39434.fb2 Promenade - читать онлайн бесплатно полную версию книги . Страница 14

Promenade - читать онлайн бесплатно полную версию книги . Страница 14

Cette rue n'avait rien qui puisse la distraire. Elle préférait s'imaginer en famille, avec tous ces problèmes matériels qu'il faudrait résoudre sans autres ressources que le salaire famélique de son époux dont la santé fragile ne présagerait pas grand-chose de bon.

Par précaution, elle prendrait un travail. Quand elle reviendrait le soir épuisée, elle trouverait les enfants en pleine turbulence et exaspérée elle porterait la main sur eux.

Elle est entrée dans une boutique. On y vendait du papier à lettres et des stylos. Elle aurait pu envoyer un mot à quelqu'un pour annoncer sa venue, on lui aurait préparé une chambre et une collation. Elle mangerait de bon cœur, mais quand elle se retrouverait au lit, elle regretterait son foyer, elle se dirait mes enfants méritent mieux que de ne pas exister et mon mari de tourner autour de la planète comme un cerf-volant perdu dans la stratosphère sans que je l'aie jamais vu. Elle pleurerait, elle se dirait les larmes traversent la peau comme de l'acide et demain je serai défigurée.

Le papier mauve était triste, le blanc l'aurait éblouie, les autres couleurs lui semblaient quelconques. Il valait mieux qu'elle téléphone aux gens pour les prévenir de son arrivée. Parfois elle serait accueillie à bras ouverts par des personnes qui compteraient sur sa présence pour égayer leur couple agonisant. À leur contact, lui viendrait le dégoût du mariage et de la procréation. Elle se dirait je ne regrette pas mon époux, et mes enfants peuvent rester à l'état de pantins gluants dans les testicules roses et velus de leur affreux papa.

Elle aurait pu prendre une boîte de crayons noirs, un calepin, un calendrier perpétuel. Il fallait encore qu'elle éprouve un certain plaisir à posséder l'objet, sinon elle le jetterait dans le caniveau et elle irait chercher plus loin un remède à son désœuvrement. Elle se dirait alors que mieux valait un mari avec des épaules trop étroites, et les enfants qu'il lui avait donnés. Elle apprécierait la vie familiale, le salon rempli de jouets et les étagères encombrées de vieilleries. Elle mettrait la vaisselle dans la machine, elle aimerait l'entendre travailler à sa place comme une esclave recourbée, émaillée, brillante et blanche comme une dent de lait.

Elle est sortie de la boutique. Elle ne ferait pas tout le ménage, il faudrait aussi qu'il assure le nettoyage des vitres et qu'il bricole tous les dimanches une ou deux heures durant.

La rue n'avait pas de charme, les gens passaient tête baissée comme dans un tunnel.

Elle savait qu'il regimberait parfois, préférant la lecture du journal enfermé dans la salle de bains aux corvées qu'elle lui proposerait chaque week-end en guise de loisirs. Elle devrait hausser le ton, et pour se faire entendre clairement le menacer d'un divorce avec séparation immédiate. Elle enverrait valser valises et sacs de voyage. Il quitterait son repaire, il prendrait un chiffon dans la cuisine et commencerait à nettoyer les vitres du salon. Elle n'aimerait pas sa tête de perdant, elle lui dirait moi aussi je trime, j'ai repassé tes chemises et j'ai lavé le sol des chambres. Elle s'apercevrait en lui parlant qu'à présent sa vie était devenue une matière solide, qu'elle avait perdu la fluidité soyeuse de la jeunesse.

Les gens se bousculaient devant une boulangerie. Elle s'est mise dans la queue. Elle était fatiguée, elle avait envie de s'appuyer contre quelqu'un et de se laisser traîner comme un petit wagon.

La vendeuse s'impatientait. La cliente derrière elle a demandé du pain, un type a acheté une brioche. Puis elle s'est trouvée coincée près des bonbons, et on ne s'est plus intéressé à elle. Elle n'avait pas faim, elle aurait pu acheter un sachet de caramels pour les enfants de la famille où elle passerait la nuit prochaine. Mais les parents refuseraient peut-être ce cadeau trop sucré qui risquerait de s'attaquer à leurs dents pendant la nuit.

