39548.fb2 Salut, Galarneau! - читать онлайн бесплатно полную версию книги . Страница 7

Salut, Galarneau! - читать онлайн бесплатно полную версию книги . Страница 7

U

Une armée d'allumettes de carton ? corps blanc cireux, uniforme d'hiver, têtes hautes, têtes bleues, dans un étui rouge : Thank you merci, come again au revoir, Close Cover Before Striking, baissez la tête avant de frapper, j'en prends trois douzaines. Ce sont des boîtes de vingt-cinq ? Vous imprimerez mon nom en lettres dorées sur le paquet, à l'intérieur plutôt, comme ça j'aurai mon substantif dans des centaines de poches de vestes à carreaux en tweed, en cuir, en laine peignée, à Montréal, à New York et jusque dans l'Illinois. Hier encore, j'en ai vendu à un ramasseur dont le camion arborait une plaque orange de là-bas, un écriteau presque, avec plus de lettres AMXE que de chiffres (je ne me souviens plus lesquels). Bordel je n'ai jamais eu de mémoire.

- Faut manger du poisson.

- Ça aide vraiment, je veux dire, ça donne... ?

- Ou du phosphore.

- J'en ai sur les aiguilles de ma montre.

- Le temps passe, je dois partir.

- Je peux vous lire un poème ?

- La prochaine fois, je suis pressé.

- Je vais le dire aux mouettes, alors.

- Qu'est-ce qu'elles font là ?

- C'est à cause du pain et des déchets, elles viennent du fleuve, sûrement. Quand elles volent, elles sont belles comme des avions de papier, mais à terre, on voit que ce sont des charognards, elles se battent pour un bout de saucisse, à grands coups de bec jaune.

- Je reviens jeudi prochain.

- Elles amusent les enfants, c'est bon pour le commerce, je ne m'en plains pas. Salut !

Mais ce n'est pas mon oiseau préféré. Mon oiseau préféré, c'est la corneille bleue. J'y reviendrai, si j'ai le temps, si je me retrouve dans mes papiers, dans mes notes, dans mes portraits, mes comptes, mes contes, mes brouillons, mes pensées, mes mots, mes poèmes qui sont comme des tas de sable : ils sèchent et s'affalent à mesure au soleil et au vent. C'est la troisième journée d'août, chaude comme un calorifère de couvent. Sur la nationale noire, le macadam crée des mirages, les arbres sont des fleurs, les autos, des baluchons, les enfants, des oignons bouillis. Seul au bout du champ, à l'ombre d'un orme énorme, sur ses pattes comme sur quatre piquets, dort Martyr ; il doit avoir des mouches plein les naseaux et de la sueur aux épaules. À chaque instant, j'essuie mes paumes sur mon tablier ; sans bière glacée, je pense bien que je n'arriverais jamais à écrire. Cochon de pays. Tu gèles ou tu crèves, jamais de milieu, tempérez vos jugements ! J'emmerde Jacques Cartier ! Je rêve de voir Johnson ou Lesage empalés, c'est tout ce qu'ils méritent, je veux dire, c'est une baptême de folie de rester ici. Je les ferais empaler sur une croix copte, et, encore, je ne suis pas méchant. Mais il y a des midis où le sang me monte au nez comme de la moutarde : nous avons trop aimé, trop pardonné, c'est pas une façon de vivre, c'est encore moins une façon d'écrire un livre.

