51901.fb2 Arthur et la cit? interdite - читать онлайн бесплатно полную версию книги . Страница 7

Arthur et la cit? interdite - читать онлайн бесплатно полную версию книги . Страница 7

Chapitre 7

Soudain, une main attrape l'épaule d'Arthur et le tire violemment en arrière.

-   Par ici ! chuchote Sélénia en entraînant Arthur. Bétamèche attrape encore quelques bellicornes et rejoint ses camarades, semant des gâteaux à tout-va.

Les trois héros se frayent un passage dans la panique générale et plongent dans une boutique pour éviter la patrouille de séides qui remonte la rue au pas de course.

Arthur reprend son souffle.

-   On avait dit qu'on restait groupés, non ? les sermonne Sélénia, excédée d'avoir à surveiller les deux irresponsables.

- Excuse-moi, mais il y avait tellement de monde tout à coup ! explique Arthur.

- Plus il y aura de monde et plus on aura de chances de se faire repérer. Il faut être discrets ! insiste Sélénia.

Un autre Cachflot, plus souriant que les autres, vient se pencher au-dessus d'eux.

-  On peut être discret et néanmoins élégant ? dit-il, mielleux à souhait. Venez jeter un œil à ma nouvelle collection. Pour le plaisir des yeux !

Le vendeur a vu juste, aucune princesse au monde ne refuserait ce genre d'invitation.

Pendant ce temps, un peu plus loin, le marchand de bellicornes décrit, à grands gestes peu flatteurs, les deux voleurs professionnels qui l'ont assailli.

Le chef des séides l'écoute avec attention. Il ne met pas longtemps à comprendre qu'il s'agit bien des mêmes fuyards qui ont échappé à Darkos, au Jaïmabar-club.

Ce genre de nouvelle se répand rapidement dans Nécropolis, car il est rare que des habitants de la Première Terre viennent s'aventurer dans les zones interdites, et encore plus rare que Darkos se fasse ridiculiser de la sorte.

Le chef des séides se retourne vers ses hommes.

-  Fouillez toutes les boutiques, ils ne doivent pas être loin ! ordonne-t-il.

Heureusement pour nos trois héros les troupes partent dans le mauvais sens.

Le chef attrape le dernier soldat par le col.

-  Toi, va prévenir le palais.

Le soldat se fige dans un parfait garde-à-vous, avant de détaler comme un lapin.

Sélénia le voit passer, devant sa boutique, plus rapide qu'une fusée.

-  Ça nous donne au moins la direction du palais ! commente la princesse, qui ne perd jamais le nord. Elle jette une pièce au marchand et enfonce son visage sous la capuche de son nouveau manteau en fourrure de Balong-Boto.

Arthur et Bétamèche font de même. On dirait trois pingouins, déguisés en esquimaux.

-  Au plaisir ! leur lance le souriant vendeur en les regardant partir.

Le camouflage semble efficace et personne ne les remarque dans cette fourrure bigarrée.

-   T'aurais quand même pu choisir quelque chose de plus léger, je crève déjà de chaud ! se plaint Bétamèche, noyé dans sa fourrure trop grande pour lui.

-  Il faut qu'on s'arrête pour boire un peu ! suggère-t-il.

-   T'as chaud, t'as faim, t'as soif ! quand est-ce que tu vas arrêter de te plaindre à tout bout de champ ! ? lui demande la princesse, passablement excédée.

Pour toute réponse, Bétamèche se met à bougonner.

Sélénia accélère le pas, de peur de perdre la trace de son séide. La rue s'élargit légèrement, puis débouche sur une place immense, aménagée dans une grotte dont on ne voit même pas le plafond.

Sélénia s'arrête au bord de ce cirque monumental, où fourmillent des milliers de badauds.

-  Le marché de Nécropolis, chuchote Sélénia, impressionnée par la dimension de l'endroit. On le lui avait décrit à plusieurs reprises, mais tout ce qu'elle imaginait était en dessous de la vérité. La place est noire de monde et la foule bouge comme la surface d'une mer agitée. On dirait La Mecque un jour de prière.

Ça vend, ça achète, ça échange, ça discute, ça gueule, ça court, ça vole...

À côté, Wall Street ressemble à un salon de thé pour retraités. Arthur est bouche bée devant ce spectacle continu. Une paire d'yeux ne suffit pas à enregistrer ce ballet indescriptible. Ça lui rappelle l'énorme seau de son grand-père dans lequel il conservait des centaines d'asticots pour la pêche.

