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13

DEPUIS COMBIEN DE TEMPS est-elle cachée dans la cuisine, accroupie, immobile, la lampe de poche à la main ? Elle ne sait pas. Elle ne sait plus. Elle n'ose pas allumer la petite lampe. « Il » est là. Tout près.

La clarté verdâtre de la lune rend surnaturel un décor pourtant familier. À un autre moment, Colombe aurait trouvé cette métamorphose amusante. Cette nuit, tout l'effraie. Elle frotte ses paumes contre la rugosité ronde de ses genoux. « Il » est venu. Il est venu pour elle. Mais pour lui faire quoi, lui dire quoi ? Où est-il ? Tant de cachettes dans l'appartement : les penderies du couloir, le débarras de l'entrée, la douche des garçons. Les garçons… Le cœur de Colombe rate un battement. Mon Dieu, les garçons… « L'ennemi », dans leurs chambres. Non ! Il a lui-même des enfants. Il ne peut leur faire du mal. Impensable…

Terreur sur la ligne. Un film d'horreur qui avait marqué son adolescence. Une baby-sitter traquée par un assassin sans visage. Un monstre qui a tué deux enfants de ses mains nues. Cette phrase laconique qu'il chuchote au téléphone : « Es-tu allée voir les enfants ? » Voir les enfants. Colombe serre les poings. Voir si les jumeaux vont bien. Elle doit le faire. Elle doit absolument le faire. Tout de suite.

Colombe allume la lampe de poche. Un rond jaune se dessine à ses pieds. Elle le guide vers le compteur. Une pression sur le commutateur, et le ronronnement du réfrigérateur se fait entendre. Colombe appuie sur tous les interrupteurs trouvés sur son passage, cligne des yeux devant la clarté aveuglante des halogènes. L'appartement illuminé lui rend son courage. Les enfants, maintenant. Es-tu allée voir les enfants ? L'horrible voix au bout du fil. La baby-sitter épouvantée. Les petits corps brisés, sans vie… Arrêter de penser à ce film, enfin ! Ça suffit. Courage, une grande respiration, ouvrir la porte d'Oscar.

Il fait noir. Une forme immobile sous la couette. Elle s'approche. Respire-t-il ? Elle n'entend rien. Sa main atterrit sur une joue tiède. Un grognement l'accueille. Oscar ouvre un œil vaseux, marmonne quelques mots mâchés. Il est en vie, sain et sauf Colombe le couvre de baisers, le serre contre elle. Puis elle le borde, sort de sa chambre, passe dans celle de Balthazar. Raide comme un piquet, la couette à ses pieds, il dort, bouche ouverte. Colombe l'examine. Tout est normal. Tout va bien. Léonard Faucleroy a épargné ses fils. Il ne leur a rien fait. Nouvelle série de baisers. Comme elle les aime, leur odeur de peau chaude et salée, les petits tourbillons de cheveux dans la nuque. Si Léonard Faucleroy avait posé un doigt sur eux… S'il avait osé… Quelle idiote ! Il s'en fiche de ses gamins. S'il est venu, c'est pour elle, rien que pour elle.

Colombe reprend sa ronde. À chaque lumière allumée, son angoisse s'estompe. Elle avance lentement, aux aguets, la raquette de tennis de Balthazar dans sa main droite. Le salon, l'entrée, le couloir. Les placards, les toilettes, le débarras. Personne, ni tueur fou ni docteur Faucleroy. La porte est toujours verrouillée, la chaîne attachée. Elle a tout imaginé, comme d'habitude. Ça arrive, que le courant soit coupé au milieu de la nuit, sans raison. La fenêtre de la cuisine a été ouverte par une bourrasque, voilà tout. Se méfier, tout de même, « il » est très fort, rusé, machiavélique. La bourrasque, la panne de courant… Peut-elle y croire ? Oh, et puis il est tard, elle a besoin de dormir. Il n'est pas là, il n'est jamais venu, elle a vérifié partout.

