40288.fb2
Sur la table de nuit, le radioréveil indiquait neuf heures. Julien ouvrit les yeux et bondis du lit.
– Merde !
Elle se précipita vers la salle de bains, non sans se cogner le pied contre de chambranle de la porte.
– Déjà lundi, maugréa-t-elle. Quelle nuit ! Elle tira le rideau de douche, entra dans la baignoire et laissa longtemps couler l'eau sur sa peau. Un peu plus tard, alors qu'elle se brossait les dents, regardant son visage dans le miroir au-dessus de la vasque, un fou rire la saisie. Elle enroula une serviette autour de sa taille, en noua une autre autour de ses cheveux, et se décida à aller préparer son thé du matin. En traversant la chambre, elle se promit qu’aussitôt le thé avalé elle appellerait Stanley. Lui dévoiler ses délires nocturnes n'était pas sans risque, il vou-drait certainement l’entraîner de force sur le divan d'un psychanalyste. Inutile de lutter, jamais elle ne tiendrait la demi-journée sans l'appeler sinon passer le voir. Un rêve aussi rocambolesque se devait d'être raconté à son meilleur ami.
Un sourire aux lèvres, elle allait ouvrir la porte de sa chambre qui donnait sur le salon quand un bruit de couverts La fit sursauter.
Son cœur se mit de nouveaux à cogner. Abondant les deux serviettes sur le parquet, tel enfila un jean et un polo en toute hâte, remis un peu d'ordre dans sa chevelure, retourna dans la salle de bains et décida devant le miroir qu'un soupçon de blush ne gâche rien. Puis elle entrebâilla la porte du salon passa la tête et chuchota, inquiète :
– Adam ? Stanley ?
– Je ne sais plus si tu prends du thé ou du café, alors j'ai fait du café, de son père depuis le coin cuisine en lui montrant la cafetière fumante qu'il brandissait glorieusement. Un peu fort, comme je l'aime ! ajouta-t-il jovial.
Julia regarda la vieille table en bois ; son couvert y était dressé. Deux pots de confitures traçaient une diago-nale parfaite avec le pot de miel. Un peu plus loin, le beurrier jouait à l'équerre avec le paquet de céréales. Un carton de lait se tenait droit devant le sucrier.
– Arrête ça !
– Quoi ? Qu'est-ce que j'ai encore fait ?
– Ce jeu idiot du père modèle. Tu ne m'avais jamais préparé mon petit déjeuner, tu ne vas pas t'y mettre maintenant que tu...
– Ah non, pas d'imparfait ! C'est la règle que nous nous sommes fixés. Tout se dit au présent... Le futur étant un luxe au-dessus de mes moyens.
– C'est la règle que toi tu as fixée ! Et je prends du thé le matin.
Anthony versa le café dans la table de Julia.
– Du lait ? demanda-t-il.
Julien ouvrit le robinet de l'évier et remplit la bouilloire électrique.
– Alors que, tu as pris de décision ? demanda Anthony Walsh en sortant deux toasts du grille-pain.
Si le but était de se parler, notre soirée d'hier n'était pas très concluante, répondit Julia d'une voix douce.
– Moi j'ai bien aimé ce moment que nous avons passé ensemble, pas toi ?
– Ce n'était pas l'anniversaire de mes neuf ans ; nous fêtions mes dix ans. Le premier week-end sans maman.
C'était un dimanche, elle avait été hospitalisée le jeudi.
Le restaurant chinois s'appelait Wang, il a fermé l'an dernier. Au petit matin du lundi, alors que je dormais, tu as fait ta valise et tu es parti prendre l'avion sans venir me dire au revoir.
– J'avais rendez-vous à Seattle en début d'après-midi ! Ah non, je crois que c'était à Boston. Zut alors... Je ne sais plus. Je suis rentré de jeudi... Ou le vendredi ?
– À quoi cela sert tout ça ? Demanda Julia en s'asseyant à la table.
– En deux petites phrases on vient déjà de se dire pas mal de choses, tu ne trouves pas ? Ton thé ne sera jamais prêt si tu n'appuies pas sur le bouton de la bouilloire.
