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6 février.
Vous me permettrez de vous dire que l’on fait un peu plus de bruit de ces maximes qu’on ne devrait et qu’elles ne méritent. Je ne sais si on y a ajouté ou changé quelque chose comme on a accoutumé de faire. Mais si elles sont comme je les ai vues, je crois qu’on les pourrait soutenir sans grand péril, au moins si on peut être bien fondé à soutenir un ramas de diverses pensées à qui on n’a point encore donné d’ordre, ni de commencement ni de fin. Il peut y avoir même quelques expressions trop générales que l’on aurait adoucies si on avait cru que ce qui devait demeurer secret entre un de vos parents et un de vos amis eût été rendu public. Mais comme le dessein de l’un et de l’autre a été de prouver que la vertu des anciens philosophes païens, dont ils ont fait tant de bruit, a été établie sur de faux fondements, et que l’homme, tout persuadé qu’il est de son mérite, n’a en soi que des apparences trompeuses de vertu dont il éblouit les autres et dont souvent il se trompe lui-même lorsque la foi ne s’en mêle point, il me semble, dis-je, que l’on n’a pu trop exagérer les misères et les contrariétés du cœur humain pour humilier l’orgueil ridicule dont il est rempli, et lui faire voir le besoin qu’il a en toutes choses d’être soutenu et redressé par le christianisme. Il me semble que les maximes dont est question tendent assez à cela et qu’elles ne sont pas criminelles, puisque leur but est d’attaquer l’orgueil, qui, à ce que j’ai oui dire, n’est pas nécessaire à salut. Je demeure donc d’accord que c’est un malheur qu’elles aient paru sans être achevées et sans l’ordre qu’elles devaient avoir. Mais on aurait trop d’affaires sur les bras à la fois, de se plaindre de ceux qui ont tort là-dessus. Nous discuterons à la première vue s’il est vrai ou non que les vices entrent souvent dans la composition de quelques vertus, comme les poisons entrent dans la composition des plus grands remèdes de la médecine. Quand je dis nous, j’entends parler de l’homme qui croit ne devoir qu’à lui seul ce qu’il a de bon, comme faisaient les grands hommes de l’antiquité, et comme cela je crois qu’il y avait de l’orgueil, de l’injustice et mille autres ingrédients dans la magnanimité et la libéralité d’Alexandre et de beaucoup d’autres; que dans la vertu de Caton il y avait de la rudesse, et beaucoup d’envie et de haine contre César; que dans la clémence d’Auguste pour Cinna il y eut un désir d’éprouver un remède nouveau, une lassitude de répandre inutilement tant de sang, et une crainte des événements à quoi on a plutôt fait de donner le nom de vertu que de faire l’anatomie de tous les replis du cœur. Je ne prétends pas de vous en dire davantage, ni faire ici un manifeste. Vous en direz ce que vous jugerez à propos à Mme de Liancourt et à Mme du Plessis. Si vous voulez aussi que M Bernard fasse voir ce que je vous mande à M. de la Chapelle, qui demeure chez M. le Premier Président, vous m’épargnerez la peine de le récrire pour lui envoyer. Je vous donne le bonsoir et suis entièrement à vous. Je n’écrirai pas Mme de Liancourt pour ne la tourmenter pas de cette affaire.