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Ministre de l’Agriculture, je n’ai jamais pris, en deux ans, une seule décision qui n’ait obtenu l’accord des quatre grandes organisations agricoles. Parfois, les négociations s’éternisaient et je piaffais d’impatience. Mais, en fin de compte, que de temps gagné et de déceptions évitées !
Devenu maire de Paris, j’entends rester fidèle à cette méthode. Tenu de régler, dès mon entrée en fonctions, le dossier très controversé, dans le XIVe arrondissement, de la voie express entre la porte de Vanves et Maine-Montparnasse — la fameuse radiale Vercingétorix, dont une quarantaine d’organisations réclament l’abandon —, je veille aussitôt à réunir écologistes et techniciens. Les premiers auront vite raison des seconds. De mon côté, en me rendant sur le terrain, je constate que cette radiale, si bien conçue soit-elle, risque de concentrer, dans cette partie de la capitale, un flot d’automobiles insupportable. Je décide donc d’y renoncer, au grand dam des élus de l’arrondissement, et de Christian de La Malène en particulier, qui y était personnellement très attaché.
Cette première expérience m’a vite conduit à organiser un système de concertation fondé sur des commissions extramunicipales le plus largement représentatives de la population parisienne. Ce système va se révéler fort utile dans un autre cas : celui d’un projet urbanistique, parfaitement élaboré, lui aussi, et en apparence tout à fait justifié, qui prévoit la suppression du célèbre carreau du Temple et son remplacement par un ensemble d’équipements sociaux. Soucieux d’en vérifier l’utilité, je décide d’aller sur place pour y rencontrer les habitants. En les interrogeant, je perçois un malaise qu’on s’est refusé de prendre en considération. J’incite tous mes interlocuteurs à m’adresser une pétition pour me faire part officiellement de leurs réactions. Quinze jours plus tard, à la lecture de leurs doléances, mon opinion est faite : ce projet ne peut être qu’une erreur dans la mesure où il heurte profondément la sensibilité de toute une population sous le prétexte de faire son bonheur.
Autre dossier sensible, celui du marché Secrétan, en plein cœur du XIXe arrondissement. J’avais remarqué, en y passant au cours de la campagne électorale, que les marchands s’y trouvaient mal installés et à la merci des intempéries. Il y faisait froid, les étals n’étaient pas assez protégés. J’y reviens donc pour m’entretenir avec chaque commerçant, connaître l’opinion de leurs clients et celle des agents chargés du stationnement. Tous me répondent avec franchise et sympathie. Pour finir, j’entraîne quelques-uns d’entre eux dans le café le plus proche. Certains souhaitent que le marché soit démoli, d’autres qu’il soit maintenu en l’état. D’autres, enfin, sont partisans de le moderniser, malgré l’inconfort qui en résulterait durant les travaux.
Deux heures plus tard, après avoir longuement écouté les avis de ceux qui vivent et travaillent dans le quartier, j’acquiers la conviction qu’il est temps de restaurer le marché Secrétan. Contre l’avis des techniciens, je fais adopter par le conseil municipal toute une série de dispositions en ce sens. Si rien n’avait été fait, l’édifice en question se serait tout bonnement effondré un jour ou l’autre. Et personne, naturellement, n’aurait été responsable de cette catastrophe.
Le dernier exemple dont je me souviens concerne la construction du parking proche de l’Hôtel de Ville. Celle-ci faisait l’objet, là encore, d’un dossier techniquement si irréprochable que je n’ai pas hésité, peu après mon élection, à ordonner le lancement des travaux. À peine la nouvelle annoncée, le quartier entre en ébullition. Il est pourtant de l’intérêt de tous qu’un parking se crée à cet endroit où toutes les rues sont encombrées et la circulation devient impossible à certaines heures du jour. Étonné par une telle bronca, j’entreprends d’aller moi-même consulter les intéressés. Sur les lieux, je découvre près d’une centaine de commerçants que le projet, tel qu’il est prévu, condamne littéralement à disparaître. À mon retour à l’Hôtel de Ville, je convoque aussitôt les experts en charge du dossier. En deux heures, et sans trop de difficultés, ceux-ci trouveront, à ma demande, une solution conciliable avec la survie du commerce environnant. Personne, jusque-là, ne s’était seulement préoccupé de demander leur avis aux présumés bénéficiaires d’une opération tenue pour intelligente, utile, sérieusement menée, à laquelle manquait toutefois une pièce essentielle : la prise en compte des problèmes humains qu’elle pouvait engendrer…
Placée depuis 1871, par décision politique, sous la tutelle de l’État et administrée par le préfet de la Seine, la capitale retrouve, pour la première fois depuis Jules Ferry, un maire et une autorité municipale dotés des mêmes pouvoirs que ceux des autres communes de France pour répondre aux attentes des habitants.
La situation de Paris, telle que je la découvre au début de mon premier mandat, est celle d’une ville vieillissante, en plein déclin démographique, et sans véritable politique en matière de logement, d’urbanisme ou d’environnement.
