39548.fb2 Salut, Galarneau! - читать онлайн бесплатно полную версию книги . Страница 15

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Au fond, même si j'étais devenu ethnographe comme j'ai déjà pensé, je serais peut-être ici, derrière mon comptoir. Un ethnographe a besoin d'un point de vue pour ethnographier ; mon snack-bar, c'est peut-être le carrefour idéal pour faire une baptême de coupe dans la populace ! Si je voulais, je pourrais commencer aujourd'hui.

- Deux patates avec Ketsup ? Dites-moi : pensez-vous que Dieu est mort ? Sans vinaigre ?

- Êtes-vous heureux ? Je veux dire : qu'est-ce que c'est que le bonheur pour vous ? Sincèrement...

Qu'est-ce qu'ils me répondraient, mes clients ? Que le bonheur c'est quand on n'a pas le temps d'y penser, c'est un skidou dans un sentier de lièvres, c'est des vacances par Air France, c'est Mlle Sabena à la radio, c'est une gogo girl dans sa salle de bains, c'est un mari fidèle, c'est de l'argent plein le pot à sucre, c'est pouvoir travailler comme on en rêve, c'est se rouler dans l'eau salée, c'est faire sa religion, c'est manger des whipet de Viau toute la journée.

Quand ils auraient répondu, je les zigouillerais d'un coup de sabre sur la nuque, comme Genghis Khan l'autre soir au Cinérama, je les enterrerais le long de la clôture...

La lune est douce ce soir, à travers la moustiquaire du plafond elle est comme imprimée en pointillés. Un renversé. La lune est rose, ce soir, Marise va venir me chercher à pied depuis la maison. L'air est chaud, une odeur de thé tiède se mêle à la brise ; si j'éteignais les néons, je pourrais presque faire la cuisine au clair de nuit. Je vais aller avec Marise dans le champ de millet, si elle pense à apporter la couverture écossaise rayée jaune. Il faut traverser l'érablière et une touffe de cèdres noirs, mais après on peut se déshabiller sans que la police ne s'en mêle et faire l'amour dans le champ de lune du père Martin au clair de millet. Je vais apporter des frites d'aujourd'hui, des œufs durs au vinaigre et puis deux bières en canette, parce que c'est meilleur en canette ; c'est plus frais, c'est comme la peau de Marise. Après l'amour, je pourrai peut-être l'étrangler ou lui casser les reins comme on faisait aux sauterelles sur le perron du presbytère. Je retrouverai mon chemin, je ferai le Petit Poucet, semant des raisins Sun-Maid le long du sentier. Et la corneille bleue les avalera un à un pour me perdre.

Quand je serai bien mort, ils s'amuseront encore. Adam est à un million de générations. Grand-papa lointain, on ne sait même pas où tu fus enterré. Stie. Stie de plaignard. Vaurien. Lapin triste. T'embêtes les gens. Tu devrais faire un livre gai : la vie est trop courte, s'il faut en plus la pleurer ! Tu deviens le bedeau niais d'une mélancolie d'adolescent. Sonne les cloches, sacrement ! Fais le bilan : tu es libre, tu ne dois rien à personne, tu ne fais qu'à ta tête. Si tu voulais, tu pourrais remettre les roues au vieil autobus qui te sert de stand et partir parcourir le monde. Quatre roues, quatre dromadaires ; tu vendrais tes frites et tes saucisses sur les places publiques puis, en avant la musique ! défileraient les pays sages.

Tu as raison, il ne faut surtout pas faire comme Martyr et attendre la mort en chassant les taons qui sillent. Je vais fermer la porte derrière moi et monter dans la fusée qui m'attend au bout du champ. J'irai dans la lune pour voir qui des Russes ou des Américains aluniront les premiers ; pour entendre le premier juron d'homme dans la mer des Sargasses. Je serai le premier ethnographe lunaire ; j'ouvrirai un stand aussi, le Moon Snack Bar, pour les cosmonautes de passage et les lunautes amoureux qui viendront faire du parking derrière les rochers blancs. Je pourrais même inviter Martyr à monter à bord de la fusée. Noé croyait au couple, moi, je crois que nous sommes seuls ; Martyr et moi sur la lune, la plus noble conquête de l'homme et vice-versa, quatre sabots dans la poussière lunaire. Et si un jour la lune devenait trop craoudée, si les gens s'y pressaient comme à la place Saint-Pierre, on pourrait toujours revenir sur terre, les deux pieds sur terre. Je serais heureux. Transporté de joie comme une corneille dans un champ de maïs où le blé d'Inde jaunit en rangs serrés.

Stie. J'ai la fièvre. Je vais aller me coucher. Je me sens tout en guenille, comme du linge sur la corde à sécher. Ce doit être d'écrire, c'est comme de trop lire, c'est mauvais pour les yeux, quand on n'a pas fini de digérer.