Dans la cuisine, elle ferme la fenêtre, boit un grand verre d'eau. Toutes les lumières restent allumées dans l'appartement. Recette infaillible pour éloigner les démons. Dans sa chambre, le radio-réveil clignote, elle le règle. Déjà deux heures du matin.

Avant de se coucher, un coup d'œil machinal sous le sommier. Personne, évidemment. Un rire nerveux la secoue, quel réflexe idiot. Elle s'entortille dans sa couette, éteint la lampe. Sous la porte, un rayon de lumière réconfortant, comme lorsqu'elle était fillette. « Laisse ouvert, maman. Laisse allumé. »

Elle n'est plus une petite fille. Elle est une mère de famille au mari infidèle. Où Stéphane passe-t-il la nuit ? Chez une femme ? À l'hôtel ? Ne pas penser à la scène qu'ils ont eue. Ni à celle qui l'attend. On verra demain.

Oui, c'est ça. Demain. Demain est un autre jour.

Un rêve étrange. Elle est là-haut, chez lui, dans sa chambre. Sur son lit, nue, draps froissés. La pose de Quina sur les Polaroids. Son corps ouvert, offert. Son corps qui ressemble à celui de Quina. Cheveux noirs sur peau ambrée. « Il » parle. Elle ne le voit pas, mais elle l'entend. Que dit-il ? Elle écoute, fascinée par le doux torrent de mots.

Cette voix. Cette voix qui chuchote dans son oreille.

Comme tu dors bien, mon ange. Comme tu es belle

Colombe ouvre les yeux. Le filet de lumière brille toujours sous la porte. L'impression que la voix est là, dans sa chambre, qu'elle résonne encore dans l'air.

La voix reprend. Tout près.

— Tu es belle, Colombe. Ma belle de nuit. Belle comme un ange. Mais ce n'est pas gentil d'avoir jeté mes roses à la poubelle…

« Il » est là. Elle ne le voit pas, mais elle sent son odeur. Sagamore. Un instant interminable. Ses membres sont de plomb. Ses bras pèsent une tonne.

Il est là, à côté d'elle, sur le lit, dans le noir. Le cri prend naissance au plus profond de ses entrailles, monte en elle comme un plongeur vers la surface, éclate dans le silence de la nuit. Le matelas tangue. Colombe se cache sous les draps. Des pas, des voix, une bousculade.

— Maman !

Oscar allume la lampe de chevet, Balthazar tire sur la couette.

— Où est-il ? gémit-elle. Il est encore là ?

— Il n'y a personne, maman. Tu as fait un cauchemar.

— Et poussé un de ces hurlements…

Affolée, Colombe bondit hors du lit, se cogne aux garçons, court dans le couloir. Dans la cuisine, la fenêtre est toujours fermée. Demi-tour, vite. Ses pieds nus effleurent à peine le parquet.

À bout de souffle, elle plaque ses deux mains sur la porte d'entrée. Ce qu'elle voit lui arrache un gémissement.

La porte n'est plus verrouillée. La chaîne de sécurité a été détachée.

Elle bouge encore, en un lent mouvement de balancier.

Ses fils recouchés, Colombe est restée devant leurs chambres à attendre le petit matin. Impossible de se remettre au lit. La peur rôde toujours, tangible, logée au creux de son ventre comme un ulcère. « Il » est donc venu. Pourquoi ? Lui voulait-il du mal ? Pourtant, sa voix était douce au milieu de la nuit. Elle avait senti une main légère lui caresser les cheveux. Et ce souffle dans son oreille. Et cette odeur verte de forêt, de sous-bois.

Une fois les jumeaux partis pour l'école, elle compose le numéro du docteur. Le répondeur se déclenche. D'une voix claire, un peu lasse, elle enregistre son message :

— C'est moi, Colombe. Je sais que vous êtes là. Je sais que vous m'entendez. Il faut qu'on se parle. On ne peut plus continuer comme ça. C'est allé trop loin. S'il vous plaît, téléphonez, ou descendez me voir. J'attends.

