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17LE TOURNANT DE 81

Le 3 février 1981, j’annonce ma décision d’être candidat à l’élection présidentielle qui doit avoir lieu deux mois plus tard. Un communiqué, mis au point dans mon bureau de l’Hôtel de Ville, précise les raisons de cette candidature :

La France est riche d’histoire et de culture. Elle a les moyens de la grandeur, et pourtant elle s’affaiblit. Son économie vacille, ses positions dans le monde s’effritent. La lassitude et le doute s’insinuent au cœur des Françaises et des Français. Il faut arrêter ce processus de dégradation. Aucune fatalité ne condamne notre pays au repliement. Seules lui manquent aujourd’hui l’ambition du rang et la volonté de l’effort.

À condition de le vouloir, la France peut, en libérant son économie, assurer du travail à tous et créer la solidarité agissante qui fera d’une collectivité d’individus une vraie communauté d’hommes et de femmes, et redonnera l’espoir aux familles de notre pays.

À condition de le vouloir, la France peut renforcer sa sécurité et sa présence dans le monde, et porter son message de dignité et de paix à tous les peuples qui veulent continuer à disposer d’eux-mêmes.

À condition de le vouloir, la France peut montrer l’exemple de la vraie démocratie en refusant toute complaisance à ceux qui bafouent la loi par la violence, en exerçant sans faiblesse l’autorité républicaine qui garantit la liberté et la sécurité du citoyen.

C’est pour engager la nation sur ce chemin que j’ai décidé d’être candidat à la présidence de la République…

C’est en solitaire, et contre l’avis d’une partie de mes proches, que j’ai résolu de m’engager dans ce nouveau combat. Aujourd’hui, je ne me souviens pas d’avoir longtemps hésité, tant cette décision me semblait aller de soi. Valait-il mieux, comme me le conseillait, entre autres, Édouard Balladur, que je me réserve pour d’autres échéances, afin de laisser toutes ses chances au Président sortant et ne pas risquer, en cas d’échec, d’en être tenu pour responsable ? À ce raisonnement, censé servir mes intérêts, j’oppose la conviction que les Français, faute d’une alternative venant de notre propre camp, préféreraient le candidat socialiste à un chef de l’État que j’estime largement discrédité. De plus, je ne vois rien d’illégitime à ce que les gaullistes, compte tenu du rôle qu’ils ont joué dans son histoire, puissent aspirer de nouveau à diriger le pays.

Cette aspiration est d’autant plus forte, chez eux comme chez moi, sept ans après l’élection de Valéry Giscard d’Estaing, que ce dernier n’a rien fait, malgré mes appels réitérés, pour mériter leur soutien ni s’attirer leur sympathie. Les raisons de mon départ de Matignon, en août 1976, puis celles de la bataille de Paris, dans les mois suivants, ont contribué à dresser durablement contre l’Élysée nombre d’électeurs et de militants RPR. À ces motifs d’irritation se sont ajoutés des désaccords plus profonds. La quête obstinée du « juste milieu », le projet timide d’une croissance douce, le rappel lancinant de l’insignifiance numérique de la France et des Français dans le monde ont été vécus par les gaullistes comme autant de tentatives de déstabilisation politique à leur encontre et de volonté d’affaiblissement de la conscience nationale.

C’est en vain que j’adresse à Giscard, lorsqu’il m’arrive de le rencontrer, des mises en garde du genre : « Il ne faut pas blesser une bête. On la tue ou on la caresse. » Ou que je lui rappelle ce proverbe arabe, qu’il ne prend pas davantage au sérieux : « Ne poussez jamais le chat dans les recoins. » La communication a toujours été difficile entre Giscard et moi, avant de devenir quasi impossible à la fin de son septennat, tant j’ai du mal à comprendre ses réactions, ses façons d’être et sa psychologie.

Alors que j’étais Premier ministre, un épisode m’avait déjà éclairé sur certains aspects déconcertants de sa personnalité. Invoquant le fait qu’un de ses lointains aïeux aurait pris part à la guerre de l’Indépendance américaine, Giscard s’était mis en tête d’intégrer, avec toute sa famille, le prestigieux ordre des Cincinnati. Après avoir remué ciel et terre pour y parvenir, il finit par me demander d’intervenir auprès de l’association, en tant que chef de gouvernement. J’effectuai cette démarche du mieux que je pus, mais celle-ci se heurta à une fin de non-recevoir catégorique. L’ordre avait estimé, après examen de la requête, que le postulant ne réunissait pas toutes les conditions pour être reconnu comme le descendant d’un des « Fils de la Révolution ». Les règles d’entrée y étant très strictes, le cas de l’ancêtre avait été jugé définitivement irrecevable. Giscard en fut meurtri, atteint dans son orgueil et son amour-propre dans des proportions qui me semblèrent démesurées.

