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«Tu es venue…!» Lucile balbutie et je me tais contre elle. Son ventre est le mien, sa poitrine embrase la mienne. Nos sens sont un cheval ailé que nous empruntons pour gagner notre demeure mystérieuse. D’étranges couleurs nous habitent ensemble en notre pérégrination, et l’androgyne ressuscité plonge en de violets océans.
Aucun végétal, aucune mer ne saurait dispenser ces senteurs qui nous visitent, violacées, acerbes et tendres, et notre cri nous porte au-dessus des horizons.
Nous ferons durer la nuit. La nuit est notre royaume, elle gîte notre alliance. Bientôt nous nous passerons du vent même pour nos transports et nos yeux couvriront encore à travers le sombre de l’heure des monts et des merveilles de lumière.
Dans notre chrysalide chaude et humide nos deux corps sont un lac de bonheur immobile. Sur ses eaux planent nos esprits, qui s’enrichissent sans fin de leur harmonie. L’heure est arrêtée, le temps qui nous baigne est celui qui ne sait pas encore marcher. La conscience d’être est hagarde. Elle se repose parfois sur une odeur, un souffle, un gémissement. Vivre est dépassé. Le pays qui s’est ouvert ne souffle pas de frontière, il est toute virtualité, il n’est que délices qui s’offrent à notre enchantement.
L’aurore a trouvé sur le perron de la fontaine deux âmes hallucinées, étourdies de leur concorde. Hiératiques, des arbres géants se penchent sur les enfants de la rosée. Autour de nous l’herbe s’est couchée, comme si un peuple de fées attentif et muet, en un cercle magique, avait abrité notre nuit.