39548.fb2 Salut, Galarneau! - читать онлайн бесплатно полную версию книги . Страница 8

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Marise et moi, on est accotés depuis deux ans. Elle est heureuse, elle n'a besoin de rien. C'est peut-être pour cela qu'elle m'a pris par les épaules pour me faire écrire. Le jour où j'en aurai assez d'elle, je vais voir mon oncle Léo, qui est taxidermiste, et je la fais empailler. Je ne sais pas si vous avez vu ses pièces montées, c'est toujours des trouvailles, il a du génie plus que du talent. Il aurait pu être sculpteur sûrement, il aurait fait des tonnes d'argent comme le grand-père de Donald Duck. Je veux dire : il aurait pu vendre des sculptures comme on en voit dans les livres d'histoire ou dans le Larousse : Diane chasseresse, par exemple, avec les seins fermes, une flèche dans une main, le carquois sur les fesses ; ou bien, il aurait pu faire des monuments aux morts. Il a un talent fou, Léo Galarneau, mais sa maladie c'est les animaux empaillés. Je ne dis pas qu'ils ne sont pas réussis : ils ont toujours, au contraire, l'air plus vivant encore quand il en a fini qu'avant, quand ils couraient dans les bois. Si je dis qu'il aurait pu être sculpteur, c'est parce qu'il ne se contente jamais de simplement rembourrer un castor et lui mettre un morceau de bouleau entre les dents, il ajoute toujours quelque chose de son cru : pour le castor - c'est un petit animal - il se satisfait de lui glisser dans le ventre un magnétophone à transistors, un appareil japonais je pense, parce que les Japonais en font de tout petits. Ce sont des gens qui aiment les miniatures, c'est vrai qu'ils ne sont pas grands eux-mêmes. Pour le ruban, il a enregistré les râles du castor, les cris des grives, le chant de l'engoulevent, les coups de queue sur l'eau, le chuchotement des chutes, tout ce qui lui passe par les oreilles. Et puis, c'est un poète : alors, le castor est là, sur son bloc de plâtre, il vous regarde avec ses yeux de rat qui a pris de l'opium - il fabrique lui-même les yeux avec des pierres et du plastique - et puis vous entendez la forêt ; un drôle de tête-à-tête, c'est mieux qu'un castor vivant.

Je lui ferais empailler Marise toute nue - tiens ! avec un chapelet au cou, mais je laisserais Léo me suggérer la position, les détails. La semaine dernière, j'ai vu chez lui un ours blanc monté debout dans son salon. C'est grand en baptême un ours blanc. Il lui a donné un air, une allure terrible comme s'il allait sauter sur le premier venu, la gueule grande ouverte ; ça, les gueules, il a de la difficulté. Je ne sais pas pourquoi, mais je crois que c'est la couleur, le rouge qu'il emploie dans le palais, c'est trop fade avec les dents qui sont toujours blanches étincelantes comme dans une annonce de Colgate au gardol. On empaillerait Marise la bouche fermée, voilà ! - dans son salon, l'ours blanc est un chef-d'œuvre, il vous gèle sur place, mais ça n'est pas assez pour mon oncle Léo : il a creusé la poitrine du plantigrade et quand on fouille dans les poils, on trouve une petite poignée : le poitrail ouvert, l'ours blanc devient un réfrigérateur, un bar avec de l'espace pour les olives, les verres, les liqueurs, la bière, la glace. C'est merveilleux de voir un ours qui vous donne envie de boire un Martini. L'année dernière, mon oncle a transformé un orignal entier en bibliothèque pour le juge Trahan, qui ne voulait pas que ses enfants feuillettent les revues cochonnes qu'il rapporte de New York, aux vacances de Pâques... un génie ! Il faudrait que je le voie plus souvent, il a pour la langue française les respects d'un homme d'Église. C'est un puriste : pour lui, le français c'est comme un opéra dans lequel il ne peut souffrir de fausses notes. Sacré Léo ! La grammaire c'est Dieu le père et le président des U.S.A. tout en même temps. C'est pourquoi il voulait que j'installe une enseigne qui se lise : Au roi du chien chaud. Vous voyez ça d'ici ? Je veux dire : c'est quand même un peu ridicule et ça me fait vomir rien que de penser à un chien chaud - servi avec de la moutarde French ou du Ketsup Heinz 57 variétés.

Marise, elle, insistait pour que je choisisse plutôt Chez Marise, comme preuve d'amour qu'elle répétait, et puis par coquetterie sans doute. Mais je me suis dit que si je quittais Marise un jour ou bien si elle décidait de me laisser tomber comme un vieux manche de pelle, il faudrait alors que je fasse reprendre toute la peinture du kiosque puisque, sous l'enseigne en néon, j'ai du lettrage (devanture et côté gauche). Sans compter qu'il me faudrait aussi changer l'affiche du poteau au bord de la route, celle qui est à la fourche, à deux milles d'ici, qui dit : Au roi du hot dog, straight ahead. Tout ça pourrait me coûter cher. J'ai même acheté un néon ouvragé, tordu, avec à la place du point sur le i une couronne :

Au roi du hot dog

Mille deux cent trente dollars de néon ! Faut pas exagérer l'amour : je mets Marise dans mon lit, pas sur mes affiches. D'ailleurs, Chez Marise, ça ne dirait pas que c'est moi qui fais les meilleures saucisses grillées dix milles à la ronde, sans compter le territoire de l'île Perrot. Pourquoi cacher les talents qu'on a ? Un homme doit faire comme il pense ; s'il croit qu'il a raison, il ne peut pas passer sa vie à écouter son oncle, sa femme, ses amis, le journal ou même la télévision. Moi, quand on insiste pour me donner un conseil, j'écoute et puis après j'en donne un moi-même. Ça fait que je suis quitte : pas de dettes, pas de listen-now-pray-later, c'est trop facile s'appuyer sur les autres, un jour on se retrouve devant un champ de béquilles.