En vingt ans, Paris a perdu un cinquième de sa population, le plus souvent au profit de la banlieue. Cette baisse démographique, devenue inquiétante par son ampleur et sa persistance, est en partie due à la spéculation immobilière qui a contribué, sans conteste, à éloigner les classes les moins aisées. Mais elle est liée plus encore à l’hémorragie d’emplois industriels, que les activités tertiaires n’ont pas suffi à compenser. À cela s’ajoutent la situation du logement dans la capitale, où trop de familles vivent dans des locaux insalubres ; celle des transports, de la circulation et du stationnement, totalement inadaptée aux exigences de la vie moderne ; celle, tout aussi flagrante, de l’urbanisme où, sous prétexte de rénovation, des quartiers entiers ont été rasés pour laisser place à une prolifération de tours à l’architecture souvent médiocre et détestable. En outre, Paris ne répond plus aux nouvelles aspirations de ses habitants en termes d’espaces verts, de propreté des rues, de traitement des ordures ménagères ou de qualité de l’eau…
Pour assurer la mise en œuvre d’une politique municipale plus ambitieuse, conforme aux besoins de la population et digne d’une grande métropole internationale, le nouveau maire de Paris dispose de moyens d’action considérables : un budget de 5,5 milliards de francs, une administration dont les effectifs s’élèvent à 38500 agents. Ses pouvoirs ne sont limités que dans un seul secteur : celui de la sécurité, dont la responsabilité revient au seul préfet de police. L’impulsion que j’entends donner à la gestion de la ville peut s’appuyer, d’emblée, sur des élus compétents, efficaces et dynamiques. Instruit de longue date des dossiers de la capitale, mon premier adjoint, Christian de La Malène, ancien rapporteur du budget de la ville, est une des pièces maîtresses, avec entre autres Jacques Dominati, Jean Chérioux et Jean Tiberi, du dispositif qui se met en place. Je confie les commandes administratives à deux fonctionnaires de premier ordre : Camille Cabana, qui devient le premier secrétaire général de la ville de Paris, et l’ancien préfet Maurice Doublet, auquel je fais appel pour diriger mon cabinet.
Le 12 décembre 1977, lors de la première discussion budgétaire, j’annonce les grandes priorités de mon début de mandature : « la solidarité entre les habitants, l’équilibre sociologique et professionnel de la population, enfin le rayonnement national et international de la capitale ».
La politique en faveur des personnes âgées et des plus déshérités est une de celles, naturellement, qui me tient le plus à cœur. Elle s’exerce dans trois directions essentielles : l’amélioration des ressources garanties, la lutte contre l’isolement et le développement d’équipements collectifs, résidences et foyers construits à l’intention des plus démunis.
La deuxième de ces priorités est la lutte contre la dépopulation croissante de la capitale. Les difficultés qu’éprouvent, en particulier, les jeunes et les familles à résider dans Paris rendent plus que jamais nécessaire une politique active de logements sociaux, axée sur un programme à long terme de réhabilitation d’immeubles et d’achat de terrains désaffectés. Peu après mon élection, j’adresse un signal fort en ce sens avec la mise aux enchères de luxueuses habitations possédées par la Ville, boulevard Suchet, dans le XVIe arrondissement, pour financer la construction de logements sociaux. En 1980, 35 % du budget d’investissement de la Ville seront consacrés aux acquisitions foncières, destinées aux mêmes objectifs.
Confiée à un directeur de grand renom, Marcel Landowski, ami personnel de Georges et Claude Pompidou, l’action culturelle reste le meilleur garant du rayonnement de Paris en France et à l’étranger. Pour lui apporter un nouvel essor, le budget des affaires culturelles de la capitale sera doublé au cours des deux premières années de mon mandat. Il s’agit de poursuivre et d’amplifier le soutien apporté par la Ville à une douzaine de manifestations prestigieuses, telles que le Festival du Marais, le Festival d’automne ou le Festival international de la danse. La rénovation de la salle du Châtelet, ainsi que du musée d’Art moderne, l’impulsion donnée à de grandes institutions comme le Théâtre de la Ville, l’Orchestre de Paris ou l’Ensemble orchestral, avant la création de la Vidéothèque de Paris et de la Maison européenne de la photographie, témoignent d’une même ambition : refaire de Paris une capitale culturelle internationale de premier plan. Ambition qui va de pair avec une politique de décentralisation de la vie culturelle, visant à assurer, dans tous les arrondissements, une meilleure diffusion de l’enseignement artistique.
L’œuvre la plus visible d’un maire, c’est la marque qu’il imprime au visage de sa ville. À peine installé à la tête de la municipalité parisienne, je décide d’en finir avec la politique d’urbanisme qui a prévalu depuis les années cinquante : celle des grands ensembles de tours et de barres, témoins d’une « rénovation bulldozer » en rupture totale avec la véritable physionomie de la capitale, modelée par l’Histoire. Concilier le respect du patrimoine et de l’environnement traditionnel avec la libre expression d’une architecture contemporaine plus humaine, tel est l’esprit de la nouvelle politique d’aménagement que je souhaite réaliser.