Julia huma la tasse devant elle.
– Je crois que je n'ai jamais avalé deux cafés de ma vie, dit-elle en trempant ses lèvres dans le breuvage.
– Alors comment peux-tu savoir que tu n'aimes pas ça ? Demanda Anthony Walsh en regardant sa fille vider le bol d'un trait.
– Parce que ! répondit-elle, grimaçantes, en reposant la tasse.
– On s'habitue à l'amertume... Et puis on finit par apprécier la sensualité qui s'en dégage, dit Anthony.
– Je dois aller travailler, enchaîna Julia en ouvrant le pot de miel.
– Tu as pris ta décision, oui ou non ? C'est agaçant cette situation, j'ai quand même le droit de savoir !
– Je ne sais pas quoi te dire, ne me demande pas l'impossible. Les associés et toi avais oublié un autre problème d'éthique.
– Dis toujours, ça m'intéresse.
– Chambouler la vie de quelqu'un qui n'a rien demandé.
– Quelqu'un ? rétorqua Anthony Walsh d'une voix pincée.
– Ne joue pas sur les mots. Je ne sais pas quoi te dire, c'est ce que tu veux, décroche le téléphone, appelle-les, donne-leur le code et qu’il décide pour moi à distance.
– Six jours, Julia, rien que six jours pour que tu fasses le deuil de ton père et non d'un inconnu, tu es certaine de ne pas avoir envie de choisir toi-?
– Six jours pour toi, donc !
– Je ne suis plus de ce monde, que veux-tu que j’y gagne ? Je n'imaginais pas dire cela un jour, mais c'est pourtant bien le cas. D'ailleurs, quand on y pense, c'est assez cocasse, poursuivit Anthony Walsh, amusé. Cela non plus on ne l'avait pas envisagé. C'est inouï ! Tu avoueras que jusqu'à la mise au point de cette invention géniale, il était difficilement concevable de dire à sa fille que l'on est mort, tout en guettant sa réaction. Non ? Bon, je vois que ça ne te fait même pas sourire, cela ne devait pas être très drôle finalement.
– Non, en effet !
– J'ai une mauvaise nouvelle pour toi. Je ne peux pas les appeler. Ce n'est pas possible. La seule personne pouvant interrompre le programme est la bénéficiaire. D'ailleurs, j'ai déjà oublié le mot de passe que je t'avais communiqué, il s'est aussitôt effacé de ma mémoire. J'espère que tu l'as noté... au cas où...
– 1-800-300 00 01 code 654 !
– Ah oui, tu l'as bien mémorisé !
Julia se leva et alla déposer son bol dans l’évier. Elle se retourna pour regarder longuement son père et décrocha le téléphone fixé au mur de la cuisine.
– C'est moi, dit-elle à son collègue de travail. Je vais suivre tes conseils, enfin presque... Je prends ma journée 76
et celle de demain aussi, peut-être plus, je n'en sais encore rien, mais je te tiendrai au courant. Envoyez-moi un mail tous les soirs pour m'informer de l'avancement du projet, et surtout appelez-moi si vous avez le moindre problème. Une dernière chose, accorde toute ton attention à ce Charles, la nouvelle recrue, nous lui devons une fière chandelle. Je ne veux pas qu'il soit tenu à l'écart, aide-le à s'intégrer à l'équipe. Je compte vraiment sur toi, Dray.
Julia reposa le combiné sur son socle, sans quitter son père des yeux.
– C’est bien de veiller sur ses collaborateurs, annonça Anthony Walsh, j'ai toujours dit qu'une entreprise reposait sur trois piliers : ses équipes, ses équipes et ses équipes !
– Deux jours ! Je nous donne deux jours, tu m'entends ? À toi de décider si tu les prends ou pas. Dans quarante-huit heures, tu me rends à ma vie, et toi...
– Six jours !
– Deux !
– Six ! Continua d'argumenter Anthony Walsh.
