51903.fb2 Arthur et la vengeance de Maltazard - читать онлайн бесплатно полную версию книги . Страница 15

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Chapitre 15

Le chef actuel, surnommé Pelle-Grino, n'est pas de ce genre-là et sa sobriété est exemplaire. Pas question, pour lui, de se tromper de fiole. Mais ce soir-là, Pelle-Grino est inquiet et il a déjà vérifié une bonne dizaine de fois s'il a bien utilisé la bonne bouteille.

- Ne vous inquiétez pas, chef. Tout va bien se passer. Arthur a suivi nos rites tout l'été. Il fait partie des nôtres maintenant, lui dit calmement l'un des guerriers, dont le visage est rougi par la chaleur du feu de camp.

- Je te remercie pour tes paroles apaisantes, lui répond Grino, avant de se décontracter un peu et d'entamer une nouvelle prière.

Effectivement, Arthur avait passé l'été à apprendre les rites et coutumes de cet incroyable peuple et il possédait maintenant toute la connaissance nécessaire pour faire partie du clan. Il avait aussi subi un entraînement physique des plus intenses et l'on ne comptait plus les soirs où il était monté se coucher sans manger, brisé de fatigue.

Les exercices qu'on lui imposait étaient des plus variés et ne correspondaient pas vraiment à ce qu'on lui faisait faire à l'école, en cours d'éducation physique. Il s'agissait ici de se rapprocher de la nature, de l'animal et de retrouver sa place dans la grande boucle de la vie. L'homme n'avait eu de cesse, depuis quatre mille ans, d'essayer de sortir de cette fameuse boucle. Il voulait absolument maîtriser tout et tout le monde, et surtout pas qu'on lui dise qu'il descendait du singe. C'était évidemment une grande erreur, affirmaient les Bogo-Matassalaïs. L'homme descend autant de l'arbre que du singe. Le baobab est son cousin, la fourmi sa cousine. D'ailleurs, le rapprochement avec les fourmis fut le premier exercice qu'on fit faire à Arthur.

Dès l'aube, il s'était allongé presque nu dans l'herbe, au beau milieu d'un chemin généralement emprunté par les fourmis. Il portait uniquement autour de la taille un petit bout de tissu que le chef matassalaï lui avait confectionné dans un morceau de cuir provenant du célèbre Zabo le zébu. Arthur devait rester sans bouger et attendre que les premières travailleuses arrivent. Evidemment cet obstacle de taille avait semé la panique dans la colonie et il y eut une réunion extraordinaire pour déterminer sur-le-champ s'il fallait contourner l'obstacle ou prendre le risque de le traverser. Faire le tour était fort long et l'on prenait le risque de se perdre. Traverser était donc la solution, même si elle paraissait dangereuse. D'autant plus que les premières fourmis éclaireuses avaient ramené une information essentielle : le corps était vivant.

Que faisait donc cet humain, presque nu comme un ver, allongé dans la nature, à six heures du matin ? Le général en charge de la colonne n'avait pas le temps de répondre à cette question et il déclencha la traversée de cette terre étrangère. La colonne de fourmis grimpa alors sur le pied d'Arthur, remonta le long de sa jambe, passa à côté du nombril puis longea son bras gauche jusqu'à la main qui rejoignait précisément le chemin initial des fourmis.

Arthur dut rester comme ça pendant toute la journée, à servir de pont aérien à près de cent mille fourmis. Le plus dur était de ne pas rire, car toutes ces petites bêtes le chatouillaient en permanence. Arthur fit cet exercice quatre jours de suite, aux quatre coins du jardin. C'est ainsi que naquit cette amitié entre Arthur et les fourmis, qu'il pouvait maintenant appeler ses cousines.

Il y avait un autre exercice qu'Arthur avait tout particulièrement apprécié. Il avait dû se mettre presque tout nu à nouveau et prendre le gros chêne dans ses bras. Il devait rester ainsi toute la journée, jusqu'à ce qu'un oiseau le confonde avec une branche de l'arbre et se pose sur lui. Les premières heures, Arthur s'était copieusement embêté et se sentait plutôt comme une mouche plaquée sur un carreau que comme une branche qui sort d'un chêne. Mais bientôt, il commença à écouter tous ces petits bruits qui venaient de l'arbre. Le bruit de la sève qui monte, des nervures qui poussent et qui s'étirent, de toutes ces feuilles qui hurlent au vent de leur envoyer plus de lumière. Il parvint même à sentir l'énergie solaire qui descendait dans l'arbre, comme du sable dans un sablier.