Pour la mener à bien, je fais appel au meilleur urbaniste du moment, Pierre-Yves Ligen. La construction, à l’est de Paris, du Palais omnisports de Bercy et la mise en chantier, à l’ouest, de la ZAC Citroën participent d’un même objectif : la renaissance d’une cité plus équilibrée dans ses activités, sa population et son architecture.
L’opération la plus spectaculaire à cet égard est celle, au cœur même de la capitale, de l’aménagement du quartier des Halles. Parmi les dossiers dont j’hérite en devenant maire de Paris, celui-ci est, de loin, le plus difficile à démêler. Depuis le transfert du marché des Halles à Rungis, sept ans auparavant, et la démolition des pavillons de Baltard qui l’abritaient, le secteur n’est plus qu’un immense terrain vague, une énorme excavation de près de trente mètres gorgée d’eau et entourée de palissades. Devenu tristement célèbre, le fameux « trou des Halles » est aussi devenu pour les Parisiens symbole de gabegie et d’impuissance, à force de projets sans lendemain et de chantiers interrompus. Je dois agir vite afin de limiter les déficits déjà occasionnés et redonner vie à tout un quartier laissé à l’abandon.
L’équipe d’architectes et de techniciens que je mobilise aussitôt travaillera d’arrache-pied pour concevoir un projet définitif, conformément aux orientations générales que je leur ai données. À l’opposé de tout gigantisme, ce projet devra rester à taille humaine, assurer la rénovation des lieux et leur apporter les équipements nécessaires, tout en respectant l’identité du quartier et en mettant en valeur son patrimoine historique. Ce qui me conduit à interrompre sine die, dans sa partie nord, la construction, naguère décidée par l’État, d’un ensemble monumental conçu par Ricardo Bofill, qui présente, entre autres inconvénients, celui de couper, au débouché de la rue Rambuteau, la très belle perspective sur l’église Saint-Eustache.
Au début des années quatre-vingt, le dossier des Halles sera en passe d’être réglé, avec l’installation, en sous-sol, de la gare RER Châtelet-Les Halles et d’un forum de commerces et de loisirs, ainsi que la mise au point, en surface, d’un nouveau plan d’aménagement. Ce dernier prévoit la réalisation d’une grande zone piétonnière allant jusqu’au Centre Georges-Pompidou, ainsi que la création d’un jardin destiné à devenir tout à la fois un lieu de promenade et d’animation.
En dépit des vicissitudes que le site subira au fil du temps, l’opération des Halles, fruit d’une concertation exemplaire entre les élus et la population, résulte alors d’une politique d’urbanisme soucieuse, pour la première fois, d’environnement et de qualité de vie des habitants. Tout comme le « Plan vert » lancé à la même époque, le projet « Seine propre » initié dès 1977 et la modernisation, engagée simultanément, de la collecte des ordures ménagères, cette réalisation reflète mon souci de faire de Paris, dans tous les domaines, un laboratoire d’idées et de projets susceptibles d’intéresser le pays tout entier.
Il en est de même des relations internationales qui participent, elles aussi, des préoccupations du maire de Paris et de sa réflexion politique. C’est à mon initiative que sera créée l’AIVF (Association des villes francophones) et que se développeront les échanges avec les autres grandes capitales de la planète. Et chaque réception de chef d’État et de gouvernement va devenir pour moi un moyen de mieux affirmer la place et l’influence de Paris dans le monde.
La tradition républicaine veut que les dirigeants étrangers, hôtes de la France, se rendent à l’Hôtel de Ville pour saluer le peuple de Paris et ses représentants. Cette étape fait partie, depuis toujours, du programme de leur visite officielle. Il en sera ainsi jusqu’au jour où, sous je ne sais plus quel prétexte, les collaborateurs du président Giscard d’Estaing décideront sans me prévenir de la retirer dudit programme, jugeant qu’elle ne s’imposait plus. Ce qui ne m’empêchera pas d’inviter à l’Hôtel de Ville les chefs d’État que j’estime devoir y accueillir. Et rares sont ceux, même à cette époque, qui n’ont pas répondu à mon invitation…
J’attache une grande importance, il va sans dire, à la plupart de ces rencontres. Par-delà leur aspect protocolaire, elles permettent au maire de Paris non seulement de nouer des relations personnelles avec la plupart de ces dirigeants, mais aussi d’exprimer son opinion sur l’évolution du monde et celle, notamment, de pays ou de continents qu’unissent à Paris, de longue date, des liens particuliers.
En juin 1978, la venue de Léopold Sédar Senghor m’offre l’occasion de célébrer une des plus nobles figures du continent africain, et de l’humanité tout entière. À travers lui, qui a lancé dans les années trente le grand mouvement de réhabilitation d’une culture méprisée par l’Occident, c’est d’abord à l’Afrique que je tiens au nom de Paris à rendre hommage. Cette Afrique dont l’âme profonde, comme celle de l’Asie, m’a été révélée dans ma jeunesse, non par la politique, mais à travers l’art.