La sonnerie du téléphone mis un terme à la négociation. Anthony prit l'appel, Julia lui arracha aussitôt l'appareil, l’étouffa dans sa main en faisant signe à son père d'être le plus silencieux possible. Adam s'inquiétait de ne pas avoir pu la joindre au bureau. Il se reprochait d'avoir été susceptible et suspicieux à son égard. Elle s'excusa d'avoir été irascible la veille au soir, le remercia d'avoir réagi à son message et d'être passé la voir. Et même si le moment n'avait pas été des plus parfaits, son apparition inattendue sous ses fenêtres avait finalement un côté très romantique.
Adam lui proposa de venir la chercher après sa journée de travail. Et pendant qu’Anthony Walsh faisait la vaisselle, est le plus de bruit possible, Julia expliqua que la mort de son père l'avait affectée plus qu'elle n'avait bien voulu l'avouer. Sa nuit avait été peuplée de cauchemars, elle était épuisée. Inutile de reproduire l'expérience de la veille. Un après-midi de calme, une soirée où elle se coucherait tôt et demain, au plus tard le jour suivant, ils se verraient. D'ici là, elle aurait retrouvé une apparence digne de la jeune femme qu'il voulait épouser.
– C'est bien ce que je disais, la lire pomme ne tombe jamais loin de l'arbre, répéta Anthony Walsh alors que Julia raccrochait.
Elle le fusilla du regard.
– Quoi encore ?
–Tu n'as jamais lavé la moindre assiette !
– Ça, tu n'en sais rien, et puis la vaisselle est dans mon nouveau programme ! Répondit joyeusement Anthony Walsh.
Julia le laissa en plan et prit le trousseau de accroché au clou.
– Où vas-tu ? demanda son père.
– Je monte t’aménager une pièce à l'étage. Hors de question que tu passe la nuit dans mon salon à faire les cent pas, j'ai quelques heures de sommeil à récupérer, si tu vois ce que je veux dire.
–si c’est à cause du bruit de la télévision, je peux baisser le son...
– Ce soir tu montes, c'est à prendre ou à laisser !
– Tu ne vas quand même pas me mettre au grenier ?
– Donne-moi une raison de ne pas le faire ?
– Il y a des rats... C'est toi qui l’as dit, reprit son pair avec l'intonation d'un enfant que l'on vient de punir.
Et alors que Julia s'apprêtait à sortir de l'appartement, son père la rappela d’une voix ferme.
– Nous n'y arriverons jamais ici !
Julien ferma la porte et grimpa l'escalier. Anthony Walsh regarda l'heure à la montre du four, hésita un instant, il chercha la télécommande blanche que Julia avait abandonnée sur le plan de travail.
Il entendit les pas de sa fille au-dessus de sa tête, le raclement des meubles qu'elle déplaçait, le bruit de la fenêtre qu'elle ouvrait et refermait. Quand elle redescendit, son père avait repris place dans la caisse, télécommande en main.
– Qu'est-ce que tu fais ? lui demanda-t-elle.
–Je vais m’éteindre, c'est peut-être mieux pour nous deux, enfin surtout pour toi, je vois bien que je dérange.
– Je croyais que tu ne pouvais pas faire ça ? dit-elle en lui arrachant la télécommande.
– J'ai dit que tu étais la seule à pouvoir appeler la société et fournir le code, mais je pense être encore capable d'appuyer sur un bouton ! maugréa-t-il en ressortant de la caisse.
– Et puis fais comme tu veux, répondit-elle en lui rendant le boîtier. Tu m’épuises !
Anthony Walsh le reposa sur la table basse et vint se poster devant sa fille.
– Au fait, vous deviez vous partir en voyage ?
– À Montréal, pourquoi ?
– Dis donc, il ne s'est pas fouler le fiancé, siffla-t-il entre ses lèvres.
– Tu as quelque chose contre le Québec ?
– Pas le moins du monde ! Montréal est une ville tout à fait charmante, j'ai même passé de très bons moments ! Enfin, là n'est pas le sujet, toussota-t-il.
– Et quel est ton sujet ?
– C'est juste que...
– Que quoi ?