Mais le spectacle qui s'offre à lui aujourd'hui est tout de même plus coloré et surtout plus bruyant. C'est à peine si on s'entend et Sélénia est obligée de hurler.

-  Je l'ai perdu de vue ! avoue-t-elle, un peu contrariée, en parlant du séide.

Pas très étonnant qu'elle l'ait perdu de vue dans ce capharnaüm indescriptible.

-  Pourquoi ne demande-t-on pas tout simplement le chemin du palais ? Les gens d'ici doivent le connaître, non ? demande naïvement Arthur.

-  Tout se vend ici. Et ce qui se vend le mieux ce sont les renseignements. Demande le palais et tu seras dénoncé dans la minute ! lui explique Sélénia, bien informée. Arthur regarde autour de lui et constate qu'il n'y a effectivement aucune tête à qui il pourrait faire confiance. Ils ont tous des yeux globuleux, des mâchoires pleines de dents, des fourrures trop longues et des pattes trop nombreuses. Sans parler de la panoplie d'armes que chacun porte à la ceinture. Un vrai western.

Nos trois héros, bien groupés cette fois, regarde cette foule compacte, cherchant un indice qui pourrait les mettre sur la voie du palais.

Il y a bien cette façade monumentale, qu'on aperçoit de l'autre côté de la place, sculptée de toutes parts de bien étranges visages. On dirait l'entrée du musée des horreurs plutôt qu'un palais présidentiel, mais connaissant la personnalité de M le maudit, Sélénia a le sentiment d'être sur la bonne piste.

Fendre cette foule, plus compacte qu'un pudding, leur prend bien vingt minutes... Ils arrivent finalement au pied de la façade.

-  Tu crois que c'est ici ? chuchote Bétamèche. Ça me paraît bien sordide pour un palais !

-  Vu le nombre de gardes devant la porte, ça m'étonnerait que ce soit l'entrée d'une crèche ! répond Sélénia, plus perspicace que son frère.

Effectivement, devant l'imposante porte, fermée à triple tour, il y a deux rangées compactes de séides, prêts à embrocher quiconque oserait s'approcher, même pour demander son chemin.

-   On va plutôt prendre l'entrée des artistes ! propose Sélénia.

-   Bonne idée ! répondent en chœur ses deux acolytes, pas vraiment disposés à attaquer deux rangées de séides.

Soudain, la foule se fend pour laisser passer un cortège.

-   Place ! Place ! crie un séide ventru à la tête du convoi constitué d'une dizaine de chariots remplis de fruits, d'insectes grillés et pleins d'autres mets tout aussi délicieux. Le tout tiré par des gamouls, un peu nerveux au milieu de cette foule.

Sélénia s'approche pour regarder passer le convoi.

-   Qu'est-ce que c'est ? demande-t-elle, mine de rien, à un étranger aux yeux globuleux.

-  C'est le repas du maître. Le cinquième de la journée ! précise l'étranger, plus mince qu'une brindille.

-   Et combien il en a comme ça ? demande Bétamèche, déjà envieux.

-   Huit, comme les doigts de ses mains, répond le vieil homme à la mine affamée, qui regarde passer le convoi.

-   Et il va manger tout ça ? s'inquiète Arthur.

-   Pensez-vous ! C'est à peine s'il grignote. Un insecte grillé par-ci par-là, et c'est tout. Le reste est jeté dans le puits des offrandes. Quand je pense qu'un seul de ces repas nourrirait mon peuple pendant dix lunes ! confesse le vieil homme, trop faible pour se plaindre davantage.

Il pousse un soupir de désespoir et s'éloigne, dégoûté par cette opulence.

-   Pourquoi ne donne-t-il pas la nourriture qu'il délaisse plutôt que de la jeter dans un puits ? s'indigne Arthur.

-   M le maudit est le mal personnifié. Il tire son plaisir de la souffrance qu'il inflige aux autres. Rien ne peut lui faire plus plaisir qu'un peuple affamé qui pleure pour sa survie, explique Sélénia, les dents serrées.

-   Pourtant, il était l'un des vôtres au début, non ? demande Arthur.

-   Qui t'a dit ça ? ! demande la princesse, visiblement dérangée par la question.

-  Bétamèche m'a dit qu'il avait été chassé de votre terre, il y a très longtemps, répond le jeune garçon.

Sélénia jette un regard noir à son frère, qui l'évite en regardant ailleurs.

