39434.fb2 Promenade - читать онлайн бесплатно полную версию книги . Страница 7

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Désormais, elle n'aurait plus de relations sexuelles qu'à l'extérieur, son appartement deviendrait un lieu confidentiel où elle pourrait se déployer tout entière et gratter ses plaies dont elle lécherait le jus à pleine langue. Elle garderait sa vie, ne la partageant jamais avec personne, et puis pour aller plus vite, elle mourrait une cinquantaine de mois plus tard, tombant d'un balcon mouillé de pluie et dépourvu de rambarde. Quelqu'un la verrait atterrir sur le bitume, il s'évanouirait et on le transporterait avec elle à l'hôpital. Il en sortirait le soir même, et elle serait inhumée le surlendemain. A quelques mois de là, après avoir reçu trois lettres recommandées du propriétaire, sa mère viderait enfin son appartement.

Elle n'avait aucune envie de faire la cuisine pour ce type. Elle a acheté des boîtes de conserve, des canettes de bière et des pommes. Elle garderait les boîtes pour elle, il grignoterait simplement un fruit en buvant son verre. S'il se révélait en mauvaise forme sur l'oreiller, elle lui ferait une réflexion.

En arrivant, elle a mis les bières au frais puis elle s'est fait couler un bain avec deux gouttes de parfum. Elle s'est dit que si elle restait nue, il n'aurait même pas à la déshabiller et que les choses seraient plus rapides. Il poserait son doigt sur le bouton de la sonnette, et douze minutes plus tard il serait à nouveau derrière le volant de sa voiture. Sa femme le trouverait même un peu en avance ce soir-là.

– Je me suis dépêché.

– La petite dort depuis cinq heures et demie.

– Je suis crevé.

Il mangerait une aile de poulet froid, supporterait quelques minutes de télévision à côté d'elle sur le canapé blanc. Ensuite, il somnolerait.

– Va te mettre au lit.

– Tu as raison.

A la fin de l'année, il serait licencié par l'entreprise qui l'emploierait. Il chercherait sans résultat un autre travail plusieurs années durant. Sa femme le quitterait. Seul, n'ayant plus droit à aucune prestation, il ne tarderait pas à se laisser digérer par la misère et disparaître.

Vers l'âge de sept ou huit ans sa fille demanderait à sa mère de se remarier avec un homme qui mette un peu d'ambiance à la maison. Elle en aurait assez de ces soirées sans fêtes, sans amis apportant jouets et petits cadeaux pour remercier de la charmante invitation à dîner. Elle voudrait partir en vacances dans la villa ensoleillée d'un beau-père fortuné. Elle s'amuserait à le pousser dans l'eau quand il ferait la sieste au bord de la piscine. Il serait susceptible, il demanderait à sa mère de l'expédier en colonie. La gamine ferait son sac la rage au cœur, on l'amènerait à la gare. Pour mécontenter sa mère, elle se jetterait sous un train. L'enterrement serait rapide, exécuté par des croque-morts crevant de chaud entre les tombes rouillées du cimetière de la bourgade.

La mère aurait envie de se précipiter du haut de la falaise afin de rejoindre sa fille tout de suite dans le petit caveau dont elle aurait fait l'acquisition la veille. À l'aube, une vague rejetterait son cadavre entre deux rochers. Le jour de l'inhumation, bien que triste, le mari resterait à la villa pour recevoir un couple d'amis invités de longue date. Le lendemain il les emmènerait avec lui fleurir la tombe. Il n'aurait pas le moindre goût pour le suicide, il aurait aimé pourtant s'allonger immobile à côté d'elles, et se reposer à jamais de sa vie professionnelle épuisante. Son existence se poursuivrait dix années encore.

Une coupe de cheveux aurait donné un peu d'éclat à son visage de jeune femme désespérée. Même quand elle était seule, elle détestait se déshabiller et mettre à nu ce physique qu'elle n'aimait pas. Une fois dans l'eau, elle se sentait moins raccordée à lui, sa tête flottait comme une bouée autonome, détachée soudain de la corde qui la retenait au corps mort enfoui au fond de la baignoire.

