43709.fb2 Le Lutrin - читать онлайн бесплатно полную версию книги . Страница 7

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CHANT SIXIEME

Tandis que tout conspire à la guerre sacrée,La Piété sincère, aux Alpes retirée,Du fond de son désert entend les tristes cris,De ses sujets cachés dans les murs de Paris.Elle quitte à l'instant sa retraite divineLa Foi, d'un pas certain, devant elle chemine;L'Espérance au front gai l'appuie et la conduit;Et, la bourse à la main, la Charité la suit.Vers Paris elle vole, et d'une audace sainte,Vient aux pieds de Thémis proférer cette plainte:Vierge, effroi des méchants, appui de mes autels,Qui, la balance en main, règle tous les mortels,Ne viendrai-je jamais en tes bras salutairesQue pousser des soupirs et pleurer mes misères!Ce n'est donc pas assez qu'au mépris de tes loisL'Hypocrisie ait pris et mon nom et ma voix;Que, sous ce nom sacré, partout ses mains avaresCherchent à me ravir crosses, mitres, tiares!Faudra-t-il voir encor cent monstres furieuxRavager mes états usurpés à tes yeux!Dans les temps orageux de mon naissant empire,Au sortir de baptême on courait au martyre.Chacun, plein de mon nom, ne respirait que moi:Le fidèle, attentif aux règles de sa loi,Fuyant des vanités la dangereuse amorce,Aux honneurs appelé, n'y montait que par force:Ces coeurs, que les bourreaux ne faisaient point frémir,A l'offre d'une mitre étaient prêts à gémir;Et, sans peur des travaux, sur mes traces divinesCouraient chercher le ciel au travers des épines.Mais, depuis que l'Eglise eut, aux yeux des mortels,De son sang en tous lieux cimenté ses autels,Le calme dangereux succédant aux orages,Une lâche tiédeur s'empara des courages,De leur zèle brûlant l'ardeur se ralentit.Sous le joug des péchés leur foi s'appesantit:Le moine secoua la cilice et la haire,Le chanoine indolent apprit à ne rien faire;Le prélat, par la brigue aux honneurs parvenu,Ne sut plus qu'abuser d'un humble revenu,Et pour toutes vertus fit, au dos d'un carrosse,A côté d'une mitre armorier sa crosse;L'Ambition partout chassa l'Humilité;Dans la crasse du froc logea la Vanité.Alors de tous les coeurs l'union fut détruite.Dans mes cloîtres sacrés la Discorde introduiteY bâtit de mon bien ses plus sûrs arsenaux;Traîne tous mes sujets au pied des tribunaux.En vain à ses fureurs j'opposai mes prières;L'insolente, à mes yeux, marcha sous mes bannières.Pour comble de misère, un tas de faux docteursVint flatter les péchés de discours imposteurs;Infectant les esprits d'exécrables maximes,Voulut faire à Dieu même approuver tous les crimes.Une servile peur leur tint lieu de charité,Le besoin d'aimer Dieu passa pour nouveauté;Et chacun à mes pieds, conservant sa malice,N'apporta de vertu que l'aveu de son vice.Pour éviter l'affront de ces noirs attentats,J'allai chercher le calme au séjour des frimas,Sur ces monts entourés d'une éternelle glaceOù jamais au printemps les hivers n'ont fait place.Mais, jusques dans la nuit de mes sacrés déserts,Le bruit de mes malheurs fait retentir les airs.Aujourd'hui même encore une voix trop fidèleM'a d'un triste désastre apporté la nouvelle:J'apprends que, dans ce temple où le plus saint des roisConsacra tout le fruit de ses pieux exploits,Et signala pour moi sa pompeuse largesse,L'implacable Discorde et l'infâme Mollesse,Foulant aux pieds les lois, l'honneur et le devoir,Usurpent en mon nom le souverain pouvoir.Souffriras-tu, ma soeur, une action si noire?Quoi! ce temple, à ta porte, élevé pour ma gloire,Où jadis des humains j'attirais tous les voeux,Sera de leurs combats le théâtre honteux!Non, non, il faut enfin que ma vengeance éclate:Assez et trop longtemps l'impunité les flatte.Prends ton glaive, et, fondant sur ces audacieux,Viens aux yeux des mortels justifier les cieux.Ainsi parle à sa soeur cette vierge enflammée:La grâce est dans ses yeux d'un feu pur allumée.Thémis sans différer lui promet son secours,La flatte, la rassure et lui tient ce discours:Chère et divine soeur, dont les mains secourablesOnt tant de fois séché les pleurs des misérables,Pourquoi