-   C'est fou tous ces petits détails sur la façade du palais ! dit-il, pour détourner la conversation. Sélénia préfère ne pas répondre.

- Que s'est-il passé ? Pourquoi a-t-il été chassé ? demande Arthur, sans curiosité excessive. Juste l'envie d'en savoir un peu plus sur les Minimoys.

-   C'est une longue histoire que je te raconterai plus tard. Peut-être ! En attendant, nous avons mieux à faire. Suivez- moi ! Sélénia fend la foule affamée et longe le convoi en parallèle.

Un petit Sylo regarde passer la nourriture, ces huit yeux grands ouverts. Poussé par la faim, il tend innocemment la main vers un fruit. Un violent coup de fouet lui claque sur les doigts et vient le rappeler à l'ordre. Aussitôt les parents du petit Sylo cachent leur enfant dans leur fourrure épaisse. Un séide vient se mettre devant le papa Sylo, son fouet tendu entre ses mains.

-   On ne touche pas à la nourriture du maître, rappelle le séide, aimable comme un horodateur.

Le Sylo montre ses dents, quarante-huit lames plus affûtées que des rasoirs. Un geste de plus contre son petit serait probablement malvenu.

Le séide déglutit à la vue de cette tronçonneuse montée sur mâchoire.

-  C'est bon pour cette fois, concède le séide, pas suffisamment bête pour courir davantage de risques.

Sur le côté du palais, il y a une grotte creusée à même la roche. Probablement le travail de centaines d'insectes. Au fond de la cavité, une lourde porte à la décoration plus modeste. À l'approche du convoi, les portes s'ouvrent automatiquement. Le cortège s'enfonce lentement, chariot après chariot, au cœur de la roche.

Le peuple se tient à distance de cette entrée dérobée, personne n'ose s'aventurer au-delà de cette limite.

Personne, sauf nos trois héros, toujours prêts pour l'aventure. Sélénia s'est cachée derrière une grosse pierre et regarde la porte se refermer lentement au passage du dernier chariot. Elle jette son manteau de fourrure et s'apprête à bondir.

-  C'est là que nos chemins se séparent, Arthur ! dit la princesse, avant de bondir vers la porte.

-   Pas question ! répond le vaillant Arthur qui se précipite pour rejoindre sa princesse.

Mais c'est une épée qui l'attend, pointée sur sa gorge. Sélénia a dégainé plus vite que l'éclair et tient son prince à distance.

-  Je dois régler ce problème seule, dit Sélénia, avec gravité.

-   Et moi, je fais quoi ? demande le gamin, en proie à une émotion qui lui noue la gorge.

-   Toi, tu trouves le trésor et tu sauves ta maison. Moi, je trouve M le maudit et j'essaye de sauver la mienne. Sélénia a la voix calme des gens décidés et que rien n'arrêtera.

- Si je réussis, on se retrouve, ici même, dans une heure, précise Sélénia.

- Et si tu échoues ? demande Arthur, déjà triste à l'idée d'une telle issue.

Sélénia pousse un long soupir. Bien des fois elle a pensé à cette éventualité. Elle sait bien que ses chances sont presque nulles face à M le maudit et ses pouvoirs infinis. Elle a peut-être une chance sur mille de réussir, mais c'est une véritable princesse de sang, fille de l'empereur Sifrat de Matadoy, quinzième du nom, et elle sera bientôt la seizième. Il n'est donc pas question de ne rien tenter.

Elle regarde longuement Arthur dans les yeux et s'approche légèrement de lui, sans pour autant baisser son épée toujours pointée sur le cou du jeune garçon.

-  Si j'échoue... fais un bon roi, dit-elle simplement, avec un calme qu'on ne lui connaissait pas, comme si une petite porte venait de s'ouvrir dans son cœur de soldat.

Elle passe une main derrière la nuque du jeune homme et pose un doux baiser sur ses lèvres. Le temps s'arrête. Les abeilles dessinent des cœurs en fils de miel, dans un ciel où les marguerites pleuvent en chantonnant. Les nuages se tiennent la main et font une ronde autour d'eux, comme ces milliers d'oiseaux qui se sont regroupés en grand orchestre, et inondent le ciel d'une mélodie des plus langoureuses. Jamais Arthur ne s'est senti aussi bien. Il a l'impression de glisser sur un toboggan de soie, agité par un vent adorable, qui le balade et le fait glisser, comme si rien d'autre n'avait d'importance.

