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II

LE NOYAU DU MAL D'ÊTRE

Une pièce blanche, trop chauffée, avec de nombreux radiateurs (un peu: salle de cours dans un lycée technique).

La baie vitrée donne sur les banlieues modernes, préfabriquées, d'une zone semi-résidentielle.

Elles ne donnent pas envie de sortir, mais rester dans la pièce est un tel désastre d'ennui.

(Tout est déjà joué depuis longtemps, on ne continue la partie que par habitude.)

TRANSPOSITION, CONTRÔLE

La société est cela qui établit des différencesEt des procédures de contrôleDans le supermarché je fais acte de présence,Je joue très bien mon rôle.J'accuse mes différences,Je délimite mes exigencesEt j'ouvre la mâchoire,Mes dents sont un peu noires.Le prix des choses et des êtres se définit par consensus transparentOù interviennent les dents,La peau et les organes,La beauté qui se fane.Certains produits glycérinésPeuvent constituer un facteur de surestimation partielle;On dit: "Vous êtes belle";Le terrain est miné.La valeur des êtres et des choses est usuellement d'une précision extrêmeEt quand on dit: "Je t'aime"On établit une critique,Une approximation quantique,On écrit un poème.

DIJON

Usuellement, en arrivant en gare de Dijon, j'atteignais un état de parfait désespoir. Rien, cependant, ne s'était encore produit; il semblait encore flotter dans l'atmosphère, dans les bâtiments, comme une espèce d'hésitation ontologique. Les mouvements encore mal assurés du monde pouvaient s'arrêter d'un seul coup. Je pouvais, moi aussi, m'arrêter; je pouvais rebrousser chemin, je pouvais repartir. Ou bien je pouvais tomber malade; d'ailleurs, je me sentais malade. Le lundi matin, en traversant les rues en général brumeuses de cette ville à d'autres égards agréable, je pouvais encore croire que la semaine n'aurait pas lieu.

C'est vers huit heures moins dix que je passais devant l'église Saint-Michel. Il me restait quelques rues a parcourir, quelques centaines de mètres pendant lesquelles j'étais à peu près sûr de ne rencontrer personne. J'en profitais, sans cependant flâner. Je marchais lentement, mais sans détours, vers un espace de plus en plus restreint, vers un lieu de mieux en mieux délimité où allait se jouer pour moi, comme chaque semaine, l'enfer répétitif de la survie matérielle.

La machine à écrire pesait plus de vingt kilos,

Avec une grosse touche en forme d'éclair pour indiquer le retour chariot.

C'est je crois Jean-Luc Faure qui m'avait aidé à la transporter;

"Pour écrire tes mémoires", se moquait-il sans méchanceté.

PARIS-DOURDAN

À Dourdan, les gens crèvent comme des rats. C'est du moins ce que prétend Didier, un secrétaire de mon service. Pour rêver un peu, je m'étais acheté les horaires du RER – ligne C. J'imaginais une maison, un bull-terrier et des pétunias. Mais le tableau qu'il me traça de la vie à Dourdan était nettement moins idyllique: on rentre le soir à huit heures, il n'y a pas un magasin ouvert; personne ne vient vous rendre visite, jamais; le week-end, on traîne bêtement entre son congélateur et son garage. C'est donc un véritable réquisitoire anti-Dourdan qu'il conclut par cette formule sans nuance: "À Dourdan, tu crèveras comme un rat."

Pourtant j'ai parlé de Dourdan à Sylvie, quoique à mots couverts et sur un ton ironique. Cette fille, me disais-je dans l'après-midi en faisant les cent pas, une cigarette à la main, entre le distributeur de café et le distributeur de boissons gaseuses, est tout à fait le genre à désirer habiter Dourdan; s'il y a une fille que je connaisse qui puisse avoir envie d'habiter Dourdan, c'est bien elle; elle a tout à fait la tête d'une pro-dourdannaise.

Naturellement ce n'est là que l'esquisse d'un premier mouvement, d'un tropisme lent qui me porte vers Dourdan et qui mettra peut-être des années à aboutir, probablement même qui n'aboutira pas, qui sera contrecarré et anéanti par le flux des choses, par l'écrasement permanent des circonstances. On peut supposer sans grand risque d'erreur que je n'atteindrai jamais Dourdan; sans doute même serais-je brisé avant d'avoir dépassé Brétigny. Il n'empêche, chaque homme a besoin d'un projet, d'un horizon et d'un ancrage. Simplement, simplement pour survivre.

Je suis difficile à situer…

Je suis difficile à situerDans ce café (certains soirs, bal);Ils discutent d'affaires locales,D'argent à perdre, de gens à tuer.Je vais prendre un café et la note;On n'est pas vraiment à Woodstock.Les clients du bar sont partis,Ils ont fini leurs Martinis,Hi hi!

