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IV

NOUVELLE DONNE

à Michel Bulteau

Nous étions arrivés à un moment de notre vie où se faisait sentir l'impérieuse nécessité de négocier une nouvelle donne,Ou simplement de crever.Quand nous étions face à face avec nous-mêmes sur la banquette arrière dans le fond du garage il n'y avait plus personne,On aimait se chercher.Le sol légèrement huileux où nous glissions une bouteille de bière à la main,Et ta robe de satinMon angeNous avons traversé des moments bien étrangesOù les amis disparaissaient un p a r un et où les plus gentils devenaient les plus durs,S'installaient dans une espèce de fissureEntre les longs murs blancs de la dépendance pharmaceutiqueIls devenaient des pantins ironiques,Pathétiques.Le lyrisme et la passion nous les avons connus mieux que personne,Beaucoup mieux que personneCar nous avons creusé jusqu'au fond de nos organes pour essayer de les transformer de l'intérieurPour trouver un chemin écarter les poumons pénétrer jusqu'au cœurEt nous avons perdu,Nos corps étaient si nus.Répétition des morts et des abandons et les plus purs montaient vers leur calvaire,Je me souviens de ton cousin le matin où il s'était teint les cheveux en vertAvant de sauter dans le fleuve,Sa vie était si neuve.Nous n'aimons plus beaucoup maintenant les gens qui viennent critiquer nos rêves,Nous nous laissons lentement investir par une ambiance de trêveNous ne croyons plus beaucoup maintenant aux plaisanteries sur le sens du cosmos,Nous savons qu'il existe un espace de liberté entre la chair et l'osOù les répétitions les plaintesParviennent atténuées;Un espace d'étreintes,Un corps transfiguré.Quand il fait froid,Ou plutôt quand on a froid,Quand un centre de froid s'installe avec un mouvement [mouAu fond de la poitrineEt saute lourdement entre les poumonsComme un gros animal stupide;Quand les membres battent faiblement,De plus en plus faiblementAvant de s'immobiliser sur le canapéDe manière apparemment définitive;Quand les années tournent en clignotantDans une atmosphère enfuméeOn ne se souvient plus de la rivière parfumée,La rivière de la première enfanceJe l'appelle, conformément à une ancienne tradition: la rivière d'innocence.Maintenant que nous vivons dans la lumière,Maintenant que nous vivons à proximité immédiate de la lumière,Dans des après-midi inépuisablesMaintenant que la lumière autour de nos corps est devenue palpable,Nous pouvons dire que nous sommes parvenus à destinationLes étoiles se réunissent chaque nuit pour célébrer nos souffrances et leur transfigurationEn des figures indéfiniment mystérieusesEt cette nuit de notre arrivée ici, entre toutes les nuits, nous demeure infiniment précieuse.

SO LONG

Il y a toujours une ville, des traces de poètesQui ont croisé leur destinée entre ses mursL'eau coule un peu partout, la mémoire murmureDes noms de villes, des noms de gens, trous dans la [tête.Et c'est toujours la même histoire qui recommence,Horizons effondrés et salons de massageSolitude assumée, respect du voisinage,Il y a pourtant des gens qui existent et qui dansent.Ce sont des gens d'une autre espèce, d'une autre race,Nous dansons tout vivants une danse cruelleNous avons peu d'amis mais nous avons le ciel,Et l'infinie sollicitude des espaces;Le temps, le temps très vieux qui prépare sa vengeance,L'incertain bruissement de la vie qui s'écouleLes sifflements du vent, les gouttes d'eau qui roulentEt la chambre jaunie où notre mort s'avance.

LA MÉMOIRE DELA MER

Une lumière bleue s'établit sur la ville,Il est temps de faire vos jeux;La circulation tombe. Tout s'arrête. La ville est si tranquille.Dans un brouillard de plomb, la peur au fond des yeux,Nous marchons vers la ville,Nous traversons la ville.Près des voitures blindées, la troupe des mendiants,Comme une flaque d'ombreGlisse en se tortillant au milieu des décombresTon frère fait partie des mendiantsIl fait partie des errantsJe n'oublie pas ton frère,Je n'oublie pas le jeu.On achète du riz dans des passages couverts,Encerclés par la haineLa nuit est incertaine,La nuit est presque rougeTraversant les années, au fond de moi, elle bouge,La mémoire de la mer.

UN ÉTÉ À DEUIL-LA-BARRE

Reptation des branchages entre les fleurs solides,Glissement des nuages et la saveur du vide:Le bruit du temps remplit nos corps et c'est dimancheNous sommes en plein accord, je mets ma veste blancheAvant de m'effondrer sur un banc de jardinOù je m'endors, je me retrouve deux heures plus loin.Une cloche tinte dans l'air sereinLe ciel est chaud, on sert du vin,Le bruit du temps remplit la vie;C'est une fin d'après-midi.L'aube grandit dans la douceurLe lait tiédit, petites flammesVibrantes et bleues, petites sœursLait gonflé comme un sein de femmeEt le bruit du percolateurDans le silence de la ville;Vers le Sud, l'écho d'un moteurIl est cinq heures, tout est tranquille.