Le souffle de Sélénia est plus chaud que l'été, sa peau plus douce que le printemps. Il resterait là, collé sur ses lèvres, pendant des siècles si les dieux de l'amour lui en donnaient l'autorisation, mais Sélénia se recule et rompt le charme.

Le baiser n'a duré qu'une seconde.

Arthur est encore tout groggy. Jamais une seconde ne lui avait paru aussi courte. Jamais une seconde n'a eu ce goût parfumé d'éternité.

Arthur est aussi surpris qu'abasourdi. Il ne sait pas quoi dire.

Sélénia lui sourit gentiment. Son regard a une douceur nouvelle.

-   Maintenant que tu as tous mes pouvoirs... fais en bon usage, lui dit-elle, avant de disparaître dans les quelques centimètres qui séparent les deux portes.

-  Mais... attends... il faut que... balbutie Arthur en courant vers les portes qui se referment davantage. Et même si

Arthur ne mesure que deux millimètres, le passage est maintenant trop étroit pour qu'il puisse y passer.

Arthur est anéanti. À peine a-t-il eu le temps de comprendre ce qui lui arrivait que déjà il doit se faire à l'idée que cela n'arrivera plus.

Le jeune garçon se touche les lèvres, comme pour s'assurer qu'il n'a pas rêvé, mais le parfum de la princesse est toujours là, tout autour de son visage.

Bétamèche sort de sa cachette et applaudit le jeune prince.

-  Bravo ! C'était formidable !

Bétamèche attrape les mains d'Arthur et les secoue exagérément.

-  Félicitations ! C'est un des plus beaux mariages auxquels j'ai assisté !

-  De quoi parles-tu ? demande Arthur, un peu perdu.

-   Eh bien, de ton mariage, idiot ! Elle t'a embrassé. Tu es donc marié pour le meilleur et pour le pire, jusqu'à la prochaine dynastie. C'est comme ça chez nous ! explique Bétamèche, avec beaucoup de simplicité.

-  Tu veux dire que... le baiser, c'était le mariage ? questionne Arthur, un peu surpris par ce protocole.

-  Bien sûr ! confirme Bétamèche. Un mariage très émouvant ! Clair ! Concis !.. Superbe ! commente Bétamèche, en connaisseur.

-  Un peu trop concis, non ? se plaint Arthur tout déboussolé par la rapidité des festivités.

-   Mais non ! Tu as le principal : sa main et son cœur. Que veux-tu de plus ? rétorque Bétamèche, avec une logique qui n'appartient qu'aux Minimoys.

-  Chez moi, les adultes prennent un peu plus de temps. Ils apprennent à se connaître, ils se fréquentent, passent du temps ensemble. Après ils en discutent et, normalement, c'est l'homme qui fait sa demande. Le baiser ne vient qu'à la fin, quand on dit « oui » devant monsieur le curé, explique Arthur, qui se souvient probablement du mariage de ses parents.

-   Oh là là ! Quelle perte de temps ! Vous avez vraiment du temps à perdre dans la vie pour le dépenser ainsi en futilités ? ! C'est la tête qui a besoin de tous ces artifices. Le cœur, lui, ne connaît qu'un mot, et un baiser est le meilleur moyen de le dire, explique Bétamèche.

Arthur essaye de comprendre, mais tout ceci va beaucoup trop vite pour lui.

Après un baiser comme celui-là, il aurait besoin d'une bonne nuit de sommeil et de quelques aspirines.

-   Qu'est-ce que tu aurais voulu de plus ? lui demande son ami, en voyant sa mine abrutie.

-   Ben... je ne sais pas... une petite fête, peut-être ? dit Arthur qui essaye de retrouver ses esprits.

-  Voilà qui me paraît une excellente idée ! lance une voix, trop grave pour être celle de Bétamèche.

Nos deux compères se retournent et se trouvent face à une vingtaine de séides, regroupés derrière leur chef, l'affreux Darkos, fils unique du tout aussi affreux M le maudit.

À chaque fois que Darkos sourit, on a l'impression qu'il va tuer quelqu'un, tellement son sourire est peu accueillant. Et même s'il lavait quinze fois par jour ses dents marron, cela n'y changerait rien.

Darkos s'avance vers Arthur d'un pas lent de conquérant.

-   Si vous le permettez, je vais m'occuper personnellement de vous préparer une petite fête ! dit-il, sans détour. Le message est tellement clair que même les séides l'ont compris et ricanent bêtement.

Arthur aussi a compris. Aujourd'hui, jour de son anniversaire, ça va être aussi sa fête.