– Un voyage nuptial à une heure d'avion... Franchement quel dépaysement ! Et pourquoi ne pas t'emmener en camping-car pour économiser l'hôtel !
– Et si c'était moi qui avais choisi cette destination ?
Si j'aimais passionnément cette ville, si nous y avions des souvenirs, Adam et moi ? Qu'est-ce que tu en sais ?
– Si c’était toi qui avais choisi de passer ta nuit de noces à une heure de ton domicile, tu ne serais pas ma fille, voilà tout ! Affirma Anthony d'un ton ironique. Je veux bien que tu aimes le sirop d'érable, mais à ce point-là...
– Tu ne te débarrasseras jamais de tes a priori, hein?
– Je t'accorde que c'est un peu tard. Soit, admettons, tu as décidé de vivre la soirée la plus mémorable de ta vie dans une ville que tu connais. Adieu, l'appétit de découverte ! Adieu, le romantisme ! Aubergiste, donnez-nous la même chambre que la dernière fois, après tout ce n'est qu'un soir comme les autres ! Servez-nous notre repas habituel, mon futur mari, que dis-je, mon tout nouvel époux, détestent changer ses habitudes !
Anthony Walsh éclata de rire.
– Tu as fini ?
– Oui, s'excuse-t-il. Dieu que la mort a du bon, on s'autorise à dire tout ce qui vous passe par les circuits, c'en est presque jouissif !
– Tu as raison, nous n'y arriverons pas ! dit Julia, mettant un terme à l'hilarité de son père.
– En tout cas pas ici. Il nous faut un territoire neutre.
Julien le regarda, perplexe.
– Arrêtons de jouer à cache-cache dans cet appartement, veux-tu ? Même en comptant la pièce à l'étage où tu voulais me ranger, il n'y a pas assez de place et plus assez de ces précieuses minutes que nous gâchons comme deux gosses. Elles ne se renouvelleront pas.
– Qu'est-ce que tu proposes ?
– Un petit voyage. Pas d'appel de tout bureau, pas d'apparition inopinée de tout Adam, pas de soirées à se regarder en chiens de faïence devant la télévision, mais des ballades, où nous parlerons tous les deux, rien qu'à nous deux !
– Tu me demandes de t’offrir ce que toi tu n'as jamais voulu me donner, c'est bien ça ?
– Cesse de me faire la guerre, Julia. Tu auras ensuite l'éternité entière pour reprendre le combat, mes armes à moi n'existeront plus que dans ta mémoire. Six jours, c'est tout ce qui nous reste, voilà ce que je te demande.
– Et où irions-nous faire ce petit voyage ?
– À Montréal !
Julien ne plus réfrénait le sourire franc qui venait d'illuminer son visage.
– À Montréal ?
– Ben, puisque les billets ne sont pas remboursables!... on peut toujours tenter de faire changer le nom de l'un des passagers...
Et comme Julia attachait ses cheveux, posait une veste sur ses épaules et s'apprêtait, de toute évidence, à sortir sans lui répondre, Anthony Walsh s'interposa devant la porte.
– Ne fais pas cette tête, Adam a dit que tu pouvais même les jeter !
– Il m'a proposé de garder ces billets en souvenir, et si cela avait échappé à tes oreilles indiscrètes, il était ironique. Je ne pense pas qu'il m’ait pour autant suggérer de partir avec quelqu'un d'autre.
– Avec ton père, pas quelqu'un d'autre !
– Écarte-toi, s'il te plaît !
– Où vas-tu ? Demanda Anthony Walsh cédant le passage.
– Prendre l'air.
– Tu es fâchée ?
Pour toute réponse, il entendit les pas de sa fille qui descendait l'escalier.
*
Un taxi ralenti au croisement de Greenwich Street, Julia y grimpa à la hâte. Nul besoin de lever les yeux vers la façade de sa maison. Anthony Walsh, elle le savait, devait regarder depuis la fenêtre du salon la Ford jaune s'éloigner vers la neuvième avenue. Des qu’elle eut disparu au carrefour, il se dirigea vers la cuisine, prit le téléphone et passa deux appels.