toi-même, en proie à tes vives douleurs,Cherches-tu sans raison à grossir tes malheurs?En vain de tes sujets l'ardeur est ralentie;D'un ciment éternel ton Eglise est bâtie,Et jamais de l'enfer les noirs frémissementsN'en sauraient ébranler les fermes fondements.Au milieu des combats, des troubles, des querelles,Ton nom encor chéri vit au sein des fidèles.Crois-moi, dans ce lieu même où l'on veut t'opprimer,Le trouble qui t'étonne est facile à calmer;Et, pour y rappeler la paix tant désirée,Je vais t'ouvrir, ma soeur, une route assurée.Prête-moi donc l'oreille, et retiens tes soupirs.Vers ce temple fameux, si chers à tes désirsOù le ciel fut pour toi si prodigue en miracles,Non loin de ce palais où je rends mes oracles,Est un vaste séjour des mortels révéré,Et de clients soumis à toute heure entouré,Là, sous le faix pompeux de ma pourpre honorable,Veille au soin de ma gloire un homme incomparable,Ariste, dont le Ciel et Louis ont fait choixPour régler ma balance et dispenser mes lois.Par lui dans le barreau sur mon trône affermieJe vois hurler en vain la chicane ennemie;Par lui la vérité ne craint plus l'imposteur,Et l'orphelin n'est plus dévoré du tuteur.Mais pourquoi vainement t'en retracer l'image?Tu le connais assez: Ariste est ton ouvrage.C'est toi qui le formas dès ses plus jeunes ans:Son mérite sans tache est un de tes présents.Tes divines leçons, avec le lait sucées,Allumèrent l'ardeur de ses nobles pensées.Aussi son coeur, pour toi brûlant d'un si beau feu,N'en fit point dans le monde un lâche désaveu;Et son zèle hardi, toujours prêt à paraître,N'alla point se cacher dans le sombres d'un cloître.Va le trouver, ma soeur a ton auguste nom,Tout s'ouvrira d'abord en sa sainte maison.Ton visage est connu de sa noble famille.Tout y garde tes lois, enfants, soeurs, femme, fille.Tes yeux d'un seul regard sauront le pénétrer;Et, pour obtenir tout, tu n'as qu'à te montrer.Là s'arrêta Thémis. La Piété charméeSent renaître la joie en son âme calmée.Elle court chez Ariste; Et s'offrant à ses yeux:Que me sert, lui dit-elle, Ariste qu'en tous lieuxTu signales pour moi ton zèle et ton courage,Si la Discorde impie à ma porte m'outrage?Dans ces murs, autrefois si saints, si renommés,A mes sacrés autels font un profane insulte,Remplissent tout d'effroi, de trouble et de tumulte.De leur crime à leurs yeux va-t-en peindre l'horreur:Sauve-moi, sauve-les de leur propre fureur.Elle sort à ces mots. Le héros en prièreDemeure tout couvert de feux et de lumière.De la céleste fille il reconnaît l'éclat,Et mande au même instant le chantre et le prélat.Muse, c'est à ce coup que mon esprit timideDans sa course élevée a besoin qu'on le guide.Pour chanter par quels soins, par quels nobles travauxUn mortel sut fléchir ces superbes rivaux.Mais plutôt, toi qui fis ce merveilleux ouvrage,Ariste, c'est à toi d'en instruire nôtre âge.Seul tu peux révéler par quel art tout puissantTu rendis tout-à-coup le chantre obéissant.Tu sais par quel conseil rassemblant le chapitreLui-même, de sa main, reporta le pupitre;Et comment le prélat, de ses respects content,Le fit du banc fatal enlever à l'instant.Parle donc: c'est à toi d'éclaircir ces merveilles.Il me suffit pour moi d'avoir su, par mes veillesJusqu'au sixième chant pousser ma fiction,Et fait d'un vain pupitre un second Ilion.Finissons. Aussi bien, quelque ardeur qui m'inspire,Quand je songe au héros qui me reste à décrire,Qu'il faut parler de toi, mon esprit éperduDemeure sans parole, interdit, confondu.Ariste, c'est ainsi qu'en ce sénat illustreOù Thémis, par tes soins, reprend son premier lustre,Quand, la première fois, un athlète nouveauVient combattre en champ clos aux joutes du barreau,Souvent sans y penser ton auguste présenceTroublant par trop d'éclat sa timide éloquence,Le nouveau Cicéron, tremblant, décoloré,Cherche en vain son discours sur sa langue égaré:En vain, pour gagner temps, dans ses transes affreuses,Traîne d'un dernier mot les syllabes honteuses;Il hésite, il bégaie; et le triste orateurDemeure enfin muet aux yeux du spectateur.