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Une carte n'est pas le territoire.

Alfred KORZYBSKI, Science and sanity, 1933 ; 4e édition, The International Non-Aristotelian Library, 1958, II, 4, p. 58.

« Vous aurez présente à l'esprit la situation de la cartographie au temps des Templiers, disais-je. En ce siècle-là circulent des cartes arabes qui, entre autres, placent l'Afrique en haut et l'Europe en bas, des cartes de navigateurs, tout compte fait assez précises, et des cartes de trois ou quatre cents ans avant, qui passaient encore pour valables dans les écoles. Remarquez que pour révéler où se trouve l'Umbilicus on n'a pas besoin d'une carte précise, dans le sens que nous donnons au terme. Il suffit que ce soit une carte qui ait la caractéristique suivante : une fois orientée, elle montre l'Umbilicus au point où le Pendule s'illumine à l'aube du 24 juin. A présent, écoutez bien : mettons, par pure hypothèse, que l'Umbilicus soit à Jérusalem. Sur nos cartes modernes Jérusalem se trouve en un certain endroit, et même aujourd'hui ça dépend du type de projection. Mais les Templiers disposaient d'une carte faite Dieu sait comme. Eh bien, que leur importait ? Ce n'est pas le Pendule qui dépend de la carte, c'est la carte qui dépend du Pendule. Vous me suivez ? Ce pouvait être la carte la plus insensée du monde, pourvu que, lorsqu'on la plaçait sous le Pendule, le rayon de soleil fatidique de l'aube du 24 juin identifiât le point où, sur ladite carte, ici et pas sur d'autres, apparaissait Jérusalem.

– Mais ça ne résout pas notre problème, dit Diotallevi.

– Certes pas, et celui des Trente-Six Invisibles non plus. Parce que si vous n'identifiez pas la bonne carte, rien à faire. Essayons de penser à une carte orientée de façon canonique avec l'est en direction de l'abside et l'ouest vers la nef, car c'est ainsi que sont orientées les églises. A présent, faisons une hypothèse quelconque, et je dis au hasard : qu'en cette aube fatale le Pendule doit se trouver sur une zone vaguement à l'est, presque aux frontières du quadrant sud-est. S'il s'agissait d'une horloge, nous dirions que le Pendule doit indiquer cinq heures vingt-cinq. D'accord ? Maintenant regardez. »

J'allai chercher une histoire de la cartographie.

« Voilà, numéro un, une carte du XIIe siècle. Elle reprend la structure des cartes en T, en haut il y a l'Asie avec le Paradis terrestre, à gauche l'Europe, à droite l'Afrique, et ici, au-delà de l'Afrique, ils ont mis aussi les Antipodes. Numéro deux, une carte inspirée du Somnium Scipionis de Macrobe, mais qui survit en différentes versions jusqu'au XVIe siècle. Tant pis si l'Afrique y est un peu étroite. Maintenant attention, orientez les deux cartes de la même manière et vous vous apercevrez que sur la première cinq heures vingt-cinq correspond à l'Arabie, et sur la deuxième à la Nouvelle-Zélande, vu qu'à ce point-là il y a les Antipodes. On peut tout savoir sur le Pendule, mais si on ne sait pas quelle carte utiliser on est perdu. Le message contenait des instructions, hyperchiffrées, sur le lieu où trouver la bonne carte, probablement dessinée pour la circonstance. Le message disait où il fallait chercher la carte, dans quel manuscrit, dans quelle bibliothèque, quelle abbaye, quel château. Et il se pourrait même que Dee ou Bacon, ou d'autres encore, eussent reconstitué le message, qui peut savoir ; le message disait la carte est à tel endroit, mais pendant ce temps, avec tout ce qui s'était passé en Europe, l'abbaye qui l'abritait avait brûlé, ou bien la carte avait été volée, dissimulée qui sait où. Peut-être quelqu'un possède-t-il la carte, mais sans savoir à quoi elle sert, ou sachant qu'elle sert à quelque chose mais ne sachant pas exactement à quoi, et il parcourt le monde pour chercher un acquéreur. Pensez, toute une circulation d'offres, de fausses pistes, de messages qui disaient autre chose et étaient lus comme s'ils parlaient de la carte, et de messages qui parlent de la carte et sont lus comme s'ils faisaient allusion, que sais-je, à la production de l'or. Et il est probable que certains sont en train de chercher à reconstituer directement la carte sur des bases conjecturales.

– Quel genre de conjectures ?

– Par exemple des correspondances micro-macrocosmiques. Voici encore une autre carte. Vous savez d'où elle vient? Elle apparaît dans le second traité de l'Utriusque Cosmi Historia de Robert Fludd. Fludd est l'homme des Rose-Croix à Londres, ne l'oublions pas. Or, que fait notre Robert de Fluctibus, comme il aimait à se faire appeler? Il ne présente plus une carte mais une étrange projection du globe entier vu du Pôle, du Pôle mystique naturellement, et donc vu d'un Pendule idéal suspendu à une clef de voûte idéale. Ça, c'est une carte conçue pour être placée sous un Pendule ! Ce sont des évidences irréfutables, comment se peut-il que personne n'y ait encore pensé...

– C'est que les diaboliques sont d'un lent, mais d'un lent, disait Belbo.

– C'est que nous sommes les seuls dignes héritiers des Templiers. Mais laissez-moi poursuivre : vous avez reconnu le schéma, c'est une rotule mobile, de celles qu'utilisait Trithème pour ses messages chiffrés. Ceci n'est pas une carte. C'est un projet de machine pour tenter des variations, pour produire des cartes alternatives, tant qu'on ne trouve pas la bonne ! Et Fludd le dit, dans la légende : ceci est l'ébauche d'un instrumentum, il faut encore y travailler.

– Mais n'était-ce pas le même Fludd qui s'obstinait à nier la rotation de la terre ? Comment pouvait-il penser au Pendule ?

– Nous avons affaire à des initiés. Un initié nie ce qu'il sait, nie qu'il le sait, il ment pour couvrir le secret.

– Ce qui expliquerait, disait Belbo, pourquoi Dee se donnait déjà tant de mal avec ces cartographes royaux. Non pas pour connaître la " vraie " forme du monde, mais pour reconstruire, au milieu de toutes les cartes erronées, la seule et unique qui lui servait, et donc la seule bonne.

– Pas mal, pas mal, disait Diotallevi. Trouver la vérité en reconstituant exactement un texte mensonger. »