Ce n’est pourtant pas le revers le plus sérieux qu’il ait subi sur le plan international. En mai 1980, le chef de l’État a pris l’une de ses initiatives diplomatiques les plus contestables en acceptant de se rendre à Varsovie pour y rencontrer Leonid Brejnev, cinq mois à peine après que l’URSS eut envahi l’Afghanistan. Officiellement, cette démarche, effectuée à la demande pressante des autorités polonaises, visait à protéger leur pays, alors en proie à une agitation syndicale grandissante, d’une intervention soviétique semblable à celle qui avait abouti, douze ans auparavant, à la reprise en main par Moscou de la Tchécoslovaquie. Mais une telle rencontre, dans le contexte de l’affaire afghane, ne pouvait qu’être sujette à caution et sa portée symbolique servir avant tout les intérêts de l’URSS, en paraissant dédouaner ses dirigeants de leur forfait contre la vague promesse de retirer les troupes soviétiques de Kaboul « dès que cela serait possible ». C’est l’esprit de Munich qui flottait, ce jour-là, sur Varsovie.

L’autre point faible du bilan présidentiel concerne sa politique économique. Les plans d’austérité échafaudés et mis en place par le gouvernement Barre n’ont pas suffi, comme je l’ai toujours pensé et affirmé, à enrayer la montée du chômage ni même à maîtriser l’inflation, pourtant cheval de bataille du Premier ministre. Le redressement de notre économie ne pouvait s’opérer, à mon sens, sans une relance massive de l’investissement. C’est là, depuis 1975, une de mes sources de désaccord les plus profondes et les plus constantes avec Valéry Giscard d’Estaing. Et l’une des raisons majeures, six ans plus tard, de ma propre candidature à l’élection présidentielle…

La France battant désormais des records en matière de prélèvements obligatoires, au risque de nuire à l’essor et à la compétitivité des entreprises, j’insiste sur la nécessité de « libérer » notre économie. Formule aussitôt interprétée comme une conversion opportuniste au libéralisme en vogue aux États-Unis depuis l’élection de Ronald Reagan. Un de ces revirements dont je serais coutumier, selon mes détracteurs…

Il leur eût suffi de me lire pour constater que ce que je préconise en 1981 n’est en rien contradictoire avec les idées que je défendais, trois ans auparavant, dans mon livre, La Lueur de l’espérance. Si j’estimais nocif et illusoire de s’en remettre au seul jeu du libéralisme, je n’en soulignais pas moins dès ce moment-là « le rôle irremplaçable de la liberté et de la concurrence », mis en danger par l’excès de bureaucratie :

Les entreprises françaises étouffent littéralement sous la réglementation administrative. Elles ne peuvent rien faire sans autorisation préalable, accordée généralement au petit bonheur, mais après de longues tracasseries et avant un bon lot supplémentaire de formalités consécutives. Leurs dirigeants consacrent beaucoup plus de temps à se battre contre l’inertie des bureaux qu’à réfléchir aux problèmes de la production et du marché. Des masses d’employés s’occupent en permanence à répondre aux flots de questionnaires et de paperasses qu’en face des masses de fonctionnaires engendrent consciencieusement, sans que personne ne puisse dire, dans la plupart des cas, à quoi le tout sert au juste.

C’est toujours ce même fléau que je dénonce lorsque j’en appelle, au début des années quatre-vingt, à une libération de notre économie, tout en souhaitant que l’État demeure fidèle à ses véritables missions s’agissant, notamment, des questions de l’emploi et de la solidarité. Expression d’une troisième voie entre modèle socialiste et projet d’une « société libérale avancée ».

Un jour d’octobre 1980, un de mes proches au sein du mouvement gaulliste, Jean de Lipkowski, député-maire RPR de Royan, me propose de rencontrer François Mitterrand, à l’occasion d’un dîner qu’il prévoit d’organiser chez son amie Édith Cresson. Je connais aussi cette dernière et l’apprécie, ce qui m’encourage à accepter spontanément une telle invitation.