Le téléphone s'est mis à sonner, elle aurait trouvé ridicule de se lever toute trempée pour lui courir après. Elle n'écouterait même pas le message si la personne prenait la peine d'en laisser un.

Quand ce type allait se pointer, elle l'entraînerait tout de suite dans la chambre et elle le renverserait en silence sur la couette. Si ensuite il avait soif, elle lui dirait d'aller se servir à la cuisine. Puis il faudrait qu'il parte sans rien oublier derrière lui qui puisse être un prétexte à revenir sonner. Par méchanceté elle lui dirait d'aller retrouver sa famille, et au contraire il sourirait. Quand il serait parti, elle téléphonerait à sa mère pour l'avertir que sa fille ne trouvait même plus d'homme et qu'elle allait passer la nuit sous son lit en signe de deuil.

– Tu es farfelue.

– Maman.

– Je te sens bizarre.

Elle ne trouverait pas l'injure appropriée à sa génitrice, elle raccrocherait. Elle boirait les bières qui resteraient, puis des fonds de bouteilles pêchées dans les placards. Elle dormirait, se réveillerait à trois heures du matin en regrettant qu'il ne soit pas resté à sa disposition toute la nuit. À présent, elle s'en serait resservi, actionnant son sexe comme une manette qui l'aurait réveillé et qui aurait remis instantanément la machine en marche.

Le coït terminé, elle l'aurait laissé se rendormir, mais peut-être qu'elle l'aurait utilisé encore à l'aube. Disposer toute une nuit d'une possibilité de coït pouvait bien se payer du désagrément d'avoir à supporter le bruit d'une respiration étrangère et une odeur de sueur refroidie. Elle le garderait, il ne sortirait plus de son domicile. On le croirait assassiné, décapité, enterré morceau par morceau dans d'innombrables terrains vagues. Elle le thésauriserait, le nourrissant, lui taillant les ongles, les cheveux, regardant avec lui les matchs et les championnats. Elle prendrait même un travail, gagnant assez d'argent pour lui rapporter des costumes en alpaga et des cravates en soie bien qu'il ne mette jamais le nez dehors.

Un jour il s'échapperait. Sa femme serait remariée, et il lui aurait fallu entreprendre trop de démarches pour retrouver ses droits sur sa fille. Il reviendrait le lendemain. Elle ne lui ferait aucun reproche, leur vie reprendrait son cours. À leur mort ils ne laisseraient derrière eux que du désordre dans ce petit appartement aux vitres rendues opaques par l'incurie.

En sortant du bain, elle s'est détaillée devant la glace. Perdre trois kilos n'aurait fait qu'aggraver les choses, une poitrine avachie et des fesses absentes auraient transformé son corps en un champ de ruines qu'elle aurait été contrainte de camoufler éternellement sous des robes floues et lourdes comme des habits sacerdotaux. Elle devait se conserver telle qu'elle était, toute tentative d'amélioration provoquerait d'irrémédiables déséquilibres, et de quelconque elle deviendrait laide.

Elle a mis des sous-vêtements ajourés, une robe en foulard et une paire de grosses boucles d'oreilles en bakélite bleue. Il devait arriver dans trente minutes, elle s'est assise sur le canapé. Elle aurait pu se vernir les ongles des mains, des pieds, ou se masser les jambes du bout des doigts. On a sonné à côté, une porte s'est ouverte, il y a eu des bruits de voix, puis elle s'est refermée. L'ascenseur s'est démené dans les deux sens, elle était agacée qu'il ne s'arrête jamais à son étage.

Il était en retard. Elle ne voulait pas le guetter à la fenêtre de crainte qu'il l'aperçoive en descendant de sa voiture. Leur rapport serait peut-être précédé d'un échange verbal. Elle lui parlerait d'un projet de voyage sans fondement, il lui dirait que cette année ils ne partiraient pas en vacances afin de pouvoir acheter des meubles.