Quand elle serait mariée, elle reprocherait à son époux d'avoir une carie apparente sur la gauche du maxillaire. Elle lui en voudrait aussi de n'avoir qu'une paire de chaussures et deux costumes. Il prendrait un bain le samedi, et elle regretterait qu'il occupe si peu de place dans la baignoire. Elle lui dirait tu n'as pas de taille, tu ne fais aucun volume. Il lui répondrait qu'à l'intérieur il était encombrant comme une ville. Elle se dirait j'espère que les enfants ne lui ressembleront pas.

Le soir, elle sortirait dès qu'il aurait fermé l'œil. Elle serait cliente des bars de nuit, des dancings, à la recherche du sperme d'un beau corps. Mais à chaque fois la semence de son mari vaincrait, ses enfants naîtraient maigres et courts, avec un cri répétitif qui rappellerait le juron favori de leur père quand il se cognait contre les portes.

Elle a demandé à la vendeuse un assortiment de bonbons. Elle ne s'est pas pressée pour sortir du magasin, elle a fait semblant de regarder les boîtes de chocolat et de pâtes de fruits. Elle s'est intéressée aux gâteaux, elle s'est agenouillée devant la vitrine réfrigérée où des sorbets reposaient sur des étagères blanches de givre.

Quand elle a quitté le magasin elle savait que le boulevard l'attendait, il serpentait sans dessein, même pas celui de l'égarer dans un dédale ou de la faire gober par une bouche d'égout. Les gens avaient des visages ordinaires à peine hâlés par le soleil qui perçait la couverture atmosphérique.

Elle ne pouvait pas rester immobile, elle avait besoin d'être secouée par le mouvement régulier de la marche, même si ce balancement ne dénouait pas son angoisse. À certains moments, elle aurait voulu s'envoler au-dessus de la circulation et rebondir plusieurs fois sur l'asphalte. Puis, elle se serait fondue à nouveau dans la masse des piétons s'émiettant dans les rues.

Son mari serait peut-être une brute, les choses devraient plier sous son autorité. Elle n'aurait pas de jardin secret, tout serait trié par ses soins. Il irait sans elle dans les magasins lui acheter des vêtements, elle devrait les porter même s'ils n'étaient pas tout à fait à sa taille ou si le modèle et la couleur lui donnaient la nausée. Il aurait la haute main sur son visage et son corps. Il lui imposerait plusieurs opérations esthétiques, comme s'il cherchait à sculpter un être nouveau.

Quand ils dîneraient chez des amis, il lui couperait la parole, et il éventerait les petits secrets de leur ménage pour amuser les convives. En rentrant il lui ferait des reproches sur sa conduite, même si elle n'avait rien dit.

– Tu avais la tête de travers.

Il déplorerait aussi une petite tache de vin qu'elle aurait faite sur son chemisier, et les gouttelettes de transpiration apparues à la base de son cou au moment du dessert. Elle aurait les larmes aux yeux. Il lui interdirait l'usage de la parole durant quinze jours. Elle n'aurait même pas le droit de dire un mot furtif dans les toilettes.

Elle avançait, elle regardait parfois un détail dans le paysage. Les femmes se détachaient plus souvent du décor, elle voyait leurs grands yeux charbonneux ou clairs et brillants avec des paupières paresseuses qui ne battaient jamais. Elle aurait voulu avoir le même regard, au lieu des banals organes visuels qu'elle traînait depuis sa naissance.

Certaines s'arrêtaient soudain de marcher pour fouiller leurs poches ou consulter un plan de la ville. Beaucoup avaient dû arriver le matin tôt pour une simple visite, elles rentreraient le soir. Il y en avait aussi qui semblaient autochtones, elles entraient et sortaient des immeubles sans la moindre hésitation.