Elle raccroche. Lorsqu'elle lisse la couette, ses mains tremblent. Dire qu'il est venu là, sur ce lit, qu'il s'est glissé près d'elle comme une couleuvre, aux heures les plus silencieuses de la nuit. Et Stéphane dans tout ça ? Reviendra-t-il ce soir ? Que dire aux enfants si leur père découche encore ? Et si son mari revient, elle devra l'affronter. Il y aura une scène. Pas bon pour les enfants non plus. Une idée lui vient. Elle prend le téléphone, passe quelques appels. C'est vite réglé. Dès la sortie des classes, chacun ira chez son meilleur ami passer la nuit. Ainsi, elle pourra affronter Stéphane – ou l'absence de Stéphane – en toute quiétude.

Le téléphone ne sonne pas de la journée. Plusieurs fois, elle appelle chez le docteur Faucleroy, sans laisser de nouveau message. Que fait-il ? Pourquoi ne lui téléphone-t-il pas ? Pourquoi ne vient-il pas ? L'effroi la gagne, mais elle ressent aussi une fièvre trouble, étrange. Comme lorsqu'elle était enfant, qu'elle jouait à cache-cache avec ses cousins dans le jardin des Chamarel. Une fois, elle était restée dissimulée longtemps derrière un grand bosquet d'hortensias. La nuit tombait. Elle avait froid. Sur le gravier, des pas crissaient. Le « chat », son grand cousin Nicolas. Il s'approchait. Elle ne bougeait plus, tétanisée. Crépitement des petits cailloux blancs. Il était tout près. L'avait-il vue ? Allait-il lui taper sur l'épaule ? Elle tremblait de froid, mais d'excitation aussi. Comme aujourd'hui, vingt ans plus tard.

En début de soirée, la porte s'ouvre. Elle regarde l'entrée, le souffle coupé. Le docteur ? Non, son mari. Il semble calme, détendu.

Colombe se tait. Elle préfère qu'il parle en premier. Stéphane pose ses affaires, se verse un verre.

— Bonsoir, dit-il d'une voix égale.

— Bonsoir.

— Où sont les jumeaux ?

— Chez des amis pour la nuit.

Stéphane ne fait aucun commentaire. Il boit son whisky d'un trait, s'en sert un autre dans la foulée. Colombe l'observe. Il a les yeux un peu brillants. Sa chemise est froissée, son pantalon aussi. Il n'est pas rasé. On voit bien qu'il n'a pas passé la nuit chez lui. La haine monte en elle. Comment peut-il revenir comme ça, comme si de rien n'était, sifflotant, débonnaire ? Pour qui la prend-il ? Il n'a aucun respect pour elle. Il s'en fiche, du moment que son dîner soit chaud, son linge repassé, les gamins torchés. Le reste, il s'en tape. Il s'en balance.

Avec précaution, paumes posées sur ses lombaires, Stéphane s'assied dans le canapé. Colombe ne parvient pas à détacher son regard de lui. Son mari. Un homme qui lui a donné deux enfants. Un homme à qui elle n'a plus rien à dire. Un homme qu'elle n'aime plus. L'a-t-elle d'ailleurs jamais aimé ?

— Pourquoi me regardes-tu comme ça ? demande Stéphane.

Parce que je te hais, a envie de crier Colombe, je te hais. Mais elle garde le silence. Pendant le repas, elle ne prononce pas un mot. Face à face, les époux Barou mangent et boivent, sans se regarder. Colombe sert son mari, lui verse de l'eau, du vin, lui tend le fromage, les fruits. Le repas est étrangement calme. Elle regrette l'absence des jumeaux. Le dîner s'éternise. Colombe sait ce qui l'attend. Lui parler. Tout lui dire. C'est pour ça qu'elle a éloigné ses fils.

Après le dîner, Stéphane passe au salon, allume la télévision. Armé de sa télécommande, il zappe, l'œil vide. Colombe range la cuisine. Flanquer la vaisselle par terre, s'acharner sur ces verres, ces plats, ces casseroles, tout envoyer valser. Elle n'a pas le courage d'aller l'affronter. Que dire à un époux infidèle ? Tout en lui la répugne. Son aspect trapu, son front un peu bas, son nez épais. Cette façon de remonter son pantalon d'un pouce crocheté à la ceinture, de rectifier d'un mouvement latéral de la tête la mèche qui lui tombe sur les yeux.