Comment mieux pénétrer la véritable histoire d’un peuple qu’en s’intéressant aux œuvres d’art qu’il a léguées à la postérité ? J’ai ressenti dès la fin de mon adolescence la grandeur du peuple africain, grandeur qui tient probablement au fait, comme je l’apprendrai plus tard, que les premiers hommes ont vu le jour dans cette partie du monde. Au tout début des années cinquante, je fréquentais épisodiquement à Paris, rue Notre-Dame-des-Champs, l’atelier du peintre Fernand Léger, dont l’œuvre s’était beaucoup inspirée de l’art nègre. J’y entendais souvent parler de la culture des Dogons du Mali, sans en mesurer encore toute l’importance. Cette fascinante découverte de l’Afrique s’est poursuivie à travers les années jusqu’à me permettre de mieux percevoir l’ampleur de toutes ses richesses souvent spoliées par l’Occident. Aujourd’hui, quand je vais admirer la grande statue de bois Djennenké au musée du quai Branly, je me dis toujours que ce chef-d’œuvre absolu n’a rien à envier, esthétiquement, à la Vénus de Milo.
Dans le discours que je prononce à l’Hôtel de Ville en l’honneur de Léopold Sédar Senghor, je salue le génie précurseur de celui qui, débarquant à Paris au lendemain de la Grande Guerre, où fermentaient tant d’idées neuves, puissantes et prophétiques, a pressenti que la civilisation européenne, si excellente soit-elle, ne serait qu’une civilisation mutilée tant que lui feraient défaut les énergies dormantes de l’Afrique et de l’Asie. Senghor a été l’un des premiers à prendre conscience qu’au rendez-vous du monde manquaient les deux tiers de l’humanité. « Le miracle, lui dis-je, c’est que, dans votre quête ardente de l’Africanité, vous n’avez pas rejeté l’apport à l’Universel de notre vieille civilisation occidentale. Vous êtes l’homme des convergences. Ainsi votre retour aux sources de l’Afrique, au lieu de vous détourner de l’Europe, de la latinité, de la francité, vous a, au contraire, donné une plus juste et pertinente notion de ce qui nous unit dans les profondeurs de nos deux continents. »
Je me sens en pleine communion de cœur et d’esprit avec ce poète et homme d’État qui, transcendant toutes les frontières, a su démontrer tout ce qu’il y a de complémentaire entre les caractères originaux de chaque peuple et de chaque civilisation, et que, loin d’en être diminuée, leur personnalité propre s’en trouve tout au contraire exaltée.
Évoquant, dans sa réponse, le « Mois de la Poésie », que je viens de créer avec mon ami Pierre Seghers, Léopold Sédar Senghor exprimera, en quelques phrases inoubliables, son amour de Paris, « ville poétique » dont le génie s’est nourri de « tout être et de toute chose, du brin d’herbe et de l’ouragan, pour en faire un monde nouveau ». Ce n’est pas sans émotion que j’entendrai cette grande voix de l’Afrique déclarer que « la première poésie » qu’il avait trouvée à Paris, en y arrivant pour la première fois, c’était « le souci de respecter, dans sa singularité et son intégralité, d’honorer tout homme ou femme de tout continent, de toute race, de toute couleur, de tout pays ». Paroles qui semblaient faire écho à celles de Félix Houphouët-Boigny, lorsqu’il m’avait reçu à Abidjan en tant que Premier ministre : « L’Afrique, m’avait-il dit, il faut la respecter en raison de tout ce qu’elle a apporté à l’évolution du monde. »
Houphouët, qui deviendra pour moi plus qu’un ami, une sorte de père, avait été très sensible au fait que je réserve à un pays africain mon premier voyage officiel à l’étranger. L’accueil extrêmement chaleureux que je reçus alors du peuple ivoirien, massé le long de l’immense avenue qui relie l’aéroport à la ville, était un témoignage bouleversant d’amitié et de confiance envers la France. Ce qui me frappa ce jour-là, ce fut l’enthousiasme indescriptible de la multitude des jeunes qui se pressaient autour de nous, leurs cris de joie en nous voyant passer côte à côte, Houphouët et moi, debout dans une magnifique voiture décapotable. Les Africains savent d’instinct si on les aime ou non. Ils ne se trompent jamais à ce sujet. Et je crois pouvoir dire qu’ils n’ont jamais douté de la sincérité de mon attachement à leur égard, comme le prouve l’accueil qu’ils continuent de me réserver chaque fois que j’ai encore l’occasion, aujourd’hui, de leur rendre visite.
