39043.fb2 Mademoiselle Libert? - читать онлайн бесплатно полную версию книги . Страница 11

Mademoiselle Libert? - читать онлайн бесплатно полную версию книги . Страница 11

7

Juliette ne cessait de sonder l'événement qu'était l'Inconnue. Au réveil, accablée d'interrogations, tout la dérangea : les enfants, les soucis domestiques, l'irruption criarde de sa belle-mère. L'horloge du lycée sonnait toujours pour lui donner des ordres, la rappeler à son métier de mère. Mais elle resta tout le samedi matin au lit, à se cogner dans ses pensées, à raisonner là où elle aurait dû sentir. Confuse, ivre de conjectures, elle prit des décisions dictées par l'angoisse et la fatigue nerveuse. Lasse, elle était pour ainsi dire au-delà du sommeil. Les mêmes idées, roulées par un esprit serein, eussent été bénéfiques pour leur mariage ; elles précipitèrent sa chute.

Il y a des instants où, dans l'inquiétude, les êtres oublient leur propre voix pour ne plus écouter que le discours des circonstances, le babil des incidents et des hasards qui prennent la parole de façon péremptoire, sans vouloir autre chose que le chaos. Recouverte par ce tumulte, Juliette en était là. Tout la traversait trop vite, sans que se forme en elle un point fixe, une pensée entière, sans que puisse se rassembler le noyau de son être. Ses désirs n'étaient plus que des réactions, une bousculade de réactions. Le trousseau de certitudes avec lequel elle était entrée dans le mariage ne lui était plus d'aucune utilité. Avant toute chose, elle rappela la baby-sitter :

- Allô ? Oui, c'est Madame de Tonnerre. Vous êtes toujours libre aujourd'hui ?

À quelle heure voulez-vous que je vienne ?

Nous partons vers quatre heures, vous pouvez être là ?

Liberté donna son accord.

À seize heures, Juliette fit à Horace la surprise de l'enlever pour une destination inconnue ; la complète surprise car il n'entrait pas dans son personnage d'être déroutante. Au volant, elle lui noua un bandeau autour des yeux ; mais sa fausse gaieté, un rien frénétique, gâtait son entrain. Les plus belles initiatives sont sans grâce quand elles sont engagées sans plaisir. Inquiète, Juliette se noyait dans un infranchissable présent. Cependant, touché par cette idée, Horace feignit de ne pas remarquer son état ; il lui pardonna son excessive volubilité.

Ils partirent ainsi vers Bordeaux, pour rééditer leur voyage de noces. Rebelote l'amour Champagne ! Il y avait du pathétique, presque du ridicule dans ce bis charmant, tant il venait trop tard. Juliette se savait insuffisante en amour, inapte à offrir du bonheur intégral, et cela depuis des années. Plus ils roulaient sur l'autoroute, plus ce coup d'éclat, si contraire à son tempérament, faisait contraste avec son époustouflante nullité. Son passé d'épouse avachie dans la routine, confite dans les plaintes, en ressortait comme souligné.

D'un naturel optimiste, Horace s'obligeait à croire en un sursaut provoqué par les lettres anonymes ; mais, malgré les apparences, Juliette s'enkystait dans un état d'esprit de victime, se vautrait dans des pensées ténébreuses. Prise dans la spirale du désastre, elle paraissait attendre le soulagement d'un cataclysme. Certes, elle tentait de réagir, mais sans joie, mue par le désir de se prouver qu'il était vain de se rebiffer contre le destin. Douée pour les complications, Juliette pervertissait jusqu'aux solutions qu'elle faisait mine d'inventer.

En arrivant le soir au Cap-Ferret, non loin de l'hôtel où ils s'étaient adorés neuf ans auparavant, elle lui ôta son bandeau. Il pleuvait de l'eau glaciale. Dans cette nuit mouillée, Horace reconnut les abords de l'endroit où, jadis, ils avaient su rencontrer le bonheur. Ce coup de théâtre l'émut vivement, mais la surprise suivante effaça son sourire.

L'hôtel de leur voyage de noces avait été transformé en maison de retraite, battue par les bourrasques. Plutôt que d'en rire, Juliette y vit le signe de son échec inéluctable. Sa bonne humeur de circonstance s'effondra. Inutile de godiller dans le romantisme. Les suggestions de l'Inconnue ne valaient rien pour elle. Acceptant par avance sa défaite, elle déborda de sanglots devant le portail. Il ne fut plus question de revisiter leurs anciennes voluptés.

Leur mariage avait besoin de chaos, plus que de repos.

Mais qu'allaient-ils faire de leur soif de désordre ?

En se couchant dans un motel fantomatique - le seul établissement où ils trouvèrent une chambre, - ils eurent un réflexe de parents qui était le constat d'agonie de leur couple : ils téléphonèrent à Liberté pour prendre des nouvelles des enfants. Ce soir-là, Juliette avait parlé en amante, mais pensé en mère.

Votre week-end se passe bien ? demanda la baby-sitter, inquiète du bonheur d'Horace.

Non, répondit Juliette.

Péniblement, Horace et Juliette s'obligèrent à s'aimer, sans un mot. Deux solitudes s'enlacèrent. Le mensonge de leurs caresses, de leur proximité distante, les blessa ; mais renoncer à cette jouissance factice eût été trop violent. S'ils couchèrent ensemble, il n'y eut personne dans le lit. Après s'être longtemps trouvés sous le poids de la vie de l'autre, Horace et Juliette se découvraient étrangers. Allongés dos à dos, ils paraissaient un couple mais ne l'étaientplus. Comme c'est laid un amour à marée basse.