39268.fb2 O.N.G.! - читать онлайн бесплатно полную версию книги . Страница 20

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– Les posters!

– La compta!

Chacun découvrait une perte irrémédiable. Chacun voyait, dans son petit train-train dévasté, l'image de la Foulée verte qu'on étripait.

Ulis était le seul qui pensait aux autres.

– Nos pauvres camarades ne méritent pas ce sort, se lamentait-il. Je suis fautif.

– Non, Ulis, a dit Celsa. Regarde ce que j'ai.

Elle tenait la femme au passé africain. Elle lui avait fait une clé dans le dos. La femme montrait ses ivoires blanches, de douleur cette fois. Dans les premiers moments de rage, on l'avait oubliée, celle-là.

– Comme on se retrouve! jubilait Celsa.

La femme a étalé tout son mépris pour notre noble cause en émettant de ses sombres entrailles un son déplacé.

– Je vais la démonter, la négresse! a crié Saint-Cyr en lançant son poing.

Le regard furibond de Celsa l'a stoppé net.

– Comment oses-tu? Toi, un lieutenant de la Foulée verte! Employer ce mot connoté!

La voir ainsi en colère, accolée par-derrière à la femme au passé africain qui avait, elle aussi, un physique, avait un je-ne-sais-quoi de troublant qui me faisait palper le paquet de cigarettes. Celui-ci, bio calé au fond de ma poche fessière, semblait modifier le centre de gravité de toute ma personne.

Ulis s'est approché de la prisonnière.

– Dis-nous, prisonnière, comment peut-on sortir du quatrième? a-t-il demandé avec son air digne.

La ch… chamelle s'est contentée de sourire:

– Jamais Enfance et vaccin ne s'abaissera devant des mécréants qui négligent les souffrances des bambins du tiers monde.

Elle a récité la sentence avec un air de Jeanne d'Arc au bûcher, et nous sommes restés béants, cloués par son intransigeance, impressionnés par cette idéologie pernicieuse qui l'avait imbibée.

– Quel immonde lavage de cerveau! s'est emporté Josas. Se rend-elle seulement compte, cette sauvage, des dégâts causés à l'environnement par ces pu… maquereaux d'enfants qu'elle défend? Sais-tu, bamboula, que tes bambins chéris n'hésitent pas à braconner l'éléphant? Mais oui, mamzelle, on l'a vu. En Angola, au Kenya, en Ouganda. Et ça, Enfance et vaccin ne veut pas le voir. “C'est pas mon affaire”, qu'elle dit, Enfance et vaccin. Le pachyderme, lui, disparaît. Ce qui est loin d'être le cas de tes pu… maquereaux d'enfants, dont on ne sait que faire tellement il y en a.

Rétrospectivement, je conçois que les propos de Josas ont été un peu raides, surtout le terme “sauvage” qui a fait tousser Celsa, mais il avait des circonstances pour lui, la pression, le désespoir de notre situation, la sensation de perdre la guerre. C'était très dur, vous savez, de voir ainsi notre juste cause réduite à néant par des salopards sans scrupules.

Car ils l'étaient, je le répète. Il suffisait d'écouter les cris de nos camarades du troisième pour comprendre qu'ils passaient un très mauvais quart d'heure. Ils se battaient comme de beaux diables, nos camarades, à un contre trois, avec de nombreux blessés dans leurs rangs, mais ils reculaient, c'était inévitable, et l'on entendait par la cage d'ascenseur leurs cris de douleur et d'angoisse, parsemés d'appels au secours.

Que pouvait-on faire? Malades d'impuissance, on leur lançait des encouragements.

– Tenez bon! criait Saint-Cyr.

– Visez les seins! conseillait Celsa.

– On arrive, les amis! mentait Josas tandis que des larmes coulaient sur ses joues.

Soudain, un cri plus atroce que les autres:

– L'Exxon Valdez, ils ont eu l'Exxon Valdez!

Le bureau d'Ulis avait été pris.

C'était la goutte de trop. À imaginer notre sainteté entre des mains infidèles, notre sang n'a fait qu'un tour. Les minutes magiques de la communion nous sont revenues en mémoire, le goût du pétrole a resurgi sur nos lèvres.