L'environnement devenait de plus en plus compact. Elle se sentait engloutie, aspirée. Il lui semblait qu'on pouvait se noyer sans une goutte d'eau, disparaître simplement dans un peu de cohue. Elle aurait voulu se laisser tomber sur le sol pour le plaisir d'être piétinée, d'avoir le bassin fracturé, les côtes brisées, et de périr d'un coup de talon dans l'os pariétal.

Elle a tenté de regarder loin au-dessus des têtes. Elle se demandait si tout le monde se dirigeait vers le même point, à part quelques réfractaires qui obliquaient par les rues transversales. L'inauguration d'un grand magasin absorbait peut-être la foule, si elle se laissait emporter elle passerait le reste de la journée à se faire propulser d'un rayon à l'autre. Elle n'en ressortirait qu'à la nuit, avec le dégoût éternel des tissus et des cosmétiques.

Mais la foule est devenue moins dense, et les commerces plus espacés. Elle a vu l'enseigne d'un salon de coiffure. Elle est entrée, un homme lui a demandé si elle souhaitait une couleur ou une coupe.

– Un shampooing.

– Vous pouvez patienter cinq minutes?

On lui a donné des magazines qu'elle a feuilletés avec le sentiment merveilleux de se distraire, de passer le temps, d'oublier que chaque minute est dure à avaler comme du gravier. Elle aimait les publicités pour les parfums, et les filles dans des robes étroites comme des goulots. Elle attrapait des phrases au hasard des articles, elle se les répétait plusieurs fois avant de comprendre ce qu'elles voulaient dire. Mais elle n'en trouvait aucune de semblable au ressassement infini qui clapotait en elle, et elle se sentait un peu plus en retrait de tout le reste.

Elle aurait voulu qu'un homme l'emporte loin, dans une nouvelle vie où l'angoisse serait morte, sèche, inoffensive comme de la poussière en haut d'une armoire. Leurs enfants pousseraient harmonieusement, à l'instar des plantes fleuries disséminées sur la terrasse. À chacun de leurs anniversaires, ils auraient l'habitude de se filmer les uns les autres et de se regarder ensuite sur l'écran. Le lendemain d'une pareille séance l'aîné ferait une fugue, il reviendrait six mois plus tard, ayant gâché une année scolaire. La semaine suivante, son mari aurait un accident mortel au volant de sa voiture. En l'espace de trois mois elle perdrait ses enfants l'un après l'autre, par empoisonnement domestique, noyade et agression.

Durant sa première année de deuil, elle s'enfermerait afin de visionner les images des jours heureux. Puis, elle se trouverait trop jeune pour partager le mausolée de son ancienne famille, et par le biais d'une annonce elle se remarierait. Elle aurait des jumeaux qui à l'âge de quatre ans, perchés sur le même tandem, s'égareraient sur une route à grande circulation et se feraient happer par un poids lourd. Elle pleurerait ses enfants, mais elle serait déjà enceinte d'une petite fille. Son mari ne la verrait pas naître, il aurait un malaise fatal dans un gymnase où il s'agiterait avec trop de fougue pour son organisme mal entraîné. Elle épouserait le directeur de la maternité où elle accoucherait deux mois plus tard. Elle aurait avec lui deux autres fillettes. Cinq ans après, un matin où toute la famille serait réunie dans un avion pour partir en vacances, déprimé, le pilote enfoncerait l'appareil dans la mer.

Elle serait l'unique rescapée. Pendant quelques jours, la compagnie la logerait dans un grand hôtel. Elle y croiserait un homme qui essaierait d'entrer en conversation avec elle malgré son accablement. Ils vivraient ensemble dès le mois suivant. Un soir, il rentrerait fatigué et elle lui trouverait mauvaise mine. Il refuserait de dîner, mais une fois couché il aurait envie d'elle et succomberait dans ses bras. Elle se sentirait marquée par le malheur, elle regretterait de n'être pas décédée à la place de tous ces gens qu'elle avait côtoyés de si près. Elle s'imaginerait la mort comme un orifice qui vous excrétait dans le néant.