Elle lui a ouvert la porte. Au lieu de le faire entrer dans la chambre, elle a préféré l'introduire au salon. Il s'est lancé dans une conversation polie, elle répondait à ses questions par des phrases brèves qui lui semblaient se ficher dans la cloison d'en face comme des fléchettes. Elle n'avait pas envie de lui, elle voulait juste poser sa maIn sur son visage, comme pour en prendre l'empreinte aux méplats rugueux et sentir un humain au bout de son bras.

Elle lui a demandé s'il avait toujours un corps aussi musclé. Il a haussé les épaules, elle le prenait pour un autre. Il s'est levé du canapé, il est allé jusqu'à la porte du petit couloir. Il est revenu, il a tourné en rond dans la pièce. Il lui a semblé de plus en plus indéterminé, de plus en plus irréel au fur et à mesure que sa présence se prolongeait. Elle s'en est approchée, elle l'a touché du bout des doigts à l'endroit du cou.

– Tu veux boire une bière?

– Oui.

Elle est allée la lui chercher, elle est revenue. Une fois son verre vidé, il aurait pu l'attaquer et l'abandonner encore gémissante d'un orgasme rapide comme une piqûre de guêpe.

Il s'est mis à l'observer, il était loin de se souvenir d'elle. Le rapport qu'ils avaient eu ensemble deux ans auparavant lui paraissait lointain. Il imaginait sa chair, il pourrait y poser ses mains, son sexe, sa langue, avant de l'achever de quelques coups de bassin. Elle avait même un visage assez bien fait qu'il pourrait regarder pendant l'amour, comme pour s'assurer que rien dans son cerveau de femme ne désapprouvait l'action qu'il exerçait sur sa vulve.

Il a toussé, il a souri. Il a remué son bras gauche, il ne se rendait plus compte de ses gestes. Il a laissé tomber ses yeux sur le vagin présent dans la pièce et perdu sous l'épaisseur des vêtements. Il pouvait s'en servir tout de suite, puis l'utiliser comme alternative régulière à la monotonie de sa vie de famille.

– Sinon, tu es content?

– J'ai encore soif.

Il verrait cette femme prendre de l'âge à mesure que sa fille grandirait, et sans qu'il sache pourquoi la puberté de l'une entraînerait une rupture immédiate avec l'autre. Il se contenterait alors du lit conjugal, et peut-être d'épisodiques relations à l'heure du déjeuner avec une de ses assistantes qui admirerait sa position ascendante au sein de la compagnie.

À cinquante-trois ans, il aurait des jumeaux avec une stagiaire à peine sortie de l'adolescence. Il. refuserait de les reconnaître, elle essaierait de les élever sans lui. Mais un soir elle leur donnerait des coups de marteau pendant leur sommeil. Il serait obligé de comparaître à l'audience, son témoignage serait piteux. Par la suite, sa fille refuserait de l'approcher, même pour une accolade.

Sa femme le supporterait quelque temps, mais elle le trouverait triste, sa joie de vivre serait éteinte et les soirées avec lui deviendraient déprimantes. La nuit, il se lèverait pour boire un verre d'eau, lire un journal, regarder le canal à travers les vitres. Par moments, il se promènerait dans l'appartement sans allumer la lumière, et il lui arriverait une fois de chuter dans le périmètre restreint des toilettes. Il ferait quinze jours de clinique. De retour au bercail il offrirait à sa compagne un visage encore plus mélancolique et défait. Elle lui poserait des questions, il n'y répondrait pas. Elle inviterait des amis pour le distraire, mais dès l'apéritif il se replierait dans son petit bureau sous prétexte d'une envie soudaine de somnoler. Elle organiserait un voyage, il fermerait les yeux tout le temps, ne mangerait rien, chantonnerait même la tête dans les mains pour ne rien entendre des concerts et des opéras qui leur seraient offerts.

En rentrant elle vendrait leur maison à la campagne, elle partagerait leur patrimoine en deux parts égales. Il s'en irait avec son chèque dans la poche de sa veste, ainsi que deux lourdes valises où elle aurait entassé une partie de son linge et de ses costumes.