Julia ce fit déposer à l'entrée du quartier de SoHo.
En temps normal, elle aurait parcouru à pied ce chemin qu'elle connaissait par cœur. À peine 15 minutes de marche, mais pour s'enfuir de chez elle, elle l'aurait volé une bicyclette si quelqu'un en avait laissé traîner une sans cadenas au coin de sa rue. Elle poussa la porte de la petite boutique d'antiquités, une clochette retentit. Assis dans un fauteuil baroque, Stanley abandonna sa lecture.
– Greta Garbo dans la reine Christine n'aurait pas fait mieux !
– De quoi parles-tu ?
– De ton entrée, ma princesse, majestueux et terri-fiante à la fois !
– Ce n'est pas le jour à te moquer de moi.
– Aucune journée, aussi belle soit-elle, ne peut se passer d'une pointe d'ironie. Tu ne travailles pas ?
Julia s'approcha d'une vieille bibliothèque et regarda attentivement la pendule aux dorures délicates juchées sur la haute étagère.
– Tu as fait l'école buissonnière pour venir vérifier l’heure qu'il était au XVIIIe siècle ? questionna Stanley en rehaussant les lunettes posées sur le bout de son nez.
– Elle est très jolie.
– Oui, et moi aussi, qu'est-ce que tu as ?
– Rien, je passais te voir, c'est tout.
– C’est ça, et moi je vais bientôt arrêter le Louis XVI et me mettre au pop’art ! répliqua Stanley en laissant tomber son livre.
Il se leva et s'assit sur le coin d'une table en acajou
– Un coup de grisou sous ce joli minois ?
– Quelque chose comme ça, oui.
Julia posa la tête sur l'épaule de Stanley.
– Ah oui, c'est très lourd en effet ! dit-il en la serrant dans ses bras. Je vais te préparer un thé tiens qu’un ami m’expédie du Vietnam. C'est un détoxifiant, tu verras, ses vertus sont insoupçonnables, probablement parce que cet ami n'en a aucune.
Stanley prit une théière sur une étagère. Il alluma la bouilloire électrique posée sur l'antique bureau qui faisait office de comptoir caisse. Quelques minutes nécessaires à l’infusion et la boisson magique remplissait deux tasse en porcelaine, tout juste sorties d'une vieille armoire. Julia respira le parfum de jasmin qui s'en dégageait et but une petite gorgée.
– Je t'écoute, et ne cherche pas à lutter, cette potion divine est censée délier les langues les plus nouées.
– Tu partirais en voyage de noces avec moi ?
– Si je t’avais épousée, pourquoi pas... Mais il aurait fallu que tu t’appelles Julien, ma Julia, sinon, notre voyage de noces aurait manqué de fantaisie.
– Stanley, si tu fermais son magasin une petite semaine et que tu me laissais t’enlever...
– C'est follement romantique, où ça ?
– À Montréal.
– Jamais de la vie !
– Qu'est-ce que tu as, toi aussi, contre le Québec ?
– J'ai vécu six mois d'insoutenables souffrances pour perdre trois kilos, ce n'est pas pour aller les reprendre quelques jours. Leurs restaurants sont irrésistibles, leurs serveurs aussi d'ailleurs ! Et puis je déteste l'idée d'être un second choix
– Pourquoi dis-tu ça ?
– Avant moi, qui d'autre a refusé de partir avec toi ?
– Peu importe ! De toute manière, tu n'y croirais pas.
– Peut-être que si tu commençais par m'expliquer ce qui te tracasse...
– Même si je te racontais tout depuis le début, tu n'y croirais pas non plus.
– Admettons que je sois un imbécile... À quand remonte la dernière fois où tu t’es accordée une demi-journée en pleine semaine ?
Face au mutisme de Julia, Stanley enchaîna :
– Tu débarque un lundi matin dans ma boutique, ton haleine empeste le café, toi qui détestes ça. Sous ce blush, très mal réparti d'ailleurs, se cache la frimousse de quelqu'un dont les heures de sommeil ont dû se compter en minutes, tu me demandes de remplacer ton fiancé au pied levé pour t'accompagner en voyage. Que se passe-t-il ?