Chaque soir, elle mangerait seule dans sa cuisine. Elle verrait tous ses anciens maris grimper aux murs, ainsi que les enfants qu'elle avait perdus. Ils auraient la taille d'une souris, leurs pattes vibratiles colleraient à la paroi. Ils se déplaceraient à grande vitesse, atteindraient le plafond, et retomberaient sur elle en pluie, la recouvrant comme une perruque. Elle se persuaderait de l'imbécillité de ses perceptions, elle se dirait je suis seule, il ne se passe rien. Mais l'averse continuerait, et elle devrait quitter la pièce.

Parfois, le phénomène se reproduirait au salon ou dans la salle de bains. Ses défunts lui feraient horreur, et pour leur échapper elle se réfugierait sur le balcon malgré l'hiver. Un soir, elle comprendrait que le seul remède à sa démence était radical et cruel. Elle sauterait.

Le coiffeur étirait la chevelure grise et bleue d'une cliente qui se plaignait de ne plus rien avoir sur le caillou. Par la vitrine elle voyait la rue, elle ne savait pas si elle supporterait cette marche forcée jusqu'au soir et si elle ne rentrerait pas plutôt dormir. Elle se réveillerait dans la soirée, face à la nuit à peine entamée, avec le lendemain déjà visible à l'horizon, et le reste du cours du temps comme un paysage infini.

Elle enviait la vieille femme aux cheveux rares dont l'avenir ne représentait plus qu'un jardinet dont la surface rétrécissait de plus en plus vite. Le coiffeur l'a massée avec une lotion, puis il lui a mis un bonnet en plastique transparent et il lui a dit qu'il fallait attendre une dizaine de minutes afin que tous les composants aient pénétré le cuir chevelu. Puis il s'est occupé d'une autre cliente, et d'une autre encore en lui faisant parfois un signe quand il la voyait s'impatienter.

Il est revenu à la vieille femme, il lui a séché les cheveux. Quand elle est sortie du salon de coiffure, elle avait encore moins d'existence devant elle que lorsqu'elle y était entrée une heure et demie plus tôt. Elle allait peut-être vivre dix-huit mois de plus, le temps de manger cinq cents yaourts, trois mille biscottes, et d'user sept brosses à dents. Elle mourrait un matin en s'étouffant avec du pain beurré, mais elle aurait succombé de toute façon six semaines plus tard d'une crise d'urémie. Personne ne voudrait adopter son chat noir trop pelé. Il serait euthanasié par un vétérinaire aux gestes doux.

– Vous me suivez?

L'homme l'a entraînée vers les bacs, il lui a fait un shampooing. Il lui a frotté les cheveux avec une serviette, elle est allée s'asseoir sur un fauteuil. Elle s'est dit qu'en sortant elle serait victime d'une balle perdue. Depuis le matin, un adolescent caché dans une chambre sous les toits s'amusait sans doute à tirer dans les roues des voitures, cette fois le projectile rebondirait sur une jante et finirait sa course dans sa poitrine.

Sa mère se souviendrait tout le reste de sa vie de la soif qui l'avait saisie en sortant du cimetière. Elle prendrait plusieurs consommations au comptoir d'un petit troquet sombre, et elle irait aux toilettes les vomir. Par peur de la solitude, elle vivrait chez une parente durant trois jours, l'aidant à coudre des housses pour sa belle-fille. Elles parleraient beaucoup du deuil, de la tristesse de porter en terre un être cher.

Quand elle rentrerait chez elle, le chagrin aurait perdu de son intensité. Elle pourrait passer l'aspirateur, lire un journal, manger une omelette, sans penser forcément à elle. Le souvenir de sa fille s'enroulerait peu à peu dans sa mémoire à la façon d'un papyrus, et elle ne serait pas obligee de l’avoir à tout moment à l'esprit comme une obsession. Elle reviendrait à ses anciennes habitudes de vieille femme active toujours à l'affût d'une jupe en solde ou d'un coupon de toile rayée dont elle ne recouvrirait jamais rien.