Nous nous sommes regardés. Les gestes à accomplir nous sont venus d'instinct.

On s'est assis en cercle et on a scandé le saint nom de l'Exxon Valdez, de plus en plus fort comme l'autre nuit, sauf que l'on était plus nombreux cette fois et plus musclés. Du troisième, échappant au fracas de la bagarre, le cri de ralliement universel nous répondait, nos camarades chantaient eux aussi, de plus en plus faiblement, hélas, comme le murmure d'un ruisseau éternel: Exxon Valdezzzz…

L'esprit de la Foulée verte est descendu sur nous. Nos forces physiques ont été démultipliées. Et nos moyens intellectuels ont battu les indices. Car c'est précisément après avoir appelé par trois fois l'Exxon Valdez que Malabry a eu son idée géniale.

– L'ascenseur! a-t-il crié. Il suffit d'ouvrir la cage du quatrième avec un outil, comme on a fait pour la nôtre, et de descendre en rappel, le long du câble de sécurité, sur un étage. Depuis la panne électrique, les battants du troisième ferment mal. On les a juste tirés pour que personne ne tombe par inadvertance. On les ouvre de l'intérieur en un coup de main.

Ulis a écouté, Ulis a souri, Ulis a crié:

– La providence est avec nous!

Une immense clameur a jailli de nos tripes. Les dangers de la cage d'ascenseur nous importaient peu. On se pressait pour aller au combat. Le corps démangeait. Les mains voulaient des claques, les fronts, des coups de boule, les genoux pensaient aux entrejambes, les pieds, aux tibias. À défaut de vaccins, les poings tapaient les murs. Ils s'échauffaient.

Ulis organisait la contre-attaque.

– Saint-Cyr, tu prends vingt bénévoles. Josas, les vingt suivants. On fera deux vagues espacées d'une minute. Votre objectif: leur couper le chemin de la retraite vers les escaliers. C'est la priorité. Ainsi, après les avoir vaincus au troisième, on s'emparera du cinquième. En avant!

Saint-Cyr a ouvert la cage d'ascenseur. Sa main a attrapé le câble, il nous a fait “yo!” en montrant le pouce et il a plongé. Sa section l'a suivi comme un seul homme, impressionnante de discipline et de motivation. Les vaccins allaient déguster.

La femme au passé africain a bien essayé de les avertir.

– Attention! a-t-elle crié. Les écolos arrivent par…

Josas lui en a collé une sous le menton, ses ivoires mortel blanches ont fait clac! – elle a perdu connaissance. On lui a mis des menottes.

– Julien, tu restes ici avec la prisonnière, a dit Celsa.

J'ai protesté car je voulais absolument participer au débarquement. Il y allait de mon honneur de bénévole au service de la Foulée verte. Sans oublier mon rôle d'historien dans ces instants glorieux de reconquête, moi qui devais décrire notre épopée dans le cahier à spirale.

Ils n'ont rien voulu savoir.

– Tu es le moins expérimenté des combattants, ont-ils remarqué avec raison, et il faut quelqu'un pour surveiller cette ch… chamelle. Désolés. Profites-en pour relire ton cahier.

Un par un, ils sont descendus vers la revanche, et l'on a pas tardé à entendre les cris de panique des vaccins, relayés par les hurlements de joie. C'étaient les nôtres que l'on libérait.

Je suis resté seul au quatrième, avec la femme dont la couleur n'est pas discriminante.

Elle saignait tranquillement par le nez, et j'ai été étonné du contraste que faisait le liquide sur sa peau sombre: du très beau rouge, plus saturé de couleur, m'a-t-il semblé, que le sang ordinaire.

Le sang gouttait sur la plénitude agréable de son corsage. Comme elle était menottée, je me suis approché suffisamment pour distinguer son grain de peau si particulier. Involontairement, je faisais la comparaison mentale avec Celsa, l'incurvé des reins, l'élasticité du mollet, et le paquet de cigarettes gémissait dans mon pantalon. J'étais à deux doigts de me laisser aller. Heureusement elle a miaulé sans reprendre conscience, et je suis revenu aux réalités.