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Dans certaines régions de l'Himalaya, parmi vingt-deux temples représentant les vingt-deux Arcanes d'Hermès et les vingt-deux lettres de certains alphabets sacrés, l'Agarttha forme le Zéro mystique, l'introuvable... Un échiquier colossal s'étendant sous terre à travers presque toutes les régions du Globe.

Saint-Yves D'ALVEYDRE, Mission de l'Inde en Europe, Paris, Calmann-Lévy, 1886, pp. 54 et 65.

A mon retour, j'en parlai à Belbo et à Diotallevi et nous fîmes différentes hypothèses. Salon, excentrique et cancanier, qui, en quelque sorte, se régalait de mystères, avait connu Ardenti, et tout s'arrêtait là. Ou bien : Salon savait quelque chose sur la disparition d'Ardenti et travaillait pour ceux qui l'avaient fait disparaître. Autre hypothèse : Salon était un indic...

Puis nous vîmes d'autres diaboliques, et Salon se confondit avec ses semblables.

Quelques jours plus tard, nous eûmes Agliè au bureau, pour son rapport sur quelques manuscrits que Belbo lui avait envoyés. Il les jugeait avec précision, sévérité, indulgence. Agliè était madré, il ne lui avait pas fallu longtemps pour comprendre le double jeu Garamond-Manuzio, et nous ne lui avions plus caché la vérité. Il paraissait comprendre et justifier. Il démolissait un texte en deux ou trois observations incisives, et puis il notait avec un cynisme poli que, pour Manuzio, ledit texte pouvait fort bien aller.

Je lui demandai ce qu'il pouvait me dire d'Agarttha et de Saint-Yves d'Alveydre.

« Saint-Yves d'Alveydre... dit-il. Un homme bizarre, sans nul doute, dès sa jeunesse il fréquentait les fidèles de Fabre d'Olivet. Ce n'était qu'un employé du ministère de l'Intérieur, mais d'une ambition... Nous ne portâmes certes pas un bon jugement sur lui lorsqu'il épousa Marie-Victoire... »

Agliè n'avait pas résisté. Il était passé à la première personne. Il évoquait des souvenirs. « Qui était Marie-Victoire ? J'adore les ragots, dit Belbo.

– Marie-Victoire de Risnitch, d'une grande beauté lorsqu'elle était l'intime de l'impératrice Eugénie. Mais quand elle rencontra Saint-Yves, elle avait la cinquantaine passée. Et lui, la trentaine. Mésalliance pour elle, cela va sans dire. Non seulement, mais pour lui donner un titre elle avait acheté je ne me rappelle plus quelle terre ayant appartenu à certains marquis d'Alveydre. Et ainsi notre désinvolte personnage put se parer de ce titre, et à Paris on chantait des couplets sur le " gigolo ". Pouvant vivre de rentes, il s'était consacré à son rêve. Il s'était mis en tête de trouver une formule politique capable de conduire à une société plus harmonieuse. Synarchie comme le contraire d'anarchie. Une société européenne, gouvernée par trois conseils qui représenteraient le pouvoir économique, les magistrats et le pouvoir spirituel, en somme les Eglises et les hommes de science. Une oligarchie éclairée qui éliminerait la lutte des classes. On en a entendu de pires.

– Mais Agarttha ?

– Il disait qu'il avait reçu, un jour, la visite d'un mystérieux Afghan, un certain Hadji Scharipf, qui ne pouvait être afghan car son nom est carrément albanais... Et que ce dernier lui avait révélé le secret de la résidence du Roi du Monde – même si Saint-Yves n'a jamais utilisé cette expression, ce sont les autres, par la suite –, Agarttha, l'Introuvable.

– Mais où dit-on ces choses-là ?

– Dans Mission de l'Inde en Europe. Un ouvrage qui a beaucoup influencé la pensée politique contemporaine. Il existe à Agarttha des villes souterraines, sous elles et en allant vers le centre il y a cinq mille pundits qui la gouvernent – évidemment le chiffre de cinq mille rappelle les racines hermétiques de la langue védique, je ne vous l'apprends pas. Et chaque racine est un hiérogramme magique, lié à une puissance céleste et avec la sanction d'une puissance infernale. La coupole centrale d'Agarttha reçoit par en haut l'éclairage de sortes de miroirs qui ne laissent arriver la lumière qu'à travers la gamme enharmonique des couleurs, dont le spectre solaire de nos traités de physique ne constitue que le système diatonique. Les sages d'Agarttha étudient toutes les langues sacrées pour arriver à la langue universelle, le Vattan. Quand ils abordent des mystères trop profonds, ils s'élèvent de terre en forte lévitation et ils iraient se fracasser le crâne contre la voûte de la coupole si leurs confrères ne les retenaient pas. Ils préparent les foudres, orientent les courants cycliques des fluides interpolaires et intertropicaux, les dérivations interférentielles dans les différentes zones de latitude et de longitude de la terre. Ils sélectionnent les espèces, et ils ont créé des animaux petits mais aux vertus psychiques extraordinaires, avec un dos de tortue, une croix jaune sur le dos et un œil et une bouche aux deux extrémités. Des animaux polypodes qui peuvent se déplacer dans toutes les directions. C'est à Agarttha que se sont probablement réfugiés les Templiers après leur dispersion, et c'est là qu'ils exercent leurs tâches de surveillance. Quoi d'autre encore ?

– Mais... il parlait sérieusement? demandai-je.

– Je crois que lui prenait l'histoire à la lettre. D'abord nous le considérâmes comme un exalté, ensuite nous nous rendîmes compte qu'il faisait allusion, peut-être sur le mode visionnaire, à une direction occulte de l'histoire. Ne dit-on pas que l'histoire est une énigme sanglante et insensée ? Ce n'est pas possible, il doit y avoir un dessein. Il faut qu'il y ait un Cerveau. C'est pour cela que des hommes, et pas des plus benêts, ont pensé, au cours des siècles, aux Seigneurs ou au Roi du Monde, peut-être pas une personne physique : un rôle, un rôle collectif, l'incarnation tour à tour provisoire d'une Intention Stable. Quelque chose avec quoi étaient certainement en contact les grands ordres sacerdotaux et chevaleresques disparus.

– Vous y croyez, vous ? demanda Belbo.

– Des personnes plus équilibrées que lui cherchent les Supérieurs Inconnus.

– Et les trouvent ? »

Agliè rit presque à part soi, avec bonhomie. « Quelle espèce de Supérieurs Inconnus seraient-ils, s'ils se laissaient découvrir par le premier venu? Messieurs, au travail. J'ai encore un manuscrit, et, coïncidence, c'est précisément un traité sur les sociétés secrètes.

« Une bonne chose ? demanda Belbo

– Je vous le laisse à imaginer. Mais pour les éditions Manuzio, cela pourrait aller. »