Apparenté sous la IVe République à l’UDSR, le petit groupe parlementaire alors présidé par celui qui est devenu le premier secrétaire du Parti socialiste, « Lip », comme on l’appelle dans le milieu politique, a gardé des liens étroits avec diverses personnalités de gauche. Proche depuis toujours d’Édith Cresson, il continue d’entretenir des relations avec François Mitterrand. En 1976, sa fidélité à mon égard, jugée par Giscard impardonnable, a coûté à Jean de Lipkowski son poste de ministre de la Coopération lors du changement de gouvernement. Autant dire qu’il ne compte pas parmi les partisans les plus empressés de la réélection du chef de l’État.

C’est à son instigation et à celle d’Édith Cresson qu’a été organisée cette rencontre avec François Mitterrand. Je n’en ai pris, à aucun moment, l’initiative. Convaincu du contraire et soucieux de démontrer que j’en étais l’inspirateur, Valéry Giscard d’Estaing attribuera, dans un de ses livres, à François Mitterrand, qu’il affirme être allé interroger dans les derniers instants de sa vie, la confirmation qu’il souhaitait obtenir de lui à ce propos. Ceci explique probablement pourquoi Giscard n’a jamais cherché à me questionner, à mon tour, sur le même sujet… La vérité est que, convié par Lipkowski à dîner en compagnie du chef de l’opposition, je lui ai donné mon accord sans hésiter. Ce qui, selon moi, n’a rien d’anormal ni de choquant dans une démocratie. L’anomalie eût été de refuser une telle rencontre. Même si le contexte électoral du moment, propice à toutes les interprétations, m’imposera de la tenir secrète le plus longtemps possible…

Je ne connais pas personnellement François Mitterrand. L’idée que je me fais de lui à cette époque est celle, assez banale le concernant, d’un personnage sans foi ni loi, flou, ambigu, foncièrement machiavélique. Georges Pompidou, qui ne l’aimait pas, m’en parlait comme d’un « aventurier », expert en « coups tordus ». D’un point de vue strictement politique, François Mitterrand est d’abord l’incarnation de tout ce que je combats : non cette gauche humaniste dont je ne me suis jamais senti éloigné, mais une gauche idéologique, dont le programme est à l’opposé de tout ce que je souhaite et espère pour notre pays.

Pour autant, cette divergence d’opinions, si catégorique soit-elle, ne me paraît pas devoir interdire tout échange entre responsables politiques partageant, de surcroît, les mêmes valeurs républicaines. En dehors des extrémistes qui ne se réfèrent pas à ces valeurs, j’ai toujours eu pour règle, dans mes fonctions d’élu de Corrèze, de maire de Paris ou de chef de gouvernement, de dialoguer en toute occasion avec mes adversaires quels qu’ils soient. Il n’y a donc, à mes yeux, rien d’extraordinaire ni de particulièrement scandaleux à rencontrer François Mitterrand, en privé, six mois avant une élection présidentielle à laquelle aucun de nous deux ne s’est encore déclaré candidat.

Cette rencontre se produit, il est vrai, à un moment où les désaccords sont devenus tels, entre le RPR et l’Élysée, qu’ils m’ont conduit à déclarer, le 22 octobre 1980, que « si l’on veut changer de politique, ou il faut changer de Président, ou il faut que le Président fasse l’effort de changer lui-même ». Ce qui ne signifie pas, comme on peut l’imaginer, que, dans la première hypothèse, je pense à François Mitterrand comme successeur possible du président sortant…

C’est parce qu’il n’eut rien de mémorable que je me suis longtemps abstenu d’évoquer le dîner qui nous réunit peu après, au domicile d’Edith Cresson, en présence de Jean de Lipkowski. Et probablement n’en aurais-je jamais parlé, si le président de la République de l’époque ne s’était laissé aller, vingt-six ans plus tard, à publier un témoignage posthume, prétendument obtenu de son successeur, François Mitterrand, selon lequel je lui aurais livré, ce soir-là, le message suivant : « Il faut nous débarrasser de Giscard ! » Scandalisé par le procédé, autant qu’indigné par les propos qui m’étaient ainsi attribués, je ne pouvais manquer, cette fois, de réagir, en récusant fermement une version des faits inspirée à l’évidence, comme souvent chez Giscard, par ses seuls ressentiment à mon égard.

