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Andrew s'était penché par-dessus mon épaule. Il s'était approché sans bruit.
— Que fais-tu, darling ?
C'était ma traduction. Je ne lui en avais pas parlé. Il a posé son menton sur le haut de ma tête. Il a lu à voix haute les phrases dans l'anglais d'origine. Je n'ai pas pu m'empêcher de sourire. Son accent de la BBC qui prononçait ces mots obscènes. Ses mains sur mes épaules, sur mon cou. Je ne souriais plus, j'étais troublée. Andrew chuchotait.
— Comment tu traduirais dick, Justine ? Would that be « bite » or « queue » ? Et le pussy ? It's « chatte », isn't it ?
La voix d'Andrew dans le creux de mon oreille. Son souffle. J'ai fermé les yeux. Il s'est arrêté de lire. Sa bouche à la racine de mes cheveux, sur ma nuque. J'ai essayé de moins penser à l'accident, au coma. L'hôpital. Malcolm sur son petit lit blanc. J'ai laissé les lèvres, les mains d'Andrew prendre possession de moi. J'ai baissé la garde. J'avais l'impression de retrouver un chemin familier, perdu depuis longtemps. Le corps d'Andrew, sa puissance, son réconfort. Son odeur. Le grain de sa peau. Sa salive. Si familière, si délicieuse. Sa façon de me toucher, de m'investir, si particulière, qui n'était qu'à lui. Si longtemps, cela faisait si longtemps. L'espace de quelques instants miraculeux, j'ai pu effacer ce qui nous arrivait. Il n'y avait plus que nos deux peaux, collées l'une contre l'autre, nos souffles, notre urgence, nos mains qui se réapprivoisaient, nos bras qui se serraient avec violence, des baisers voraces, des caresses précises, exquises. La voix d'Andrew.
— You beautiful girl. Beautiful girl. Love my beautiful girl.
Sa voix m'ouvrait, me pénétrait. L'oubli. L'abandon. Mon corps comme un poing qui se desserrait. Mais au moment où le plaisir s'annonçait, où je le sentais poindre de loin, où je savais comment l'attraper, l'amadouer, brutalement le visage de mon fils s'est imprimé devant mes yeux. Sa peau blanche, ses yeux clos.
Tout en moi s'est barricadé. Je me suis débattue, dégagée comme une folle. J'ai repoussé Andrew avec violence. J'ai éclaté en sanglots. Larmes brûlantes le long de mes joues. Andrew silencieux à côté de moi. Immobile. Le silence dans la chambre. Mes sanglots. Puis sa voix grave.
— Life must go on, Justine. Life must go on.
Je ne voulais pas l'écouter. Il avait tort. Rien ne pouvait continuer. Plus rien ne pouvait continuer comme avant. La vie ne pouvait pas continuer comme avant. Il se trompait. Je ne pouvais pas faire semblant de jouir. Je ne pouvais plus faire l'amour comme si de rien n'était, comme si Malcolm n'était pas dans le coma. Encore une différence entre les hommes et les femmes. Entre un père et une mère. Lui pouvait faire l'amour dans de telles circonstances. Moi, non. Tant que Malcolm ne sortait pas de son coma, impossible de me laisser aller, impossible de me laisser pénétrer. Tant que le chauffard n'avait pas été retrouvé, impossible de jouir, de ressentir du plaisir. Mon corps s'était refermé. Il s'était endurci, comme une forteresse. Il me protégeait. Faire l'amour, c'était baisser ma garde. Faire l'amour, c'était ne plus penser à mon fils.
Je me suis levée, et je suis allée dans la salle de bains. Je suis restée longtemps, le temps que les sanglots cessent. Andrew n'est pas venu. Quand je suis retournée me coucher, il dormait.