Après quelques heures, il l'entendait rire, il l'entendait respirer et bientôt Arthur ferma les yeux et se mit à respirer au même rythme que l'arbre. Vers dix-huit heures, un magnifique rouge-gorge vint se poser sur son épaule et se mit à chanter, annonçant ainsi la réussite de l'exercice. Arthur était en parfaite osmose avec son cousin le chêne. Tous ces exercices étaient somme toute agréables et l'enfant était de plus en plus excité d'avoir à subir tous les matins une nouvelle épreuve. Ça lui posait par contre des problèmes à la maison où tout lui paraissait subitement sans charme et sans saveur. Il n'y avait guère qu'Archibald pour partager son enthousiasme puisque le grand-père avait lui aussi subi cet apprentissage, trente ans auparavant, en Afrique. Il souriait souvent en écoutant Arthur lui raconter en cachette ses aventures de la journée.

- Attends la dernière épreuve, tu vas voir, tu riras moins ! l'avait prévenu Archibald.

C'est donc avec une certaine appréhension qu'Arthur avait rejoint la tente des guerriers matassalaïs, à l'aube du dernier jour. Il s'agissait de résumer en une heure tout ce qu'il avait appris pendant des semaines. Il devait parcourir un chemin bien précis le plus vite possible et prouver tout au long du parcours qu'il s'était totalement intégré à la nature.

- Tu dois ramper comme le ver, grimper comme le singe, courir comme le lièvre, nager comme le poisson et voler comme l'oiseau, lui avait déclaré Pelle-Grino au départ de l'épreuve.

Le parcours du combattant longeait la rivière qui serpentait en lisière de forêt, jusqu'aux tentes des guerriers.

- Je vais jeter cette noix dans le ruisseau, tu dois la rattraper avant qu'elle ne tombe dans la cascade, lui avait précisé le chef.

À vue de nez, il y avait deux kilomètres à franchir à travers toutes sortes de terrains. Arthur, en comprenant ce qui l'attendait, commença instinctivement à se ventiler les poumons. Le chef bogo lâcha la noix dans la rivière et Arthur partit en courant à toute vitesse. La première partie était facile. Il fallait juste bien lever les genoux pour ne pas être ralenti par les hautes herbes. Arthur arriva rapidement à une étendue de roseaux. Il plongea littéralement dedans et se mit à ramper comme un crapaud. En quelques secondes, il était couvert de boue et voyait à peine sa route. Il n'y avait guère que le soleil pour lui indiquer la direction à suivre. Quelques grenouilles, prévenues de l'épreuve, s'étaient mises au bord du chemin et encourageaient Arthur, qui traversa les roseaux et reprit sa course jusqu'au pied de l'énorme rocher infranchissable. Heureusement deux écureuils, tout excités par l'événement, lui indiquèrent l'arbre dont la dernière branche l'emmènerait directement au sommet du rocher.

Arthur se jeta sur l'arbre, comme un petit singe qui aurait des ventouses aux pieds. Les deux écureuils ouvraient la route et montraient à l'enfant le chemin à suivre à travers les branches. Les deux rongeurs étaient fort sympathiques, mais c'étaient de véritables pipelettes et ils firent des commentaires pendant toute l'ascension, à tel point que plusieurs fois Arthur fut déconcentré et faillit tomber.

- Merci quand même ! lança-t-il en arrivant sur la dernière branche.

Arthur bondit alors comme un tigre sur le rocher qui descendait doucement vers la forêt. Il commençait à être fatigué et il pompait tout l'air frais qu'il pouvait trouver autour de lui. L'enfant arriva au bord de l'étang et plongea aussitôt, sans même prendre le temps de réfléchir. Le froid le saisit un peu, mais il était plutôt le bienvenu car son corps était déjà bouillant. Le problème dans l'eau, c'est de réussir à trouver sa route, puisqu'il n'y a pas de point de repère. Mais Arthur n'avait pas à s'en soucier. Des centaines de poissons s'étaient alignés de part et d'autre du chemin à suivre, comme au bord du Tour de France. Arthur n'avait plus qu'à se laisser guider et encourager par les milliers de bulles de soutien que lui lâchaient ses admirateurs.

Arthur sortit de l'eau aussi en vrac qu'un torchon qui sort de la machine à laver, mais il n'avait plus le temps de s'apitoyer sur son sort car la noix descendait inexorablement vers la cascade. Le garçon se remit donc à courir à travers les jeunes bouleaux. Il arriva rapidement au pied de la falaise et fut bien obligé de s'arrêter. En contrebas, il voyait les quelques tentes des guerriers, dressées autour du grand chêne, puis la rivière qui serpentait. Arthur avait appris, grâce à l'épervier, à affûter sa vue et il pouvait clairement voir la noix qui roulait sur les flots et qui se dirigeait de plus en plus vite vers la chute. L'épervier était d'ailleurs là, face à lui, tournoyant dans les airs depuis des heures en attendant son ami.

Son ami qui allait maintenant devoir prouver qu'il était aussi son cousin. Le rapace déploya ses ailes et indiqua clairement à Arthur l'endroit où il pourrait trouver un courant ascendant, ce qui lui permettrait de rester quelques secondes supplémentaires dans les airs et d'allonger ainsi son vol jusqu'à la rivière. L'enfant capta le message et remercia l'épervier d'un bref signe de tête.

