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Je vous renvoie vos maximes, Monsieur, en vous rendant mille et mille grâces très humbles. Je ne les louerai point comme elles méritent d’être louées, parce que je les trouve trop au-dessus de mes louanges. Elles ont un sens si juste et si délicat, quoiqu’il soit quelquefois un peu détourné, qu’il ne faudrait pas moins de délicatesse pour vous dire ce qu’on en pense qu’il vous en a fallu pour les faire. Vous avez une lumière si vive pour pénétrer le cœur de tous les hommes qu’il semble qu’il n’appartienne qu’à vous de donner un jugement équitable sur le mérite ou le démérite de tous ses mouvements, avec cette différence pourtant qu’il me semble, Monsieur, que vous avez encore mieux pénétré celui des hommes que celui des femmes; car je ne puis, malgré la déférence que j’ai pour vos lumières, m’empêcher de m’opposer un peu à ce que vous dites, que leur tempérament fait toute leur vertu, puisqu’il faudrait conclure de là que leur raison leur serait entièrement inutile. Et quand même il serait vrai qu’elles eussent quelquefois les passions plus vives que les hommes, l’expérience fait assez voir qu’elles savent les surmonter contre leur tempérament, de sorte que, quand nous consentirons que vous mettiez de l’égalité entre les deux sexes, nous ne vous ferons pas d’injustice pour nous faire grâce. Il est même bien plus ordinaire aux femmes de s’opposer à leur tempérament qu’aux hommes, lorsqu’elles l’ont mauvais, parce que la bienséance et la honte les y forceraient quand même leur vertu et leur raison ne les y obligeraient pas. Voici les trois de vos maximes que j’aime le mieux et qui m’ont le plus charmée:
1. Il ne faudrait point être jaloux quand on nous donne sujet de l’être il n’y a que les personnes qui évitent de donner de la jalousie qui soient dignes qu’on en ait pour elles.
2. La fortune fait paraître nos vertus et nos vices comme la lumière fait paraître les objets.
3. La violence qu’on se fait pour demeurer fidèle à ce qu’on aime ne vaut guère mieux qu’une infidélité.
Je vous avoue, Monsieur, que, quoique vos maximes soient très belles, ces trois-là me paraissent incomparables et qu’on ne sait à qui donner le prix, ou au sens ou à l’expression. Mais comme vous m’avez engagée à vous parler franchement, trouvez bon que je vous dise que je n’entends pas bien votre première maxime où vous dites: «L’accent du pays où on est né demeure dans l’esprit, et dans le cœur, comme dans le langage.» Je crois que cela est fort bien et fort juste; mais je ne connais point ces accents qui demeurent dans l’esprit et dans le cœur. Je crois que c’est ma faute de ne les entendre ni de ne les pas sentir, et cette maxime me fait connaître ce que vous dites dans la quatrième, que les occasions nous font connaître aux autres et à nous-mêmes.
Cette autre maxime où vous dites que l’on perd quelquefois des personnes qu’on regrette plus qu’on n’en est affligé, et d’autres dont on est affligé quelque temps et qu’on ne regrette guère, n’est pas à mon usage; car la mesure de ma douleur serait toujours la mesure de mon regret, et j’ai grand peine à comprendre que je puisse séparer ces deux choses, parce que ce qui aurait mérité mon attachement mériterait également et mon regret et mes larmes et ma douleur.
La maxime sur l’humilité me paraît encore parfaitement belle, mais j’ai été bien surprise de trouver là l’humilité. Je vous avoue que je l’y attendais si peu qu’encore qu’elle soit si fort de ma connaissance depuis longtemps, j’ai eu toutes les peines du monde à la reconnaître au milieu de tout ce qui la précède et qui la suit. C’est assurément pour faire pratiquer cette vertu aux personnes de notre sexe que vous faites des maximes où leur amour-propre est si peu flatté. J’en serais bien humiliée en mon particulier, si je ne me disais à moi-même ce que je vous ai déjà dit dans ce billet, que vous jugez encore mieux du cœur des hommes que de celui des dames, et que peut-être vous ne savez pas vous-même le véritable motif qui vous les fait moins estimer. Si vous en aviez toujours rencontré dont le tempérament eût été soumis à la vertu, et les sens moins forts que la raison, vous penseriez mieux que vous ne faites d’un certain nombre qui se distingue toujours de la multitude, et il me semble que Mme de La Fayette et moi méritons bien que vous ayez un peu meilleure opinion du sexe en général. Vous ne ferez que nous rendre ce que nous faisons en votre faveur, puisque malgré les défauts d’un million d’hommes nous rendons justice à votre mérite particulier, et que vous seul nous faites croire tout ce qu’on peut dire de plus avantageux pour votre sexe. Etc.