40370.fb2 Une Fille D’?ve - читать онлайн бесплатно полную версию книги . Страница 11

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– Tu voudrais me faire croire qu’il a redoublé pour toi d’attentions depuis quelque temps, mais c’est précisément ce qui prouve qu’il est très-amoureux.

– D’une femme du monde, lui?… dit Florine. Je ne m’inquiète pas pour si peu de chose.

– Hé! bien, veux-tu le voir venir te dire qu’il ne te ramènera pas ce matin chez toi?

– Si tu me fais dire cela, reprit Florine, je te mènerai chez moi, et nous y chercherons ces lettres auxquelles je croirai quand je les verrai: il les écrirait donc pendant que je dors?

– Reste là, dit Félix, et regarde.

Il prit le bras de sa femme et se mit à deux pas de Florine. Bientôt Nathan, qui allait et venait dans le foyer, cherchant de tous côtés son masque comme un chien cherche son maître, revint à l’endroit où il avait reçu la confidence. En lisant sur ce front une préoccupation facile à remarquer, Florine se posa comme un Terme devant l’écrivain, et lui dit impérieusement: – Je ne veux pas que tu me quittes, j’ai des raisons pour cela.

– Marie!… dit alors par le conseil de son mari la comtesse à l’oreille de Raoul. Quelle est cette femme? Laissez-la sur-le-champ, sortez et allez m’attendre au bas de l’escalier.

Dans cette horrible extrémité, Raoul donna une violente secousse au bras de Florine, qui ne s’attendait pas à cette manœuvre; et quoiqu’elle le tînt avec force, elle fut contrainte à le lâcher. Nathan se perdit aussitôt dans la foule.

– Que te disais-je? cria Félix dans l’oreille de Florine stupéfaite, et en lui donnant le bras.

– Allons, dit-elle, qui que tu sois, viens. As-tu ta voiture?

Pour toute réponse, Vandenesse emmena précipitamment Florine et courut rejoindre sa femme à un endroit convenu sous le péristyle. En quelques instants les trois masques, menés vivement par le cocher de Vandenesse, arrivèrent chez l’actrice qui se démasqua. Madame de Vandenesse ne put retenir un tressaillement de surprise à l’aspect de Florine étouffant de rage, superbe de colère et de jalousie.

– Il y a, lui dit Vandenesse, un certain portefeuille dont la clef ne t’a jamais été confiée, les lettres doivent y être.

– Pour le coup, je suis intriguée, tu sais quelque chose qui m’inquiétait depuis plusieurs jours, dit Florine en se précipitant dans le cabinet pour y prendre le portefeuille.

Vandenesse vit sa femme pâlissant sous son masque. La chambre de Florine en disait plus sur l’intimité de l’actrice et de Nathan qu’une maîtresse idéale n’en aurait voulu savoir. L’œil d’une femme sait pénétrer la vérité de ces sortes de choses en un moment, et la comtesse aperçut dans la promiscuité des affaires de ménage, une attestation de ce que lui avait dit Vandenesse. Florine revint avec le portefeuille.

– Comment l’ouvrir? dit-elle.

L’actrice envoya chercher le grand couteau de sa cuisinière; et quand la femme de chambre le rapporta, Florine le brandit en disant d’un air railleur: – C’est avec ça qu’on égorge les poulets!

Ce mot, qui fit tressaillir la comtesse, lui expliqua, encore mieux que ne l’avait fait son mari la veille, la profondeur de l’abîme où elle avait failli glisser.

– Suis-je sotte! dit Florine, son rasoir vaut mieux.

Elle alla prendre le rasoir avec lequel Nathan venait de se faire la barbe et fendit les plis du maroquin qui s’ouvrit et laissa passer les lettres de Marie. Florine en prit une au hasard.

– Oui, c’est bien d’une femme comme il faut! Ça m’a l’air de ne pas avoir une faute d’orthographe.

Vandenesse prit les lettres et les donna à sa femme, qui alla vérifier sur une table si elles y étaient toutes.

– Veux-tu les céder en échange de ceci? dit Vandenesse en tendant à Florine la lettre de change de quarante mille francs.

– Est-il bête de souscrire de pareils titres?… Bon pour des billets, dit Floride en lisant la lettre de change. Ah! je t’en donnerai, des comtesses! Et moi qui me tuais le corps et l’âme en province pour lui ramasser de l’argent, moi qui me serais donné la scie d’un agent de change pour le sauver! Voilà les hommes: quand on se damne pour eux, ils vous marchent dessus! Il me le paiera.

Madame de Vandenesse s’était enfuie avec les lettres.

– Hé! dis donc, beau masque? laisse-m’en une seule pour le convaincre.

– Cela n’est plus possible, dit Vandenesse.

– Et pourquoi?

– Ce masque est ton ex-rivale.

– Tiens, mais elle aurait bien pu me dire merci, s’écria Florine.