Il prit une grande inspiration, ouvrit ses bras au maximum, comme le lui avait appris le rapace, et s'élança de la falaise dans le vide. Pendant la première seconde, Arthur ne respira pas, trop impressionné par la hauteur. Puis, très vite, il sentit l'air sous lui et modifia la position de ses mains pour se diriger vers le courant montant que lui avait indiqué l'oiseau. Le garçon sentit immédiatement le courant d'air plus chaud qui grimpait le long de la falaise et il se mit dedans pour allonger son vol. C'était la seule façon de rejoindre la rivière, bien trop éloignée de la falaise pour qu'il puisse y plonger directement. L'enfant se décontracta un peu, ce qui lui permit d'étendre encore un peu plus ses bras. Il suivait du regard l'épervier qui lui ouvrait la route et, à sa grande surprise, il put constater qu'il volait comme un oiseau. Arthur avait à peine eu le temps d'en sourire qu'il percuta la surface de la rivière.

Cette petite seconde de plaisir à se regarder voler lui coûta cher. Il avait fait un formidable plat, comme un oiseau qui se prend une baie vitrée. L'épervier, lui, avait eu le réflexe de redresser sa trajectoire au ras de l'eau et il était remonté aussitôt dans les airs.

- C'est plus facile quand on a des ailes ! pensa Arthur en se tenant le ventre, rougi par l'impact.

Mais la noix approchait maintenant dangereusement de la cascade et Arthur n'eut pas le temps de se lamenter. Il regagna la rive, aussi à l'aise qu'un chat qui sort de l'eau et se mit à courir le long de la rivière. Sa course n'avait plus rien à voir avec celle du début. Fini le lièvre. Bonjour la tortue. Mais il arriva finalement au bord de la cascade en même temps que la noix. Arthur se jeta sur le sol, tendit le bras et attrapa le fruit du bout des doigts.

Un profond soupir de soulagement sortit de son petit corps meurtri. Un soupir animal. Puis il se coucha dans l'herbe qu'il trouva d'un seul coup plus confortable que son lit. Arthur avait réussi. Non seulement à récupérer la noix, mais aussi son intégration.

- Sa réintégration, avait précisé le chef matassalaï en lui remettant l'insigne de l'ordre du Mérite des guerriers matassalaïs.

Il s'agissait d'un petit coquillage, percé afin de laisser passer une fine liane pour pouvoir le mettre autour du cou. Arthur faisait maintenant partie du clan. Il était de nouveau dans le grand cercle de la nature.

Le soir même, à table, il dormait littéralement debout, rompu de fatigue.

- Tu ne manges rien ? lui avait demandé sa mère, toujours inquiète quand une assiette était vide.

- Si... ça ! avait-il répondu, en montrant sa noix.

Il la brisa avec son pouce, ce qui impressionna son père.

- Tu ne peux pas manger que ça ! avait déclaré Armand. Ça ne nourrit pas son homme, une noix !

- Celle-là, si !

- Pourquoi celle-là en particulier ? avait bêtement demandé le père.

Difficile pour lui d'imaginer une différence, il n'en faisait aucune entre la noix, l'amande, l'olive, les chips et les apéricubes. Toutes ces babioles ne faisaient partie que des amuse-bouches qu'on servait pendant l'apéritif. Son fils, lui, faisait bien la différence.

- Parce que celle-là, précisément... je la mérite ! avait répondu son fils, avant de prendre son temps pour la manger.

Archibald se racla la gorge pour attirer l'attention de son petit-fils puis le vieil homme ouvrit doucement le haut de sa chemise et montra discrètement à Arthur le coquillage qu'il avait lui aussi autour du cou. Ils échangèrent un sourire complice. Archibald était tellement fier qu'Arthur ait également réussi son épreuve qu'il ne put s'empêcher de verser une larme.

Le grand chef prend un bâton et remue un peu les braises. Tous ces souvenirs le font sourire. Arthur s'était vraiment bien débrouillé et avait mérité largement sa place dans le clan. Il faut donc maintenant lui faire confiance.

Un guerrier se penche sur le feu et regarde le pot qui chauffe sur les braises.

- Qui veut encore un petit verre de marguerite ? lance le guerrier en souriant.

Le groupe se met à ricaner, en souvenir du fou rire qu'ils avaient eu le matin même, quand Arthur était encore parmi eux.

Mais tout à coup, le groupe entier sursaute en voyant apparaître Marguerite, comme un fantôme sorti tout droit du pot de fer pour se venger.

- Eh bien, dites donc ?! Vous êtes bien émotifs pour des grands guerriers ! balance la grand-mère, bien en vie et surtout bien réveillée.

- Excusez-nous, Marguerite, mais... on parlait justement de vous ! balbutie le chef.

Mais la grand-mère n'a pas le temps d'écouter ces histoires.

- Il s'est passé un drame, Archibald a besoin de vous ! se contente-t-elle de dire en repartant déjà vers la maison.