NICE

La promenade des Anglais est envahie de Noirs américainsQui n'ont même pas la carrure des basketteurs;Ils croisent des Japonais partisans de la "voie du sabre"Et des joggers semi-californiens;Tout cela vers quatre heures de l'après-midi,Dans la lumière qui décline.

L'ART MODERNE

Impression de paix dans la cour,Vidéos trafiquées de la guerre du LibanEt cinq mâles occidentauxDiscutaient de sciences humaines.

Recréer des cérémonies…

Recréer des cérémonies…Psychologies effilochées.Un jour nos visages vont lâcher,Nous aurons des mornes agonies.Les traits construits par l'existenceÉloignent du visage de Dieu.Moments ratés, faussement intenses…Nous ironisons, devenons vieux.Rediffusés par satellite,Les marathons caritatifsMaintiennent un niveau émotifPas trop intense, mais un peu vif;Plus tard, il y a des films de bite.

Des touristes danoises…

Des touristes danoises glissaient leurs yeux de bicheLe long de la rue des Martyrs;Une concierge promenait ses caniches;La nuit avait de l'avenir.Captés par le pinceau des phares,Quelques pigeons paralysésAchevaient leur vie, épuisés;La ville vomissait ses barbares.On se décide à se distraire,La nuit est bien chaude et bien moiteTout à coup l'envie de se taireVous casse en deux. La vie étroiteReprend ses droits. On ne peut plus.Comment font ces gens pour bouger?Comment font tous ces inconnus?Je me sens seul, découragé.

Quatre fillettes…

Quatre fillettes montraient leurs seinsSur la pelouse des InvalidesEt j'avais beaucoup trop de bidePour leur tenir un discours sain.C'étaient sans doute des Norvégiennes,Elles venaient sauter des LatinsElles avaient de très jolis seinsPlus loin, il y avait trois chiennesAu comportement placide(En déhors des périodes de rut,Les chiennes n'ont pas vraiment de but;Mais elles existent, douces et limpides.)

KIKI! KIKI!

Retrournerai-je en discothèque?Cela me paraît peu probable;À quoi bon de nouveaux échecs?Je préfère pisser sur le sableEt tendre ma petite quéquetteDans le vent frais de Tunisie,Il y a des Hongroises à lunettesEt je me branle par courtoisie.Je plaisante au bord du suicideComme un fil près d'un trou d'aiguilleEt si j'étais un peu lucideJe sauterais sur toutes les fillesEt je ferais n'importe quoiPour passer au moins une nuit,Pour arracher un peu de joieAuprès de ces corps qui s'enfuient.Mon sexe est toujours là, il gonfleJe le retrouve entre les drapsComme un vieil animal, il ronfleQuand je réutilise mon bras.Que ma main connaît bien mon sexe!Ce sont de très anciens rapportsRien ne la fâche, rien ne la vexe,Ma main me conduit à la mort.Je me masturbe au MartiniEn attendant demain matinJe sais très bien que c'est fini,Mais je ne comprends pas la finEt tout seul, dans la nuit, je bandeAutour d'un halo de douceurJ'ai envie de poser ma viande;Je me réveille, je suis en pleurs.

Créature aux lèvres accueillantes…

Créature aux lèvres accueillantesAssise en face, dans le métro,Ne sois pas si indifférente:L'amour, on n'en a jamais trop.

Dans les murs de la ville…

Dans les murs de la ville où le malheur dessineSes variations fragilesJe suis seul à jamais, la ville est une mineOù je creuse, docile.

Il y a les dimanches…

Il y a les dimanches,J'essaie de te baiserTu es là, froide et blanche,Sur le lit défroisséEt tu prends ta revanche.Une odeur de salpêtreRemonte à mes narinesEt nos deux corps s'empêtrent,Un peu plus tard j'urineEt je vomis mon être.Le samedi c'est bien,On va au MonoprixEt on compare les prixDes enfants et des chiens,Le samedi c'est bien.Mais il y a les dimanches,La durée qui se traîneLa peur qui se déclenche,Un mouvement de haine,Il a les dimanches;Lentement, je débranche.

La liberté me semble un mythe…

La liberté me semble un mythe,Ou bien c'est un surnom du vide;La liberté, franchement, m'irrite,On atteint vite à l'insipide.J'ai eu diverses choses à direCe matin, très tôt, vers six heuresJ'ai basculé dans le délire,Puis j'ai passé l'aspirateur.Le non-être flotte alentourEt se colle à nos peaux humides;De temps en temps on fait l'amour,Nos corps sont las. Le ciel est vide.

Après avoir connu la nature de la vie…

Après avoir connu la nature de la vieL'avoir examinée, soupesée en détail,On aimerait détruire ce qui peut être détruitMais tout semble solide, et l'informe bétailDes êtres humains poursuitSon réengendrement, tant pis, vaille que vaille.Le matin de mes jours m'apparaît vaguementLorsque je suis assis, tordu devant ma table,Tout semble s'effacer et se couvrir de sable,Le matin de mes jours disparaît lentement.

