dit en direction de la salle : « Excusez-la, elle n'est pas habituée à boire autant. »
J'entendis quelques petits rires parmi l'assistance. Je crois que Belbo aussi les avait entendus. Sur le seuil il m'aperçut, et il fit quelque chose dont je n'ai jamais su si c'était pour moi, pour les autres, pour lui. Il le fit en sourdine, à mi-voix, quand désormais les autres ne s'intéressaient plus à eux.
En tenant toujours Lorenza par les épaules, il se retourna de trois quarts vers la salle et dit lentement, du ton de qui dit une évidence : « Cocorico. »