L'idée de faire un livre, ça ne m'est pas venu tout seul. Je ne suis pas de ceux que visite l'Esprit saint un beau matin pour leur dire : votre femme est enceinte et ça n'est pas du voisin ; ça n'est pas aux couilles d'Henri non plus qu'il faut vous en prendre, soyez bon, Joseph, c'est la semence de Dieu qui a fait son chemin. Je ne suis pas comme ça, je marche à coups de pied au cul comme dans l'armée, comme un député. Bien sûr, je suis une victime de l'instruction obligatoire, et ça doit jouer dans mon histoire. Pas d'instruction, pas d'ennuis, parce que, quand on est instruit, on veut comprendre, on rêve, on fait des plans, on lit, on est malheureux, on est inquiet. Les sacrements. L'instruction obligatoire, c'est une idée de bourgeois, une idée de gens riches qui s'emmerdaient à se poser tout seuls des questions, sans toujours trouver la réponse. Les autres - dont j'aurais été il n'y a pas cent ans - pouvaient jouir innocemment, merveilleusement de la vie. Ils se sont dit, les riches, obligeons les pauvres à savoir lire, écrire, compter, parler latin, à apprendre le cosinus et le sinus d'un angle, qu'est-ce qu'une presqu'île, à quoi doit servir le manganèse, si le monde est en expansion et notre système solaire l'un des plus petits du cosmos, où se situe l'enfer, quelles sont les cinq grandes races et qu'avez-vous fait des peaux-rouges, stie de sauvages, comment l'industrialisation s'est-elle implantée en Californie ? Prenez votre règle à calcul : si deux hommes quittent le point petit b à bord, disons, d'un véhicule gris que nous appellerons x et à une vitesse y, le berceau de la civilisation occidentale a-t-il été témoin des chants asiatiques ? puisque l'atome se subdivise en protons et neutrons et que ceux-ci par ailleurs, qu'arrive-t-il si deux lapins aux yeux bleus et dix lapines dont le caractère récessif serait du poil long... Les gens instruits savaient ce qu'ils faisaient. Partageons les fardeaux lourds à porter : ce n'est pas une raison pour partager l'argent. L'idée de faire un livre, ça ne m'est pas venu tout seul, ni en livrée, ni par courrier.

Depuis longtemps, je devais en avoir besoin, pour me vider, j'étais trop plein mais j'aurais pas osé. Non vraiment. Bien sûr, j'avais entendu parler d'un chauffeur de taxi qui avait publié, comme dans un roman, des aventures qui lui étaient arrivées avec son taxi, l'accouchement d'un gros garçon de sept livres et trois onces, sur le siège arrière de sa Chevrolet Parisienne, et le chômeur pacté à qui il avait évité un suicide en se trompant de porte un matin, un jour de pluie, et puis il racontait aussi des choses intimes sur ses clients, telles que ceux-ci s'étaient crus obligés de les confesser, vu que son taxi était au milieu d'un embouteillage, probablement, et que ça porte à la confidence, une automobile immobile.

Mon frère Jacques - cinq pieds, dix pouces, cent quatre-vingts livres, de trois ans mon aîné, son oiseau préféré c'est l'étourneau - m'a parlé lui aussi d'un livre, publié à Paris, France. C'est l'histoire d'une matrone retirée des affaires, une voleuse aussi, je ne suis pas sûr, je ne l'ai pas encore lu, mais il a promis de me l'apporter. Il dit que tout ce qu'elle raconte est vrai, authentique, documentaire. Elle parle des vices de ses clients, souvent des étrangers. Il y en a un qui se faisait badigeonner de colle puis demandait aux filles de le couvrir de plumes d'oreiller pour qu'il puisse tout nu comme un coq chanter le soleil dans les petits corridors verts de l'hôtel. Il dit que c'est plein de vices, de vicieux, comme on n'en a pas encore inventé par ici, mais le cardinal ne perd rien pour attendre. J'ai l'impression que le jour où on va se dévicer le Canadien ça va faire des flammèches comme des roues de trolley sur les fils givrés en plein février. Ça va pas être piqué des vers nos pommes quand on va se laisser aller au serpent ! Pour l'instant, le serpent a l'air d'un beau cave parce que la Vierge Marie la mère de Jésus dans sa robe bleu poudre, des étoiles jaunes au front, l'écrase sur toutes les images pieuses d'un grand coup de talon, comme on écrabouille une souris coincée sur un prélart de cuisine : on monte sur une chaise, on prend son élan et puis crouche ! elle n'a pas même le temps de nous voir venir. Aujourd'hui le serpent n'est pas encore capable de se secouer, mais s'il s'est échappé en France, et puis en Angleterre, il va sûrement trouver un moyen, le serpent, de se glisser jusqu'à nous, quand la Vierge Marie la mère de Jésus aura la jambe ankylosée. Stie. Tout le monde peut avoir le pied ankylosé un jour.