La vérité s'étend par flaques…

La vérité s'étend par flaquesAutour d'un étal de boucherL'amour de Dieu est une arnaque,Je regarde les chiens couchésQui happent des boyaux verdâtresD'une gueule presque joyeuse,Nous sommes des chiens idolâtresEt je te sens très amoureuse.Corps de femelles, sperme des mâlesMélangés pour une oraisonQu'on rend aux puissances infernales,Je suis las de mes trahisons.La vérité est dans le sangComme le sang est dans nos veines;Je m'approche, je te rentre dedans,Tu n'as presque plus la forme humaine.

Avec un bruit un peu moqueur…

Avec un bruit un peu moqueur,La mer s'écrasait sur la plage;Dans l'attente du deuxième sauveur,Nous ramassions des coquillages.L'homme mort, il reste un squeletteQui évolue vers la blancheurSous le poisson, il y a l'arêteLe poisson attend le pêcheur.Sous l'être humain, il y a la bruteConfigurée en profondeurMais au fond de sa vie sans but,L'homme attend le deuxième sauveur.

L'indifférence des falaises…

L'indifférence des falaisesÀ notre destin de fourmisGrandit dans la soirée mauvaise;Nous sommes petits, petits, petits.Devant ces concrétions solidesPourtant érodées par la merMontre en nous un désir de vide,L'envie d'un éternel hiver.Reconstruire une sociétéQui mérite le nom d'humaine,Qui conduise à l'éternitéComme l'anneau va vers la chaîne.Nous sommes là, la lune tombeSur un désespoir animalEt tu cries, ma soeur, tu succombesSous la sagesse du minéral.

La permanence de la lumière…

La permanence de la lumièreMe rend soudain mélancoliqueLes serpents rampent dans la poussière,Les chimpanzés sont hystériques.Les êtres humains se font des signes,Les ancolies fanent très viteJe me sens soudain très indigne,Je ne dispose d'aucun ritePour protéger mon existenceDe la lutte et de la fournaise,Cet univers où l'on se baiseN'est pas mon lieu de renaissance.Pour perdre le sens du charnelIl suffit de plisser les yeuxJe suis au centre du réel,Je suis étranger à ces lieux.

Puisqu'il faut que les libellules…

Puisqu'il faut que les libellulesSectionnent sans fin l'atmosphèreQue sur l'étang crèvent les bulles,Puisque tout finit en matière.Puisque la peau du végétal,Comme une moisissure obscèneDoit gangrener le minéral,Puisqu'il nous faut sortir de scèneEt nous étendre dans la terreComme on rejoint un mauvais rêvePuisque la vieillesse est amère,Puisque toute journée s'achèveDans le dégoût, la lassitude,Dans l'indifférente natureNous mettrons nos peaux à l'étude,Nous chercherons le plaisir purNos nuits seront des interludesDans le calme affreux de l'azur.

Playa Blanca…

Playa Blanca. Les hirondellesGlissent dans l'air. Température.Fin de soirée, villégiature.Séjour en couple, individuelPlaya Blanca. Les girandollesEnroulées sur le palmier mortS'allument et la soirée décolle,Les Allemandes traversent le décor.Playa Blanca comme une enclaveAu milieu du monde qui souffre,Comme une enclave au bord du gouffre,Comme un lieu d'amour sans entrave.Fin de soirée. Les estivantesPrennent un deuxième apéritif,Elles échangent des regards pensifsRemplis de douceur et d'attente.Playa Blanca, le lendemain,Quand les estivantes se dévoilent.Seul au milieu des êtres humains,Je marche vers le club de voile.Playa Blanca. Les hirondellesGlissent au milieu de la nature.Dernier jour de villégiature,Transfert à partir de l'hôtelLufthansa. Retour au réel.

Nous roulons protégés dans l'égale lumière…

Nous roulons protégés dans l'égale lumièreAu milieu de collines remodélées par l'hommeEt le train vient d'atteindre sa vitesse de croisièreNous roulons dans le calme, dans un wagon Alsthom,Dans la géométrie des parcelles de la Terre,Nous roulons protégés par les cristaux liquidesPar les cloisons parfaites, par le métal, le verre,Nous roulons lentement et nous rêvons du vide.À chacun ses ennuis, à chacun ses affaires;Une respiration dense et demi-socialeTraverse le wagon; certains voisins se flairent,Ils semblent écartelés par leur part animale.Nous roulons protégés au milieu de la TerreEt nos corps se resserrent dans les coquilles du videAu milieu du voyage nos corps sont solidaires,Je veux me rapprocher de ta partie humide.Des immeubles et des gens, un camion solitaire:Nous entrons dans la ville et l'air devient plus vif;Nous rejoignons enfin le mystère productifDans le calme apaisant d'usines célibataires.