Il m’a toujours paru évident que l’aide au développement de l’Afrique devait être une des grandes causes de la France. C’est pourquoi j’ai appelé, en 1977, lors d’un déplacement à Marseille, notre pays et ses partenaires européens à mettre en place, en faveur du continent africain, le même plan d’aide et de soutien que celui apporté par les États-Unis, trente ans auparavant, pour la reconstruction de l’Europe. Reste que la première question à régler, parce qu’elle conditionne en grande partie toutes les autres, est celle de la situation politique de chacun des États africains. Sujet délicat, tant les notions mêmes de pouvoir et d’autorité dépendent encore étroitement à cette époque de traditions et de coutumes qui se prêtent mal à une pratique démocratique immédiate.
Au nom de quels critères la France doit-elle ou non coopérer avec les chefs d’État africains tels qu’ils sont ? Il serait hypocrite de nier que leur loyauté à l’égard de ses propres intérêts sur le continent constitue un élément déterminant. Mais il importe tout autant que ces chefs d’État soient, pour leurs pays respectifs, des facteurs durables d’unité et de stabilité politiques. Tel sera le cas, pendant près de quarante ans, et si décrié qu’il ait été dans certains milieux parisiens, du président du Gabon, Omar Bongo, que je reçois pour la première fois à l’Hôtel de Ville en octobre 1980 et qui restera mon ami jusqu’à sa mort.
Plus hasardeuse et discutable me paraît être, à ce moment-là, l’attitude abusivement complaisante du gouvernement français vis-à-vis d’un autre régime, celui de la République centrafricaine, et de son chef, le général Bokassa. Le personnage ne m’était pas inconnu, bien que je l’aie toujours tenu à distance. Je l’avais rencontré dans le bureau de Jacques Foccart lors de son voyage à Paris en 1968. Je ne sais plus pour quelle raison j’assistai à l’entretien que Foccart, peu avant la réception à l’Élysée, avait demandé à Bokassa pour le dissuader de citer, dans son discours officiel, le général de Gaulle en l’appelant « papa », selon son habitude. « Vous êtes reçu par le général de Gaulle en tant que chef d’État, le sermonnait Foccart, vous devez donc l’appeler “Monsieur le Président”. Si vous l’appelez “papa” en public, il le prendra très mal ! » Bokassa promit, en repartant, de se montrer obéissant.
J’étais présent au dîner qui suivit. Après les propos de bienvenue du Général, Bokassa, se levant pour lui répondre, commença son discours en disant : « Monsieur le Président, vous qui êtes notre père à tous… » La trouvaille était astucieuse. Sous ses airs de rustre se révélait un homme moins sommaire qu’il ne le laissait croire, habile à se jouer de ses interlocuteurs, et n’en faisant jamais qu’à sa tête, en définitive.
Au tout début des années quatre-vingt, cette anecdote me reviendra en mémoire lorsque Bokassa, se faisant proclamer empereur au prix d’une mascarade jugée dégradante par l’ensemble des dirigeants africains qui s’abstiendront d’y assister, réussira à entraîner dans son jeu le dernier pays à le tenir pour encore fréquentable : la France, à travers son Président. Il ne me fut pas difficile de pressentir qui, dans cette affaire, risquait le plus d’être la dupe de l’autre, et ne sortirait pas indemne du piège centrafricain…
Sensible aux problèmes de l’Afrique, le maire de Paris l’est tout autant, comme on s’en doute, à ceux du continent asiatique et tout spécialement de la Chine, où je me suis rendu avec mon épouse, pour la première fois, en 1978.
Ce voyage, entrepris à l’invitation des autorités chinoises, n’a fait que renforcer l’admiration et le respect que m’inspirent, de longue date, la hardiesse et l’ingéniosité de ce peuple, héritier d’une culture et d’une histoire exceptionnelles.
La vision de la Grande Muraille, même pour un visiteur initié, est saisissante, non seulement par son gigantisme architectural, mais par l’incroyable mobilisation de moyens et d’énergie qu’elle représente sur tous les plans. Un défi militaire et politique de cette ampleur est sans équivalent dans l’histoire de l’humanité. Il révèle à lui seul l’immensité des ressources, tant humaines que matérielles, dont dispose un pays capable de telles réalisations.