Colombe abandonne Stéphane au salon. Une épave échouée devant l'écran. La chambre lui semble être un refuge. Mais comment oublier que Léonard Faucleroy est venu ici cette nuit ? Reviendra-t-il ce soir ? Non, il doit savoir que Stéphane est de retour. Il sait toujours tout.

Deux questions sans réponse la taraudent. Pourquoi le docteur ne s'est-il pas manifesté ? Comment faire comprendre à son époux qu'elle ne l'aime plus ? Deux hommes, deux hantises. Elle est tiraillée, écartelée entre les deux. Un là-haut, caché dans son grand appartement vide, et l'autre dans la pièce d'à côté, collé au petit écran. Un qu'elle craint. L'autre qu'elle méprise. Un dont elle n'a jamais vu le visage, et l'autre aux traits devenus insupportables.

Sa passivité la ronge. Colombe se sent muselée. Facile, pourtant, d'aller sonner chez ce docteur. Facile, d'entrer dans le salon, d'éteindre la télé et de dire : « Stéphane, il faut qu'on parle ». Facile, mais impossible. Colombe se réfugie dans le renoncement, comme d'habitude. Plantée près du lit, elle contemple un décor devenu stérile, une tranquille chambre à coucher qui suinte la monotonie conjugale.

D'une pichenette, elle fait vaciller une des photos encadrées sur la commode. Comme un jeu de dominos, les cadres se couchent les uns sur les autres avec un tac-tac-tac régulier. Colombe s'accroupit près de la table de chevet. Que faire ? Que dire ? Son regard échoue sur le téléphone. Elle compose le numéro du docteur. Répondeur. Elle raccroche. Puis elle se recroqueville sur elle-même, le nez fiché entre ses genoux remontés. L'envie de pleurer pique ses yeux, mais les larmes ne viennent pas, comme coincées derrière des paupières récalcitrantes.

Vers minuit, Stéphane fait irruption dans la salle de bains. Son visage est blême. Il tient quelque chose entre le pouce et l'index. Un caleçon d'homme.

— Qu'est-ce que c'est que ça ? siffle-t-il.

Colombe se redresse dans la baignoire. Le caleçon rayé blanc et bleu n'appartient pas à son mari. Elle ne l'a jamais vu.

— Je ne sais pas…, commence-t-elle.

— Tu ne sais pas ? crie Stéphane. Tu ne sais vraiment pas ? Je l'ai trouvé dans notre lit.

Léonard Faucleroy. Souvenir de son passage nocturne.

— Sors de ce bain, ordonne Stéphane.

Elle obéit, attrape une serviette, s'enroule dedans. Il la saisit par le bras, l'emmène dans la chambre, la pousse sur le lit. Avant qu'elle puisse prononcer un mot, il prend le téléphone, enclenche la touche haut-parleur, puis la touche bis. La voix du docteur résonne dans la chambre. « Bonjour, vous êtes chez Léonard Faucleroy. Je suis absent pour l'instant. Vous pouvez me laisser un message. Merci. »

Stéphane lui jette le caleçon au visage.

— Tu me prends pour le dernier des cons.

Colombe tremble. La colère traverse son corps comme une longue onde rouge. Mais les mots ne viennent pas. Elle ne parvient qu'à pousser un cri inarticulé qui reste bloqué dans sa gorge.

— Le voisin du dessus. Ton Léo ! crache Stéphane. Cette connerie de tapage nocturne. Tu m'as bien eu.

Il se rapproche, brandit un poing furieux.

— Ton toubib et ses bouquins de cul, ses roses, ses affaires qui traînent. C'était pour lui, la guêpière, hein ? « Belle de nuit »… C'est lui qui t'a appris ces trucs au lit. Le beau gosse qui excite toutes les bonnes femmes de l'immeuble. C'est du joli ! Du propre !