J'ai toujours eu l'impression que nous étions proches, comme deux fruits issus de la même branche. Le jour se lève au moment où je t'écris, le tonnerre gronde doucement; la journée sera pluvieuse. Je t'imagine te redressant dans ton lit. Cette angoisse que tu ressens, je la ressens également.

La nuit nous abandonne,

La lumière délimite

À nouveau les personnes,

Les personnes toutes petites.

Couché sur la moquette, j'observe avec résignation la montée de la lumière. Je vois des cheveux sur la moquette; ces cheveux ne sont pas les tiens. Un insecte solitaire escalade les tiges de laine. Ma tête s'abat, se relève; j'ai envie de fermer vraiment les yeux. Je n'ai pas dormi depuis trois jours; je n'ai pas travaillé depuis trois mois. Je pense à toi.

Quand la pluie tombait en rafalesSur notre petite maisonNous étions à l'abri du mal,Blottis auprès de la raison.La raison est un gros chien tendreEt c'est l'opposé de la perteIl n'y a plus rien à comprendre,L'obéissance nous est offerte.Donnez-moi la paix, le bonheur,Libérez mon cœur de la haineJe ne peux plus vivre dans la peur,Donnez-moi la mesure humaine.Il existe un pays, plutôt une frontière,Où la lumière est douce et pratiquement solideLes êtres humains échangent des fragments de lumière,Mais ils n'ont pas la moindre appréhension du vide.La parabole du désirRemplissait nos mains de silenceEt chacun se sentait mourir,Nos corps vibraient de ton absence.Nous avons traversé des frontières de craieEt le second matin le soleil devint procheIl y avait dans le ciel quelque chose qui bougeait,Un battement très doux faisait vibrer les roches.Les gouttelettes de lumièreSe posaient sur nos corps meurtrisComme la caresse infinieD'une divinité – matière.Les couleurs de la déraison,Comme un fétiche inachevéDéfinissent de nouvelles saisons,L'inexistence remplit l'été.Le soleil du Bouddha tranquilleGlissait au milieu des nuagesNous venions de quitter la ville,Le temps n'était plus à l'orage.La route glissait dans l'auroreEt les essuie-glaces vibraient,J'aurais aimé revoir ton corpsAvant de partir à jamais.Dehors il y a la nuitLa violence, le carnageViens près de moi, sans bruit,Je distingue une image Mouvante.Et les contours se brouillent,La lumière est tremblanteMon regard se dépouilleJe suis là, dans l'attente, Sereine.Nous avons traverséDes époques de haine,Des temps controversésSans dimension humaineEt le monde a pris forme,Le monde est apparuDans sa présence nue,Le monde.

LA LONGUE ROUTE DE CLIFDEN

À l'Ouest de Clifden, promontoireLà où le ciel se change en eauLà où l'eau se change en mémoireTout au bord d'un monde nouveauLe long des collines de Clifden,Des vertes collines de Clifden,Je viendrai déposer ma peine.Pour accepter la mort il fautQue la mort se change en lumièreQue la lumière se change en eauEt que l'eau se change en mémoire.L'Ouest de l'humanité entièreSe trouve sur la route de ClifdenSur la longue route de ClifdenOù l'homme vient déposer sa peineEntre les vagues et la lumière.Montre-toi, mon ami, mon doubleMon existence est dans tes mainsJe ne suis pas vraiment humainJe voudrais une existence troubleUne existence comme un étang, comme une merUne existence avec des alguesEt des coraux, et des espoirs, et des mondes amersRoulés par la pureté des vagues.L'eau glissera sur mon cadavreComme une comète oubliéeEt je retrouverai un havre,Un endroit sombre et protégé.Avalanche de fausses raisonsDans l'univers privé de sens,Les soirées pleines de privation,Les murailles de la décadence.Comme un poisson de mer vidé,J'ai donné mes organes aux bêtesMes intestins écartelésSont très loin, déjà, de ma tête.La chair fourmille d'espéranceComme un bifteck décomposé,Il y aura des moments d'erranceOù plus rien ne sera imposé.Je suis libre comme un camionQui traverse sans conducteurLes territoires de la terreur,Je suis libre comme la passion.

POÈME À MARIE-PIERRE

La clarté paraît dangereuseEt les femmes ont rarement besoinD'être satisfaites de leur sexe,Évidemment.L'avantage d'avoir des organes sexuels internes,Je le lis avec clarté dans ton regardAu demeurant presque innocent.Tu attends ou tu provoques,Mais au fond tu attends toujoursUne espèce d'hommageQui pourra t'être donné ou refusé,Et ta seule possibilité en dernière analyse est d'attendre.Pour cela, je t'admire énormément.En même temps tu es si faible et si soumise,Tu sais qu'une quantité excessive de sueur diminuera le [désirQue je suis seul à pouvoir te donnerCar tu n'en veux pas d'autre,Et tu as besoin de ce désir.Pour cela, aussi, je t'admire énormément.En même temps tu as cette force terrifianteDe ceux qui ont le pouvoir de dire oui ou de dire nonCette force t'a été donnéeBeaucoup peuvent te chercher, certains peuvent te trouverTon regard est la clef de différentes possibilités d'existence et de différentes structurations du mondeTu es la clef offerte par la vie pour un certain nombre d'ailleursÀ ton contact, je deviens progressivement meilleurEt j'admire, également, ta force.Je suis en présence de toiComme devant un autre mondePourtant je vais au fond de toiJe m'arrête, j'écoute les secondesEt il y a un autre monde.