C’est la même impression vertigineuse que j’ai éprouvée à Xian, qui fut, pendant plusieurs siècles, l’une des villes les plus peuplées du monde et le centre d’une vie intellectuelle et artistique prestigieuse. Le premier empereur qui ait unifié la Chine, à laquelle il donna son nom, le Grand Tsin, est enterré à Xian, avec toute son armée qui protégeait son tombeau. Ce mausolée n’a jamais été ouvert, malgré les nombreuses discussions qui ont eu lieu à ce sujet. Je suis de ceux qui ont toujours plaidé pour qu’on le laisse en l’état, sous peine de le détériorer. D’après ce que l’on sait, ce mausolée est, en réalité, une sorte de ville en terre cuite, traversée par une rivière de mercure et surmontée d’une voûte céleste illustrant toutes les connaissances que les Chinois de l’époque, déjà plus avertis que tout autre en matière d’astronomie, possédaient à ce sujet. Mais le lieu conserve aujourd’hui une grande part de son mystère…
L’autre temps fort de ce périple est ma rencontre à Pékin avec Deng Xiaoping, qui me réserve l’accueil le plus amical. Je garde en mémoire cette réflexion qu’il me livra au cours de notre entretien : « Dans les vingt années à venir, il n’y aura pas de problème politique entre la Chine et la France. C’est une certitude liée à l’histoire. Sur le plan culturel, il n’y a point d’inquiétude également à avoir, car la France est fascinée par la Chine et les Chinois sont très intéressés par la France. En revanche, sur le plan économique, s’il n’y a pas de problème aujourd’hui, il risque d’y en avoir dans quelques années car les échanges économiques sont insuffisants et c’est là que doit s’appliquer en priorité l’effort des deux pays. En effet, si la relation économique diminuait, par voie de conséquence, les relations politiques se dégraderaient également. »
Un an après ce premier voyage, le 16 octobre 1979, j’accueille à l’Hôtel de Ville le successeur de Mao, Hua Guofeng, en visite officielle en France. Je ne retrouve chez lui ni la lucidité malicieuse, ni la vivacité d’esprit de Deng Xiaoping, ni, bien sûr, le génie visionnaire du Grand Timonier. À l’évidence, cet homme d’appareil a d’abord été choisi en raison de son aptitude à assurer paisiblement, et sans éclat, la transition entre la fin du tumultueux règne maoïste et l’avènement d’une nouvelle direction chinoise minutieusement peaufinée dans l’ombre par Deng Xiaoping.
Confiant en ce qu’une Chine puissante, active et prospère peut apporter à l’équilibre du monde, je souligne, dans mon discours de bienvenue, en des termes qui n’ont rien, dans ma bouche, de propos de circonstance, « l’exceptionnelle convergence » d’intérêts et de devoirs entre nos deux pays, leur vocation commune à s’affirmer indépendamment des deux Blocs, américain et soviétique. Bref, à inventer le visage d’un autre monde. J’ajoute que « la grande leçon de la coopération franco-chinoise, c’est que nous avons pu nous rejoindre et nous comprendre en approfondissant chacun nos racines, en nous appuyant sur les vertus ancestrales de nos deux peuples, qui sont des vertus paysannes, comme l’avait rappelé Georges Pompidou à Pékin. »
La Chine n’a alors rien à craindre de l’épuisement, déjà si manifeste en URSS et dans les pays de l’Est, d’un système communiste dont elle seule a su se servir pour retrouver son énergie et se hisser de nouveau au premier rang des grandes nations du monde.
Tout autre est l’impression que je retire, durant la même période, de mes contacts avec les dirigeants roumain, polonais et hongrois, de passage à Paris. Qu’il s’agisse de Nicolae Ceaus¸escu, d’Edward Gierek ou de Janos Kadar, tous m’apparaissent comme les ultimes vestiges d’un modèle à bout de souffle et d’une idéologie sans avenir. En les recevant à l’Hôtel de Ville, je m’attache toujours à souligner que toutes les nations européennes, sans exception, appartiennent à une même civilisation, et que chacune d’elles puise ses raisons de vivre aux mêmes sources morales et spirituelles.
On sait le rôle capital joué, dans la déstabilisation définitive des régimes communistes européens, par l’élection, en octobre 1978, d’un pape d’origine polonaise. Le début du pontificat de Jean-Paul II est alors marqué par le voyage retentissant que le nouveau souverain pontife effectue en Pologne et dont je salue aussitôt, dans une déclaration que je veux ici rappeler, l’importance exceptionnelle pour l’Église comme pour l’Europe tout entière :
Pour l’Église : Qui pourrait méconnaître en effet les retombées que ne manquera pas d’avoir, pour ce qui concerne l’exercice authentique de la liberté religieuse dans les pays de l’Est, la présence physique du chef de l’Église catholique rassemblant tout un peuple autour de sa personne ? Après ce voyage, rien ne pourra plus être comme avant ; l’Église et, avec elle, les valeurs de liberté et de dignité de l’homme viennent de remporter une victoire décisive.
Pour l’Europe : La présence du pape en Pologne nous rappelle opportunément que l’Europe ne s’arrête ni à l’Elbe, ni à l’Oder, ni même à la Vistule. À Varsovie, à Gniezno, à Cracovie bat le cœur de l’Europe immémoriale, celle qui, comme le pape ose le proclamer, est l’Europe chrétienne de l’Atlantique à l’Oural. Il était urgent que, nous arrachant à nos querelles politiciennes, une voix s’élève pour faire prendre conscience que l’Europe existe depuis deux millénaires, que son ciment a été le christianisme et que la civilisation qu’elle incarne demeure, dans ses finalités, profondément spirituelle.
Jamais encore je n’avais manifesté aussi fortement qu’en cette circonstance mon attachement personnel à l’Église catholique. Par souci de laïcité, j’ai toujours estimé qu’un certain devoir de réserve ou de discrétion s’impose aux responsables politiques s’agissant de leurs convictions religieuses. Pour autant, je n’ai jamais fait mystère de ma propre foi, ni du respect que je porte à toutes les formes de croyance.