– Pour quoi prends-tu donc les quarante mille francs? dit Vandenesse en la saluant.

Il est extrêmement rare que les jeunes gens, poussés à un suicide, le recommencent quand ils en ont subi les douleurs. Lorsque le suicide ne guérit pas de la vie, il guérit de la mort volontaire. Aussi Raoul n’eut-il plus envie de se tuer quand il se vit dans une position encore plus horrible que celle d’où il voulait sortir, en trouvant sa lettre de change à Schmuke dans les mains de Florine, qui la tenait évidemment du comte de Vandenesse. Il tenta de revoir la comtesse pour lui expliquer la nature de son amour, qui brillait dans son cœur plus vivement que jamais. Mais la première fois que, dans le monde, la comtesse vit Raoul, elle lui jeta ce regard fixe et méprisant qui met un abîme infranchissable entre une femme et un homme. Malgré son assurance, Nathan n’osa jamais, durant le reste de l’hiver, ni parler à la comtesse, ni l’aborder.

Cependant il s’ouvrit à Blondet: il voulut, à propos de madame de Vandenesse, lui parler de Laure et de Béatrix. Il fit la paraphrase de ce beau passage dû à la plume de Théophile Gautier, un des plus remarquables poètes de ce temps:

«Idéal, fleur bleue à cœur d’or, dont les racines fibreuses, mille fois plus déliées que les tresses de soie des fées, plongent au fond de notre âme pour en boire la plus pure substance; fleur douce et amère! on ne peut t’arracher sans faire saigner le cœur, sans que de ta tige brisée suintent des gouttes rouges! Ah! fleur maudite, comme elle a poussé dans mon âme!»

– Tu radotes, mon cher, lui dit Blondet, je t’accorde qu’il y avait une jolie fleur, mais elle n’était point idéale, et au lieu de chanter comme un aveugle devant une niche vide, tu devrais songer à te laver les mains pour faire ta soumission au pouvoir et te ranger. Tu es un trop grand artiste pour être un homme politique, tu as été joué par des gens qui ne te valaient pas. Pense à te faire jouer encore, mais ailleurs.

– Marie ne saurait m’empêcher de l’aimer, dit Nathan. J’en ferai ma Béatrix.

– Mon cher, Béatrix était une petite fille de douze ans que Dante n’a plus revue; sans cela aurait-elle été Béatrix? Pour se faire d’une femme une divinité, nous ne devons pas la voir avec un mantelet aujourd’hui, demain avec une robe décolletée, après demain sur le boulevard, marchandant des joujoux pour son petit dernier. Quand on a Florine, qui tour à tour est duchesse de vaudeville, bourgeoise de drame, négresse, marquise, colonel, paysanne en Suisse, vierge du Soleil au Pérou, sa seule manière d’être vierge, je ne sais pas comment on s’aventure avec les femmes du monde.

Du Tillet, en terme de Bourse, exécuta Nathan, qui, faute d’argent, abandonna sa part dans le journal. L’homme célèbre n’eut pas plus de cinq voix dans le collége où le banquier fut élu.

Quand, après un long et heureux voyage en Italie, la comtesse de Vandenesse revint à Paris, l’hiver suivant, Nathan avait justifié toutes les prévisions de Félix: d’après les conseils de Blondet, il parlementait avec le pouvoir. Quant aux affaires personnelles de cet écrivain, elles étaient dans un tel désordre qu’un jour, aux Champs-Élysées, la comtesse Marie vit son ancien adorateur à pied, dans le plus triste équipage, donnant le bras à Florine. Un homme indifférent est déjà passablement laid aux yeux d’une femme; mais quand elle ne l’aime plus, il paraît horrible, surtout lorsqu’il ressemble à Nathan. Madame de Vandenesse eut un mouvement de honte en songeant qu’elle s’était intéressée à Raoul. Si elle n’eût pas été guérie de toute passion extra-conjugale, le contraste que présentait alors le comte, comparé à cet homme déjà moins digne de la faveur publique, eût suffi pour lui faire préférer son mari à un ange.

Aujourd’hui, cet ambitieux, si riche en encre et si pauvre en vouloir, a fini par capituler et par se caser dans une sinécure, comme un homme médiocre. Après avoir appuyé toutes les tentatives désorganisatrices, il vit en paix à l’ombre et une feuille ministérielle. La croix de la Légion-d ’Honneur, texte fécond de ses plaisanteries, orne sa boutonnière. La paix à tout prix, sur laquelle il avait fait vivre la rédaction d’un journal révolutionnaire, est l’objet de ses articles laudatifs. L’Hérédité, tant attaquée par ses phrases saint-simoniennes, il la défend aujourd’hui avec l’autorité de la raison. Cette conduite illogique a son origine et son autorité dans le changement de front de quelques gens qui, durant nos dernières évolutions politiques, ont agi comme Raoul.

Aux Jardies, décembre 1838.