Il marcherait jusqu'au crépuscule dans l'air de janvier. Il reviendrait chez lui à l'heure du dîner, mais elle lui refuserait l'accès à l'appartement. Il traînerait dehors toute la nuit. Il marcherait sur les quais aux pavés inégaux. Il ferait un vol plané, sa tête s'écraserait, pareille à un œuf au blanc rouge et liquide comme de l'eau.

Elle aurait voulu connaître l'état de sa verge, flasque, avec son réseau de rides, ou au contraire déjà tendue, lisse et prête.

– Je suis venu parce que tu m'as appelé.

– Tu peux repartir.

– J'ai déjà perdu plus d'une heure.

– On va dans la chambre?

– Oui.

Ils se sont déshabillés au pied du lit. Elle a pris sa main, elle l'a posée sur son pubis. Il a compris tout de suite qu'il ne voulait pas d'elle, qu'il aurait préféré encore coucher avec son épouse. Il a remis ses vêtements, il a fait couler de l'eau dans la salle de bains. Il a renoué sa cravate devant le miroir. Il lui a dit que l'air était trop sec, qu'il se méfiait du beau temps qui desséchait l'organisme. Elle lui a répondu qu'il y avait eu un orage dans l'après-midi.

Il lui a dit au revoir. En rentrant chez lui, il a été obligé de s'arrêter sur le bord de la route. La tête lui tournait comme s'il allait s'évanouir. Plus tard dans la soirée, après avoir dîné avec sa femme, il s'est rendu compte lors d'un passage aux toilettes qu'il avait éjaculé dans son slip.

Nue sur le lit, elle pleurait. Elle voyait les morceaux de sa vie juxtaposés devant elle comme les lames d'un parquet immense. Avec le chagrin, remontaient les souvenirs d'enfance, et aucun ne lui plaisait. Elle cherchait à les attraper avec ses doigts, elle les aurait dilués dans le lavabo. Elle en aurait rempli une bouteille qu'elle aurait fracassée avec jubilation contre un mur.

Elle se levait, elle évitait son reflet dans la glace et les carreaux en céramique. Elle s'aspergeait d'eau, elle se faisait un shampooing comme si elle avait le secret espoir qu'il pénètre à l'intérieur et nettoie ses humeurs noires. Elle se séchait en essayant de se trouver plus gaie, en projetant une sortie qui lui fasse oublier l'humiliation de ce début de soirée. Sa mère accepterait d'aller avec elle au cinéma, en sortant elles auraient une conversation dans un café, la dispute qui s'ensuivrait lui changerait les idées et elle rentrerait chez elle soulagée.

Elle marcherait en souriant et plusieurs hommes l’aborderaient. Elle croirait voir de la neige tomber et un rayon de soleil se réveiller dans la nuit. Elle aurait envie de rencontrer cette fille aux jambes arquées avec qui elle allait à l'école autrefois. Elle lui dirait sûrement qu'elle n'avait pas de mari, mais que son bébé lui suffisait. Elle l'emmènerait chez elle pour le lui montrer. Peu à peu d'anciennes aigreurs remonteraient à la surface, et elles se disputeraient au-dessus du berceau. Elle s'en irait en claquant la porte de toutes ses forces dans l'espoir de réveiller le gamin encore endormi malgré leurs cris. Quand elle serait dans la rue, elle aurait envie de remonter la griffer. Elle se vengerait sur une femme volumineuse qu'elle accuserait d'encombrer le trottoir avec ses kilos superflus.

Il neigerait, cette fois par bourrasques. Elle se plierait en deux derrière un camion en stationnement pour essayer de s'abriter. Elle se rappellerait d'un bonhomme de neige sans chapeau ni visage que des élèves avaient fait un hiver dans la cour de récréation. Elle se redresserait, elle se demanderait pourquoi il neigeait encore sur le pare-brise de certaines voitures et pas ailleurs. Elle continuerait à marcher en direction de son domicile. Son cerveau persisterait à injecter l'image qu'il lui donnait de la voie publique de phénomènes météorologiques inexistants. Elle essuierait un petit orage, la foudre tombant dans le caniveau à quelques mètres d'elle, et de grosses gouttes de pluies inondant ses joues.