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Bien que la volonté soit bonne, son esprit, toutefois, et ses prophéties paraissent être d'évidentes illusions du démon... Elles sont en mesure de tromper nombre de personnes curieuses et de causer grand dommage et scandale à l'Église de Dieu Notre Seigneur.

Avis sur Guillaume Postel envoyé à Ignace de Loyola par les pères jésuites SALMERON, LHOOST et UGOLETTO, 10 mai 1545.

Belbo nous raconta avec détachement ce qu'il avait imaginé, sans nous lire ses pages, et en éliminant les références personnelles. Il nous donna même à croire qu'Aboulafia lui avait fourni les combinaisons. Que Bacon fût l'auteur des manifestes rose-croix, je l'avais déjà trouvé écrit quelque part. Mais un détail me frappa : que Bacon fût vicomte de Saint-Albans.

Quelque chose me trottait par la tête, quelque chose qui n'était pas sans me rappeler ma vieille thèse. Je passai la nuit suivante à farfouiller dans mes fiches.

« Messieurs, dis-je le lendemain matin, avec une certaine solennité, à mes complices, nous ne pouvons pas inventer des connexions. Elles existent. Quand saint Bernard lance l'idée d'un concile pour légitimer les Templiers, parmi ceux qui sont chargés d'organiser l'événement il y a le prieur de Saint-Albans ; lequel, entre autres, porte le nom du premier martyr anglais, évangélisateur des îles britanniques, né précisément à Verulam, qui fut le fief de Bacon. Saint Albans, celte et sans nul doute druide, initié comme saint Bernard.

– C'est peu, dit Belbo.

– Attendez. Ce prieur de Saint-Albans est abbé de Saint-Martin-des-Champs, l'abbaye où sera installé le Conservatoire des Arts et Métiers ! »

Belbo réagit : « Bon Dieu !

– Non seulement, ajoutai-je, mais le Conservatoire fut pensé comme hommage à Bacon. Le 25 brumaire de l'an III, la Convention autorise son Comité d'Instruction publique à faire imprimer l'œuvre complète de Bacon. Et, le 18 vendémiaire de la même année, la même Convention vote une loi pour faire construire une maison des arts et des métiers qui aurait dû reproduire l'idée de la Maison de Salomon dont parle Bacon dans la Nouvelle Atlantide, comme le lieu où l'on aurait amassé toutes les inventions techniques de l'humanité.

– Et alors ? demanda Diotallevi.

– C'est qu'au Conservatoire il y a le Pendule », dit Belbo. Et, d'après la réaction de Diotallevi, je compris que Belbo l'avait mis dans la confidence de ses réflexions sur le pendule de Foucault.

« Allons-y doucement, dis-je. Le pendule est inventé et installé au siècle dernier. Pour le moment laissons-le de côté.

– Laissons-le de côté ? dit Belbo. Mais vous n'avez jamais donné un coup d'oeil à la Monade Hiéroglyphique de John Dee, le talisman qui devrait concentrer toute la sapience de l'univers ? Ne dirait-on pas un pendule ?

– D'accord, dis-je, admettons que nous pouvons établir un rapport entre les deux faits. Mais comment passe-t-on de Saint-Albans au Pendule ? »

Je le sus en l'espace de quelques jours.

« Donc, le prieur de Saint-Albans est abbé de Saint-Martin-des-Champs, qui devient ensuite un centre philo-templier. Bacon, à travers son fief, établit un contact initiatique avec les druides fidèles de saint Albans. A présent, écoutez : tandis que Bacon commence sa carrière en Angleterre, en France Guillaume Postel finit la sienne. »

(Je saisis une imperceptible contraction sur le visage de Belbo, je me souvins du dialogue à l'exposition de Riccardo, Postel lui évoquait idéalement le ravisseur de Lorenza. Mais ce fut l'histoire d'un instant.)