Si j'avais été médecin, je ne dis pas. Je veux dire, j'aurais eu des connaissances particulières de la psychologie des gens. Il y a des tas de médecins qui écoutent leurs patients patiemment, puis ils arrangent ça avec du sel, de la chapelure et de l'imagination. Ça vous prend aux tripes comme un ragoût trop gras, des gens qui souffrent ça ne peut rien cacher au praticien alors que, moi, les contacts avec les clients c'est plutôt : Salut, Galarneau ! Donne-moi donc un hamburger avec des oignons crus puis de la relish verte...

C'est Marise, je pense, qui en a parlé la première. (Marise, elle, son oiseau préféré, c'est le chardonneret, mais il y en a peu cet été, comme s'ils avaient su qu'il ferait si chaud. Ça la rend triste. Le chardonneret c'est un gage de bonheur, de liberté ; Marise est belle comme un oiseau-mouche planant au-dessus d'un iris.) Moi, je me suis dit : si des gens lisent ton livre, ça va te faire de la publicité, une baptême de publicité comme c'est pas souvent qu'on en voit dans le commerce des patates. Ça s'est passé sur cinq jours, un peu plus peut-être. Elle disait :

- François, tu lis tout le temps, même des choses inutiles. Je suis venue hier après-midi : tu lisais depuis deux heures sans avoir été dérangé par un seul client. À quoi bon lire comme tu fais ? Une vraie véritable folie ! Tu prends même des notes sur les serviettes de table, puis tu jettes tout ça aux vidanges. Avec ton instruction, moi, j'écrirais un livre, il me semble que ça t'occuperait, et puis je ne sais pas, moi, tu pourrais être quelqu'un : tes deux frères ont une réputation. Toi, tout ce que tu fais c'est attendre que les mouches se collent à la mélasse du tire-bouchon, les deux pieds sur une boîte à beurre, le nez dans un Reader's Digest, au beau milieu d'un stand en aluminium sur le bord de la route...

Je ne me souviens pas exactement de toutes ses paroles, mais c'est le sens de son discours. Je veux dire, elle savait que j'écris depuis longtemps des poèmes, en cachette, mais elle ne voulait pas m'en parler, elle a choisi de me piquer par l'orgueil, la fierté des Galarneau. Je me sentais un peu comme une porte avec dessus : "push, poussez", elle poussait. Les femmes veulent toujours être la George Sand de Musset, la Simone de Beauvoir d'un Jean-Paul Sartre. Je veux dire, mon stand, c'est un refuge ; j'y suis, j'y reste. Ils m'ont instruit ? Très bien, mais qu'ils me sacrent patience, j'aime la vie simple et l'odeur des frites. Pourquoi faire un livre ? Pour le vendre à Hollywood ? Stie. Ils nous font assez de tort avec leur maudit cinéma. Encore il y a deux semaines, j'allais fermer boutique, c'était un mercredi, minuit à peine. Je venais d'écouter les nouvelles à la radio, ma caisse était faite, le poêle nettoyé. Je me retourne vers la porte pour partir et j'arrive face à face avec trois gangsters de cinéma qui voulaient la recette de la journée. Des gueules pleines de boutons, des yeux nerveux, un tuyau de plomb chacun. Je leur dis :

- Les gars, ou je vous donne les quatorze piastres que j'ai faites ce soir, ou je vous présente à mon frère qui écrit pour la télévision des séries policières et qui cherche des acteurs.

Ils ont dit :

- On veut voir ton frère.

C'est ça, la mauvaise influence du cinéma. Les gens ne vont plus au bout de leur pensée. Faudrait empaler Bogart à côté de Johnsage, sur deux poteaux, à l'entrée de Ville-Marie, pour faire peur aux sauvages.