Un des moments les plus marquants de ma vie est celui que j’ai passé le 12 octobre 1976, quelques semaines après mon départ de Matignon, à l’abbaye de Solesmes pour la fête de la Dédicace, célébrée en souvenir du jour où l’abbatiale a été consacrée. Bouleversé par l’extraordinaire beauté du chant grégorien, captivé par une liturgie admirable, je ne laissais pas d’être fasciné par l’atmosphère de ce lieu voué tout entier à l’étude des Écritures, au silence et au recueillement.
J’éprouve infiniment de déférence et d’admiration envers les hommes et les femmes qui consacrent leur vie à la prière et à la contemplation. Voilà pourquoi je serai heureux, une dizaine d’années plus tard, de favoriser l’installation à Meymac, en Corrèze, d’un monastère de religieuses cisterciennes dans le domaine du Jassonneix que sa propriétaire, une vieille dame sans descendance, souhaitait léguer à des religieuses. Restaurée et agrandie grâce à des fonds que je suis parvenu à mobiliser, l’ancienne bergerie accueille depuis 1985 une fondation de trappistines venues de l’abbaye de la Coudre, à Laval, dans la Mayenne. Aujourd’hui, ce lieu à l’architecture épurée, conçue selon l’esprit même de dépouillement et de simplicité propre à l’idéal cistercien, permet de concilier les règles de la vie monastique et le séjour de personnes souhaitant y faire retraite. Cinq religieuses, bientôt six, y vivent en permanence, que j’ai toujours plaisir à aller saluer lors de mes séjours en Corrèze.
Mais une autre vocation que la vocation monastique correspond mieux, je dois bien l’avouer, à mon caractère et mon tempérament : celle qui trouve dans l’action son accomplissement. L’action, non pour se divertir, mais pour donner du sens à la vie et s’efforcer de réaliser un même idéal de justice, de paix et de fraternité… Toute politique implique une idée de l’homme. Et toute idée de l’homme a un fondement religieux, avoué ou inavoué. La mienne est issue de deux mille ans de christianisme et se nourrit des préceptes qu’on m’a enseignés durant mon enfance. Mais cette foi ne m’éloigne pas des autres croyants, quelle que soit leur religion, ni même des incroyants, dès lors que nous partageons la même recherche d’un monde plus juste et plus pacifique. Un monde que nous forgeons dès à présent de nos mains.
Peu d’hommes de Dieu m’ont autant impressionné que Jean-Paul II. Outre la force de son engagement pastoral, si saisissante pour moi comme pour tous les chrétiens du monde, dès son premier déplacement en Pologne, ce qui me frappe plus que tout lorsque je l’accueille à Paris en mai 1980, c’est l’intensité de sa présence, de son regard, le mélange de détermination et d’extrême bonté qui émane de sa personne comme du message qu’il a entrepris de délivrer, sans relâche, aux hommes de son temps.
Un peu moins de deux ans auparavant, par l’intermédiaire de mon directeur de cabinet, Bernard Billaud, ami du philosophe Jean Guitton et familier des autorités vaticanes, j’avais été reçu à Rome, en audience privée, par le pape Paul VI. C’était un mois à peine avant sa disparition. Bien que déjà très affaibli, le souverain pontife, impressionnant lui aussi par son allure austère, réservée, et la fermeté de son jugement, m’avait accordé un long entretien, d’une durée inhabituelle selon son entourage. L’air détendu, relançant la conversation comme pour en différer l’issue malgré le peu de temps dont il disposait, Paul VI paraissait heureux de rencontrer le maire d’une ville restée chère à son cœur depuis que, jeune prêtre, il y avait passé tout un été, au milieu des années vingt, pour suivre des cours à l’Alliance française. Après avoir rendu à Paris l’hommage le plus chaleureux, Paul VI, se tournant vers moi, m’avait adressé d’une voix émue ces quelques mots restés pour moi ineffaçables : « Monsieur le Maire, nous vous avons tant attendu ! Nous n’espérions plus votre venue ! »
En janvier 1980, apprenant que Jean-Paul II doit accomplir une visite en France au cours des mois suivants, je décide de tout mettre en œuvre pour obtenir qu’il fasse halte à l’Hôtel de Ville. Je charge aussitôt Bernard Billaud de préparer un nouveau séjour à Rome pour rencontrer le Saint-Père, d’autant que les organisateurs du voyage pontifical se montrent plutôt défavorables à l’idée que le pape se rende à la Mairie de Paris, par crainte de créer un précédent vis-à-vis d’autres municipalités. En réalité, ces résistances sont activées, sinon inspirées directement par l’Élysée, hostile comme toujours à l’idée de trop valoriser le nouveau maire de Paris. Face à cette situation, je n’ai plus d’autre choix que d’aller directement plaider la cause des Parisiens auprès de Jean-Paul II. Ce dernier me reçoit durant une vingtaine de minutes, le 26 avril, mais sans me donner d’assurances formelles malgré son accueil attentif et bienveillant. Puis, après l’avoir quitté, j’entreprends de faire la tournée des cardinaux les plus influents, du secrétaire d’État au doyen du Sacré-Collège, le vieux cardinal Confalonieri, qui me paraît le mieux disposé à intercéder en faveur de Paris. Une semaine plus tard, un coup de téléphone du nonce m’informera de l’accord du pape pour venir à l’Hôtel de Ville et s’y adresser au peuple parisien.