NAISSANCE AQUATIQUE D'UN HOMME

Il y a d'abord cet acte qu'il faut bien qualifier de charnel,Faute d'un meilleur termeActe où nous engageons pourtant une bonne partie de nos ressources spirituellesEt de nos croyancesCar nous créons les conditions, non seulement pour un être, mais aussi pour le monde, d'une nouvelle naissance,Nous en fixons l'initiation et peut-être le terme.Il y a ensuite cette espèce d'être animalQu'on a bien du mal à mettre en rapport avec la femmeTelle que nous la connaissonsJe veux dire, la femme de nos jours,Celle qui prend le métroEt qui n'est plus capable d'amour.Il y a ce geste de l'embrassement qui remonte si naturellement vers les lèvres et vers les mainsDevant l'objet fripé qui sortQui était protégé il y a quelques instants encoreQui vient brutalement de tomber en direction de l'humainDe manière irrémédiableEt nous pleurons, nous aussi, cette chute.Il y a cette espèce de croyance en un monde délivré du malEt des cris, et de la souffrance,Un monde où envisager l'horreur de la naissanceComme un acte amicalJe veux dire, un monde où l'on pourrait vivreDepuis le premier instantEt jusqu'à la fin, jusqu'au terme naturel;Un tel monde n'est en aucun cas décrit dans nos livres.Il existe, potentiel.

C'est comme une veine qui court sous la peau, et que l'aiguille cherche à atteindre,

C'est comme un incendie si beau qu'on n'a pas envie de l'éteindre,

La peau est endurcie, par endroits presque bleue, et pourtant c'est un bain de fraîcheur au moment où pénètre l'aiguille

Nous marchons dans la nuit et nos mains tremblent un peu, pourtant nos doigts se cherchent et pourtant nos yeux brillent.

C'est le matin dans la cuisine et les choses sont à leur place habituelle,

Par la fenêtre on voit les ruines et dans l'évier traîne une vague vaisselle,

Cependant tout est différent, la nouveauté de la situation est proprement incommensurable,

Hier en milieu de soirée tu le sais nous avons basculé dans le domaine de l'inéluctable.

Au moment où tes doigts tendres petites bêtes ont accroché les miens et ont commencé à les presser doucement

J'ai su qu'il importait très peu que je sois à tel moment ou à tel autre ton amant

J'ai vu quelque chose se former, qui ne pouvait être compris dans les catégories ordinaires,

Après certaines révolutions biologiques il y a vraiment de nouveaux cieux, il y a vraiment une nouvelle Terre.

Il ne s'est à peu près rien passé et pourtant il nous est impossible de nous délivrer du vertige,

Quelque chose s'est mis en mouvement, des puissances avec lesquelles il n'est pas question qu'on transige, Comme celles de l'opium ou du Christ, les victimes de l'amour sont d'abord des victimes bienheureuses Et la vie qui circule en nous ce matin vient d'être augmentée dans des proportions prodigieuses.

C'est pourtant la même lumière, dans le matin, qui s'installe et qui augmente,

Mais le monde perçu à deux a une signification entièrement différente

Je ne sais plus vraiment si nous sommes dans l'amour ou dans l'action révolutionnaire

Après que nous en avons parlé tous les deux, tu as acheté une biographie de Maximilien Robespierre.

Je sais que la résignation vient de partir avec la facilité d'une peau morte,

Je sais que son départ me remplit d'une joie incroyablement forte,

Je sais que vient de s'ouvrir un pan d'histoire absolument inédit

Aujourd'hui et pour un temps indéterminé nous pénétrons dans un autre monde, et je sais que dans cet autre monde tout pourra être reconstruit.

LE SENS DU COMBAT

Il y a eu des nuits où nous avions perdu jusqu'au sens [du combatNous frissonnions de peur, seuls dans la plaine [immense,Nous avions mal aux brasIl y a eu des nuits incertaines et très denses.Comme un oiseau blessé tournoie dans l'atmosphèreAvant de s'écraser sur le sol du cheminTu titubais, disant des mots élémentaires,Avant de t'effondrer sur le sol de poussière; Je te prenais la main.Nous devions décider d'un autre angle d'attaque,Décrocher vers le BienJe me souviens de nos pistolets tchécoslovaques,Achetés pour presque rien.Libres et conditionnés par nos douleurs anciennesNous traversions la plaineEt les mottes gercées résonnaient sous nos pieds;Avant la guerre, ami, il y poussait du blé.Comme une croix plantée dans un sol desséchéJ'ai tenu bon, mon frère;Comme une croix de fer aux deux bras écartés.Aujourd'hui, je reviens dans la maison du Père.