Elle perdrait la vue et l'ouïe à la suite d'un accident de la circulation. Elle passerait plusieurs mois dans un institut où on lui apprendrait à s'exprimer avec des gestes comme avec des phonèmes. Quand elle rentrerait à son domicile, elle serait gardée par une infirmière. Son gosier produirait une sorte de chant d'allégresse désagréable à l’oreille. On aurait tendance à lui faire des piqûres pour ne plus l'entendre. On l'attacherait à son lit afin qu’elle ne rôde pas d'une pièce à l'autre, renversant les meubles et enfonçant sa tête dans les carreaux des fenêtres.

Il lui resterait assez de conscience pour s'apercevoir qu'elle n'était pas encore motre, et que tout son cerveau lui appartenait encore. Elle regretterait de s'en être si peu servi au cours de son existence, d'avoir privilégié l'extérieur ainsi que les êtres qui le peuplaient. Elle regretterait tout ce temps gâché en conversations, marques d'affection, et d'une façon générale tout cet amour distribué autour d'elle comme un dû. Elle aurait voulu n'être qu'une tête oubliée sous une grosse pierre, crustacé nourri par les pluies ou le ruissellement d'une rivière. Elle regretterait d'être toujours reliée à ce corps, elle en serait embarrassée tout autant que du lit. Elle exécuterait des petits sauts pour essayer de se libérer de ces deux fardeaux. On lui ferait des injections de plus en plus rapprochées, et elle se calmerait. Un an et demi après son accident, durant une matinée d'hiver ensoleillée, elle bénéficierait d'un décès sans angoisse.

Son enterrement serait l'occasion pour les deux amies d'enfance qui lui resteraient de critiquer les manières brusques des fossoyeurs et d'aller déjeuner ensuite dans un restaurant espagnol. Six mois plus tard, elles seraient mortes toutes les deux. La première, seulement trois semaines après les obsèques, d'une attaque cérébrale. L'autre gagnerait un voyage à un concours et serait dévorée par un fauve pour avoir voulu l'observer de trop près. Sa dépouille resterait tout entière dans les entrailles de l'animal. Ses enfants auraient quand même l'intention de faire graver son nom sur le marbre de leur caveau. Mais ils négligeraient ce détail pendant des années, puis ils atteindraient les uns après les autres la butée de leur existence.

Un arrière-petit-fils vendrait le caveau pour faire construire une piscine dans le jardin de son pavillon. Il mourrait trente ans plus tard. Sa fille unique refuserait de s'occuper de ses obsèques. Elle avalerait plutôt des médicaments, de l'alcool et du mercurochrome. Elle aurait depuis trois ans une relation amoureuse avec un élève ingénieur, sa mort le dispenserait de rompre comme il en aurait eu l'intention depuis quelque temps. Il épouserait une fille moins écervelée. Vingt-huit mois après, une atteinte virale l'emporterait. Pour surmonter son chagrin sa veuve travaillerait à corps perdu toute sa vie durant, et elle aurait les larmes aux yeux le jour de son départ à la retraite.

– Et si je les coupais?

– D'accord.

Elle aurait voulu qu'il lui rase le crâne, afin de sentir l'air frais sur sa peau comme sur un pied nu.

– J'enlève un peu d'épaisseur.

– Si vous voulez.

Maintenant, elle se sentait indifférente à ce qui était en train de se dérouler. Elle était entrée ici pour fuir le boulevard, elle se demandait s'il existait un autre lieu dans les parages où elle puisse se réfugier. Elle n'aimait pas voir son visage dans le miroir, avec ce type dans son dos qui levait ses cheveux en l'air. Elle ouvrait grand la bouche, elle se montrait les dents, elle avait l'air d'une affreuse petite jument assise dans un fauteuil pour les besoins d'un conte de fées.

Elle aurait dû profiter de cette présence. Dire d'abord une phrase au hasard, puis essayer de développer une conversation. Il avait sûrement des idées sur les cheveux, et il était peut-être passionné par la lecture des magazines qu'il proposait à sa clientèle. Elle pouvait entamer un dialogue, il lui confesserait son penchant pour les huîtres, les objets en pâte de verre, les décalages horaires qui lui donnaient l'impression de saisir la réalité avec des yeux nouveaux.