Pour les habitants de sa capitale, cette visite, la première depuis celle de Pie VII près de deux siècles auparavant, revêt aussitôt une dimension historique, encore renforcée par l’immense popularité qui entoure déjà celui qu’on surnomme « l’homme vêtu de blanc ». Des personnalités de tous bords, du comte de Paris jusqu’au secrétaire général du Parti communiste, Georges Marchais, sollicitent d’être présentés à ce pape hors normes, en train de bouleverser, au-delà même de l’Église, toute l’histoire de cette fin de siècle.
À l’Hôtel de Ville, chacun se mobilise, sous l’autorité de Bernard Billaud, pour prendre soin de la disposition des lieux, s’occuper du décor à mettre en place, régler dans le moindre détail le déroulement d’un cérémonial surveillé de près par le grand organisateur des déplacements pontificaux, Mgr Marcinkus.
Le 30 mai 1980, alors que la nuit descend peu à peu sur la capitale, plusieurs dizaines de milliers de personnes envahissent la place de l’Hôtel de Ville. La partie centrale de la façade est recouverte d’une immense tenture blanche sur laquelle se détachent, illuminées par les projecteurs, les armes du Vatican et celles de la capitale. Le cortège papal, arrivant de Notre-Dame, traverse lentement cette marée humaine et s’arrête au pied de l’estrade où j’attends le souverain pontife.
À l’apparition de Jean-Paul II, une ovation immense s’élève de la foule. Le pape salue longuement le flot des fidèles qui se pressent vers lui. Son visage est empreint d’une joie paisible et fraternelle. Après avoir échangé quelques mots, nous montons côte à côte les marches revêtues d’un tapis rouge, qui mènent au podium où a été installé le trône pontifical.
Sur la place règne maintenant une atmosphère de ferveur et de retenue saisissantes. Rarement la présence d’un hôte étranger m’a paru à ce point intimidante. C’est d’une voix lente, comme pour mieux contenir l’émotion qui est la mienne, que j’exprime au pape notre fierté de le recevoir « en ce lieu où ont été célébrés les plus grands événements de l’histoire de notre pays et d’où jusqu’aux quatre coins du monde ont été portées les idées généreuses qui ont enflammé tant d’hommes en quête de dignité, de liberté et d’honneur.
Ceux qui croient et ceux qui ne croient pas sont venus pour vous dire les espérances que nous portons en vous, témoin vigilant et infatigable de la conscience et de l’esprit, en ces temps difficiles où il faut avec la culture et la civilisation sauver la vocation de l’homme.
Comment en ce jour pourrais-je oublier la longue fidélité qui unit la France à Rome ? Comment pourrais-je oublier que la ville de Paris et la ville de Rome sont des villes sœurs heureusement jumelées ? Une même lumière les enveloppe, plus douce et blanche à Paris, plus éclatante et dorée à Rome. Mais c’est la même lumière : elle figure la lumière de l’esprit qui nous unit en ce jour historique où Votre Sainteté est venue visiter le peuple de Paris ».
Lorsqu’il prend la parole à son tour, Jean-Paul II commence par adresser à la population parisienne et à ses élus un témoignage de gratitude et d’affection : « Dans ma patrie d’origine, tient-il à rappeler, on sait ce que l’on doit à Paris. » Puis il met très vite l’accent sur les « questions concrètes » du présent et celles de « l’avenir à préparer ». Évoquant les « multiples problèmes d’aménagement et d’organisation qui sont le lot des grandes métropoles », le pape souligne que ceux-ci ne sont « jamais dépourvus d’une composante humaine » :
Paris, c’est d’abord des hommes, des femmes, des personnes entraînées par le rythme rapide du travail dans les bureaux, les lieux de recherche, les magasins, les usines ; une jeunesse en quête de formation et d’emploi ; des pauvres aussi, qui vivent souvent leur détresse, ou même leur indigence, avec une dignité émouvante, et que nous ne pouvons jamais oublier ; un va-et-vient incessant de population souvent déracinée ; des visages anonymes où se lit la soif de bonheur, du mieux-être et, je le crois aussi, la soif du spirituel, la soif de Dieu.
En écoutant la voix vibrante et chaleureuse de Jean-Paul II, je pense à ma propre mission au service de ces millions de Parisiens dont il parle, et me sens conforté dans l’idée que la gestion d’une ville, comme celle d’un pays, doit plus que jamais prendre en compte, en effet, sa « composante humaine ». Admirable formule, dont je mesure, ce soir-là, la vérité profonde avec une acuité toute particulière.