Le mètre quatre-vingts de Colombe se déplie d'un coup sec comme un fouet. Pour une fois, elle se tient droite. Ses larges épaules osseuses n'ont plus rien de fragile. Elle s'avance vers lui, toujours drapée dans la serviette de bain. Grande, puissante, menaçante.

Stéphane est désarçonné. Il perd de sa superbe, recule d'un pas.

— Et toi ? marmonne Colombe. Tu t'es regardé ?

Elle a une voix bizarre, presque étranglée.

— Qu'est-ce que tu racontes ?

La lèvre supérieure de Colombe se retrousse, prêtant à sa bouche une expression animale.

— Tu crois que je ne suis pas au courant ? Ta dernière conquête. L'hôtel des Alizés.

Stéphane hausse les épaules, recule encore d'un pas.

— L'hôtel des Alizés ? N'importe quoi.

Colombe le bouscule.

— Oh, ne fais pas l'innocent, va. Je sais tout. La standardiste m'a dit que « Mme Barou » était encore dans la chambre.

— La standardiste s'est trompée, bredouille-t-il, à court d'arguments. J'étais seul.

— Non, tu n'étais pas seul. J'ai entendu la voix de cette femme. Et j'imagine que ce n'était pas la première fois.

— Et toi, alors ? explose Stéphane. C'est pire, ce que tu me fais endurer. C'est bien pire, une épouse infidèle.

Léger sourire de Colombe.

— Tu sais, je me fiche pas mal de tes tromperies.

Stéphane se redresse, piqué.

— Comment ça, tu t'en fiches ? Mais tu te prends pour qui, ma pauvre ? Tu m'as trahi. Tu as terni mon nom.

— Je ne t'ai jamais trompé.

— Tu mens. Tu mens comme tu respires.

La colère de Stéphane décuple devant le calme de sa femme. Sa main se lève. Le sang gicle du nez de Colombe. Un instant, ils se regardent, hébétés, mais Stéphane a perdu tout contrôle. Un coup de poing, et l'arcade sourcilière de Colombe éclate. Elle crie. La serviette tombe. La vue de son corps nu le rend plus furieux encore. Il s'acharne. Colombe se protège comme elle peut, encaisse les coups de pied répétés, roulée en boule dans un coin de la chambre. Il va la tuer, il a perdu la tête. Rester là, se faire taper dessus ? Non ! Réagir, lui casser la gueule. Elle se lève. Oui, lui casser la gueule, minus, va, pauvre minus ! Se rebiffer, rendre coup pour coup, s'abandonner à la violence, lui faire mal, viser, lancer le poing, le pied, si facile, si bon. Une gifle, et il vacille, un coup de pied bien placé, et il gémit, bien fait pour lui. Son mépris explose, son dégoût, aussi. Elle est ivre de violence. Maintenant elle sait pourquoi les gens sont capables de tuer, maintenant elle les comprend. Le combat se prolonge, le choc des coups, les halètements de Colombe, les grognements de Stéphane. Ils tournent dans la chambre comme des fauves, ne se quittent pas du regard. Stéphane l'attrape par le bras, la projette contre le mur de toutes ses forces. Colombe heurte la commode, tombe de tout son long. Son poignet droit se coince sous elle.

Prostrée, le nez écrasé dans la moquette, elle ne peut plus bouger. Stéphane, pantelant, contemple sa femme inerte, son corps couvert d'ecchymoses. Elle sanglote. Stéphane veut la relever.

— Ne me touche pas ! crie-t-elle. Laisse-moi.

Stéphane s'effondre.

— Pardonne-moi. Je t'en supplie, pardonne-moi.

Colombe pleure. Il s'approche, lui caresse le front avec maladresse. À bout de forces, elle le laisse faire. Stéphane tamponne le nez tuméfié de Colombe, son sourcil ensanglanté, mais elle le repousse, se redresse, essaie de se mettre debout. Ses pieds se dérobent sous elle. Il veut l'aider. Elle hurle. Son poignet tordu gonfle à vue d'œil.

— Bouge ta main, lui demande-t-il doucement.

Elle a des nausées de douleur.

— Je ne peux pas. Trop mal…

Il ne reste qu'une chose faire : l'emmener aux urgences.