Tu as passé la nuit avec un autre homme qu’Adam ?
– Mais nom ! s’exclama Julia.
– Je te repose ma question. De qui ou de quoi as-tu peur ?
– De rien.
– J'ai du travail, ma chérie, alors si tu ne me fais plus assez de confiance pour te confier à moi, je vais retourner à mon inventaire, répliqua Stanley en feignant d'aller vers son arrière-boutique
– Tu bâillais devant un livre quand je suis entrée !
Qu'est-ce que tu mens mal ! dit Julia en riant.
– Enfin s’efface cette mine maussade ! Veux-tu que nous allions marcher ? Les magasins du quartier ouvri-ront bientôt, tu as certainement besoin d'une nouvelle paire de chaussures.
– Si tu voyais toutes celles qui dorment dans ma penderie et que je ne mets jamais.
– Je ne parlais pas de satisfaire tes pieds, mais ton moral !
Julia souleva la petite pendule dorée. La vitre de protection du cadran était manquante. Elle en caressa le pourtour du bout du doigt.
– Elle est vraiment jolie, dit-elle en reculant les aiguilles des minutes.
Et sous l'impulsion de son geste, l’aiguille des heures se mit aussi à rebrousser chemin.
– Ce serait tellement bien si l'on pouvait revenir en arrière.
Stanley observa Julia.
– Faire reculer le temps ? Tu ne rendrais pas pour autant cette antiquité à sa jeunesse. Vois les choses autrement, c'est elle qui nous offre la beauté de son âge, répondit Stanley en reposant la pendule sur son étagère.
Tu vas enfin me dire ce qui te préoccupe ?
– Si l'on te proposait de faire un voyage, de partir sur les traces de la vie de ton père, tu accepterais ?
– Quel serait le risque ? En ce qui me concerne, si je devais aller jusqu'au bout du monde, ne serait-ce que pour y retrouver un fragment de la vie de ma mère, je serais déjà assis dans l'avion à emmerder des hôtesses, au lieu de perdre mon temps avec une folle, même si c'est elle que j'ai choisi pour meilleure amie. Si un tel voyage s'offre à toi, pars sans hésiter.
– Et si c’était trop tard ?
– Trop tard, ce n'est que lorsque les choses sont devenues définitives même disparu, ton père continu de vivre à tes côtés.
– Tu ne soupçonnes pas à quel point !
– Quoi que tu veuilles te raconter, il te manque.
– Depuis toutes ces années je me suis accoutumées à son absence. J'ai tellement appris à vivre sans lui.
– Ma chérie, même les enfants qui n'ont jamais connu leurs vrais parents ressentent tôt ou tard le besoin de renouer avec leurs racines. C'est souvent cruel pour ceux qui les ont élevés et aimés, mais la nature humaine est ainsi faite. On avance péniblement dans la vie quand on ne sait pas d'où l'on vient. Alors s’il te faut entreprendre je ne sais quel périple qui t'amènerait à enfin qui était ton père, réconcilierait ton passé est le sien, fais-le.
– Nous n'avons pas beaucoup de souvenirs ensemble, tu sais.
– Peut-être plus que tu ne le crois. Pour une fois, oublie cette fierté que j'adore et entreprends ce voyage ! Tu ne le fais pas pour toi, fais-le pour l’une de mes grandes amies je te la présenterai un jour, c'est une maman formidable.
– Qui ça ? Demanda Julia avec une pointe de jalou-sie dans la voix.
– Toi, dans quelques années.
– Tu es un ami merveilleux, Stanley, dit Julia en posant un baiser sur sa joue.
– Mais je n'y suis pour rien, ma chérie, c'est cette infusion !
– Tu féliciteras ton ami du Vietnam, son thés a vraiment des vertus étonnantes, ajouta Julia en sortant.
– Si tu l’aime à ce point, je t'en prendrai quelques boîtes, elles t’attendront à ton retour. Je l'achète chez l'épicier au coin de la rue !