38875.fb2 Les Catilinaires - читать онлайн бесплатно полную версию книги . Страница 7

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Je soupirai, en pensant que la vérité sort toujours de la bouche des innocents.

– Tu as posé la bonne question.

– Tu n'as pas répondu.

– La loi ne nous force pas à lui ouvrir la porte. C'est la politesse qui nous y contraint.

– Sommes-nous obligés d'être polis? Elle touchait à nouveau un point sensible.

– Personne n'est obligé d'être poli.

– Alors?

– Le problème, Juliette, ne tient pas à notre devoir, mais à notre pouvoir.

– Je ne comprends pas.

– Quand on a soixante-cinq années de politesse derrière soi, est-on capable d'en faire fi?

– Avons-nous toujours été polis?

– Le simple fait que tu me poses cette question prouve à quel point nos manières sont enracinées en nous. Nous sommes si polis que notre politesse est devenue inconsciente. On ne lutte pas contre l'inconscient.

– Ne pourrait-on pas essayer?

– Comment?

– S'il frappe à la porte et que tu es en haut, il est normal que tu ne l'entendes pas. Surtout à ton âge. Ce ne serait même pas grossier.

– Pourquoi serais-je en haut?

– Parce que je suis alitée, parce que tu restes à mon chevet. De toute façon, cela ne le regarde pas. Il n'y a rien d'impoli à être en haut.

Je sentais qu'elle avait raison.

A 4 heures, j'étais à l'étage, assis dans la chambre auprès de la malade. On frappa à la porte.

– Juliette, je l'entends!

– Il n'en sait rien. Tu pourrais ne pas entendre.

– Je l'entends très bien.

– Tu pourrais être en train de dormir.

– A cette heure-ci?

– Pourquoi pas? Je suis malade, tu t'es endormi en me tenant compagnie.

Je commençais à me sentir mal. J'avais la gorge nouée. Ma femme me prit la main comme pour me donner du courage.

– Il va bientôt arrêter.

En quoi elle se trompait. Non seulement il n'arrêtait pas, mais il frappait de plus en plus fort. Il eût fallu que je fusse au cinquième étage pour ne pas l'entendre. Or, la maison ne comptait que deux niveaux.

Les minutes passaient. Monsieur Bernardin en était arrivé à tambouriner sur notre porte comme un dément.

– Il va la casser.

– Il est fou. Fou à lier.

Il frappait de plus en plus fort. J'imaginais sa masse énorme s'abattant sur la paroi, qui finirait pas céder. Ne plus avoir de porte, par ce froid, ce serait intenable.

Puis, ce fut le comble: il se mit à frapper sans discontinuer, à intervalles de moins d'une seconde. Je n'aurais pas cru qu'il avait une telle force. Juliette était devenue livide; elle lâcha ma main.

Il se passa une chose horrible: à l'instant, je dévalai l'escalier et j'ouvris la porte.

Le tortionnaire avait le visage tuméfié de colère. J'avais si peur que je fus incapable d'articuler un son. Je me dérobai pour le laisser entrer. Il enleva son manteau et alla s'asseoir dans ce fauteuil qu'il tenait pour le sien.

– Je ne vous avais pas entendu, finis-je par balbutier.

– Je savais que vous étiez là. La neige était vierge.

Il n'avait jamais prononcé tant de mots d'affilée. Ensuite, il se tut, prostré. J'étais terrifié. Ce qu'il venait de proférer prouvait qu'il n'était pas un demeuré. En revanche, son attitude était celle d'un fou dangereux.

Une éternité plus tard, il dit encore une phrase:

– Hier, vous étiez partis.

Son ton de voix était celui de l'accusation.

– Oui. Nous nous promenions dans la forêt.

Et moi, j'étais en train de me justifier! Honteux de ma pleutrerie, je m'obligeai à ajouter:

– Vous frappiez si fort…

On n'imagine pas le courage qu'il me fallut pour murmurer ces quelques mots. Mais notre voisin, lui, n'éprouvait pas le besoin de se justifier. Il frappait trop fort? Eh bien, il avait eu raison, puisque cela m'avait fait ouvrir la porte!

Ce ne serait pas ce jour-là que j'aurais assez d'assurance pour me taire.

– Ma femme a pris froid, hier, en promenade. Elle est alitée, elle tousse un peu.

Après tout, il était médecin. Il allait peut-être enfin se montrer bon à quelque chose.

Pourtant, il se taisait.

– Pourriez-vous l'examiner?