« Postel étudie l'hébreu, cherche à montrer que c'est la matrice commune de toutes les langues, traduit le Zohar et le Bahir, a des contacts avec les kabbalistes, lance un projet de paix universelle analogue à celui des groupes rose-croix allemands, il cherche à convaincre le roi de France de s'allier avec le sultan, il visite la Grèce, la Syrie, l'Asie Mineure, il étudie l'arabe, en un mot il reproduit l'itinéraire de Christian Rosencreutz. Et ce n'est pas un hasard s'il signe certains écrits du nom de Rosispergius, celui qui répand la rosée. Et Gassendi, dans son Examen Philosophiae Fluddanae, dit que Rosencreutz ne vient pas de rosa mais de ros, rosée. Dans l'un de ses manuscrits il parle d'un secret à garder jusqu'à ce que viennent les temps, et il dit : " pour que les perles ne soient pas jetées aux pourceaux ". Et vous savez où apparaît cette citation évangélique ? Au frontispice des Noces Chimiques. Et l'abbé Marin Mersenne, dénonçant le Rose-Croix Fludd, dit qu'il est de la même engeance que cet atheus magnus de Postel. Par ailleurs, il semble que Dee et Postel se sont rencontrés en 1550, sans probablement savoir encore, et ils n'auraient pu savoir avant que trente années ne s'écoulent, qu'ils étaient, eux deux, les grands maîtres du Plan destinés à se rencontrer en 1584. Or Postel déclare, oyez oyez, qu'en tant que descendant direct du fils aîné de Noé, et vu que Noé est le fondateur de la lignée celtique et donc de la civilisation des druides, le roi de France est l'unique prétendant légitime au titre de Roi du Monde. Texto, le Roi du Monde d'Agarttha, mais il le dit trois siècles avant. Laissons tomber le fait qu'il devient amoureux d'une vieille décatie, Joanne, et qu'il la considère comme la Sophia divine, l'homme devait avoir une case en moins. Il faut bien noter qu'il avait des ennemis puissants, on l'a taxé de chien, monstre exécrable, cloaque de toutes les hérésies, possédé par une légion de démons. Toutefois, même avec le scandale de Joanne, l'Inquisition ne le tient pas pour hérétique, mais bien pour amens, disons un peu atteint. En somme, on n'ose pas détruire l'homme parce qu'on sait qu'il est le porte-parole d'un certain groupe assez puissant. Je signale à Diotallevi que Postel voyage aussi en Orient et qu'il est le contemporain d'Isaac Luria, tirez-en les conséquences qu'il vous plaira. Bien ; en 1564 (l'année où Dee écrit la Monas Ierogliphica), Postel rétracte ses hérésies et se retire... devinez où ? Dans le monastère de Saint-Martin-des-Champs ! Qu'est-ce qu'il attend? Évidemment il attend l'année 1584.

– Évidemment », confirma Diotallevi.

Je poursuivis : « Vous vous rendez compte ! Postel est grand maître du noyau français, qui guette le contact avec le groupe anglais. Mais il meurt en 1581, trois ans avant la rencontre. Conclusions : primo, l'accident de l'année 1584 a lieu parce qu'il manque, juste au moment où il le faudrait, un esprit aigu comme Postel, en mesure de comprendre ce qui se passait avec la confusion des calendriers ; secundo, Saint-Martin était un lieu où les Templiers se trouvaient chez eux depuis toujours, et où se retranchait, en attendant, l'homme chargé d'établir le troisième contact. Saint-Martin-des-Champs était le Refuge !

– Tout s'assemble comme dans une mosaïque.

– Maintenant, suivez-moi bien. A l'époque du rendez-vous manqué, Bacon n'a que vingt ans. Mais, en 1621, il devient le vicomte de Saint-Albans. Que trouve-t-il dans les possessions ancestrales ? Mystère. Toujours est-il que c'est précisément cette année-là que quelqu'un l'accuse de corruption et le fait enfermer un certain temps en prison. Bacon avait découvert quelque chose qui faisait peur. Peur à qui ? C'est certainement à cette époque que Bacon comprend que Saint-Martin doit être gardé sous contrôle, et qu'il conçoit l'idée de réaliser là-bas sa Maison de Salomon, le laboratoire où il pourrait parvenir, par des moyens expérimentaux, à découvrir le secret.

– Mais, demanda Diotallevi, que pouvons-nous trouver qui mette en contact les héritiers de Bacon avec les groupes révolutionnaires de la fin du XVIIIe?

– Ne serait-ce pas par hasard la franc-maçonnerie ? dit Belbo.

– Superbe idée. Au fond, c'est Agliè qui nous l'a suggérée, le soir où nous étions au château.

– Il faudrait reconstituer les événements. Qu'est-ce qui s'est exactement passé dans ces milieux-là ? »