La mère d'Arthur est assise à la table de la cuisine. Elle tripote les dix petites bougies qui n'ont plus de gâteau ni d'Arthur pour briller.

Dix petites bougies, pour dix petites années qui ont vu Arthur pousser comme un jeune animal, tout fou et tout gentil. La pauvre maman ne peut s'empêcher de se remémorer ces dix anniversaires si différents les uns des autres. Le premier, où Arthur fut hypnotisé par la petite lumière qui dansait devant lui.

Le deuxième, où il essaya, en vain, d'attraper ces petites flammes qui sans cesse lui glissaient entre les mains. Le troisième anniversaire, où son souffle encore trop timide ne lui permit de souffler les bougies qu'en s'y reprenant à trois fois. Le quatrième gâteau où il souffla tout d'un seul coup d'un seul. Pour la première fois.

Le cinquième rendez-vous où il s'appliqua à couper lui- même le gâteau, sous l'œil vigilant de son père, inquiet de le voir manipuler ce couteau trop grand pour sa main.

Le sixième anniversaire, le plus important aux yeux d'Arthur... car à cette occasion son grand-père lui offrit son propre couteau avec lequel il découpa fièrement son gâteau. Ce fut aussi le dernier anniversaire auquel son grand-père assista.

La pauvre femme ne peut empêcher une larme de couler sur sa joue.

Tant de bonheur et de malheur, en seulement dix années. À côté de ces dix années qui ont filé comme une étoile, les dix heures écoulées depuis la disparition d'Arthur semblent une éternité.

La maman cherche du regard un peu de réconfort, quelque chose qui pourrait lui donner un peu d'espoir. Elle ne tombe que sur son mari, vautré sur le canapé, assommé par la fatigue. Il n'a même plus la force de ronfler, ni même celle de fermer sa mâchoire, ouverte aux quatre vents.

Dans d'autres circonstances, cette image l'aurait fait sourire, mais aujourd'hui, ça lui donne plutôt envie de pleurer davantage.

La grand-mère vient s'asseoir à ses côtés avec des mouchoirs jetables.

-  C'est ma dernière boîte ! dit-elle avec humour, histoire de détendre un peu l'atmosphère.

La fille regarde sa mère et laisse échapper un petit sourire. Dans les moments difficiles, la vieille dame a toujours su garder son sens de l'humour. Elle tient ça de son mari, Archibald, qui élevait l'humour et la poésie au rang de valeurs fondamentales.

-  L'humour est à la vie ce que les cathédrales sont à la religion... c'est ce que l'homme a inventé de mieux ! aimait-il à dire pour plaisanter.

Si seulement Archibald pouvait être là. Il apporterait un peu de lumière dans leurs vies devenues si sombres.

Il saurait leur amener cette petite touche d'optimisme qui jamais ne le quittait et lui avait permis de traverser la Grande Guerre, tel un matador qui échappe aux cornes du taureau.

La vieille femme attrape gentiment les mains de sa fille et les serre avec affection.

-  Tu sais, ma fille... ce que je vais te dire n'a probablement aucun sens, mais... ton fils est un petit garçon exceptionnel, lui dit-elle, d'une voix douce et rassurante. Et je ne sais pas pourquoi mais, où qu'il soit, même s'il se trouve en mauvaise posture... je suis sûre qu'il va s'en sortir !

La maman semble un peu rassurée par ces paroles et les deux femmes se serrent davantage les mains, comme pour appuyer leurs prières.

Il va falloir qu'elles prient davantage car, pour l'instant, Arthur est en prison. Ses deux petites mains accrochées aux barres en fer, il regarde la place du marché bondée de monde, où il n'y a pas une seule âme charitable pour lui venir en aide.

-   Laisse tomber ! Personne ne prendra le risque d'aider un prisonnier de M le maudit ! lance Bétamèche, recroquevillé dans un coin de la prison.

-  Surveille ton langage, Béta ! Sélénia a dit qu'il fallait être discrets ! rappelle Arthur.

- Discrets ? Tout le monde est déjà au courant qu'on est en prison ! soupire le petit prince, complètement déprimé. On est tombé aux mains de ce monstre. Notre avenir est déjà tout tracé ! Il n'y a plus que Sélénia pour nous sauver la vie... en espérant qu'elle parvienne déjà à sauver la sienne ! Arthur le regarde et doit se rendre à l'évidence. Sélénia est bien leur seul espoir.