Je garde de cette première rencontre avec François Mitterrand le souvenir d’un échange courtois et détendu, mais, en définitive, sans réel intérêt, hormis celui de tenter de mieux se connaître et de se jauger mutuellement, en quête d’éventuelles affinités. Je savais François Mitterrand amoureux de l’Afrique et très lié, comme je l’étais moi-même, à Félix Houphouët-Boigny, qu’il avait jadis convaincu, comme il tint à me le rappeler, de rompre avec le communisme. Mais j’ignorais tout, en revanche, de sa fascination pour le continent asiatique et la Chine en particulier, et il ne me parut pas moins surpris de découvrir tout l’intérêt que je porte à l’histoire de ce peuple. De la brève conversation que nous eûmes à ce propos, je retirai l’impression d’un homme bien plus fin et subtil que celui qu’on m’avait décrit, et d’une culture plus étendue que je ne l’avais soupçonné. Quant à la politique française, ce n’est pas à ce sujet que nous avions le plus à apprendre l’un de l’autre, tant nous savions à quoi nous en tenir sur nos opinions respectives et les ambitions qui nous opposaient.

C’est sur la suggestion d’Édith Cresson, et d’un commun accord, que nous avons décidé, à l’issue du dîner, d’évoquer en tête à tête la situation du pays et les échéances électorales qui s’annonçaient. L’entretien dura environ une heure, et non deux comme on l’a raconté. Il y fut question, naturellement, du chef de l’État, à propos duquel François Mitterrand, comme c’était son intérêt, m’indiqua toutes les raisons que j’avais, selon lui, de le faire battre. La réélection de Giscard, me dit-il en bref, serait « catastrophique » pour le RPR comme pour la France… De mon côté, soucieux de ne pas entrer dans son jeu, je me suis borné à faire état de mes propres critiques, connues de tous au demeurant, sur l’action du président de la République et de son gouvernement. Mais sans aller, comme on a voulu le laisser croire par la suite, jusqu’à me tromper d’adversaire en souhaitant, devant François Mitterrand, qui n’eût pas manqué d’en tirer parti, qu’« on se débarrasse » de qui vous savez…

Telle est la véritable histoire de ce dîner qui n’eut rien de décisif et ne méritait pas tant de commentaires. C’est ailleurs, de toute évidence, qu’il faut chercher les raisons profondes de la défaite de mai 1981.

Le Rassemblement pour la République n’a pas attendu l’annonce officielle de ma candidature, le 3 février 1981, pour se mobiliser. Programme, locaux, affiches, comités de soutien, équipes opérationnelles, tout est prêt depuis plusieurs mois, sous l’impulsion de Charles Pasqua. Et très vite la campagne bat son plein, portée, à travers tout le pays, par l’enthousiasme de centaines de milliers de militants et de sympathisants. Je sillonne la France d’un bout à l’autre, tiens meeting de ville en ville, multiplie, selon mon habitude, les contacts directs avec la population. Sur le terrain, mes chances de l’emporter semblent chaque jour plus réelles.

Pour être élu, j’ai conscience de devoir m’imposer comme la seule alternative au Président sortant, et donc éliminer François Mitterrand dès le premier tour. J’adresserai aux Français un appel en ce sens, le 22 avril. Mais pour atteindre cet objectif, encore faudrait-il que toute la famille gaulliste fasse bloc autour de ma candidature. Ce qui n’est pas le cas, deux autres candidats issus de nos rangs ayant décidé de se présenter de leur côté.

Le premier est Michel Debré, que certains « barons » inféodés au gouvernement ont hélas ! encouragé, avec la bénédiction de l’Élysée, à se lancer dans la bataille pour son propre compte. J’éprouve beaucoup d’admiration et de respect pour Michel Debré, et ai tout tenté, sans succès, afin de le dissuader de s’engager dans un combat que je savais perdu d’avance. Le second de ces candidats est Marie-France Garaud, poussée par l’ambition, encore inassouvie, d’exister par elle-même et de délivrer seule au pays le message dont elle s’estime porteuse depuis toujours.

Michel Debré et Marie-France Garaud totaliseront, à l’issue du premier tour, à peine 3 % des suffrages, mais en affaiblissant d’autant mon propre score. Le 26 avril, j’arrive en troisième position derrière François Mitterrand et Valéry Giscard d’Estaing. Ce dernier, avec 28,31 % des voix contre 25,84 % à son challenger, est loin d’avoir obtenu le résultat qu’il escomptait pour affronter le second tour en position de force. Seul peut lui permettre de l’emporter un ralliement massif de ces électeurs RPR qu’il a cru bon, si longtemps, de mépriser.

Au soir du premier tour, c’est d’abord leur déception que je mesure autour de moi. Rares sont ceux, au sein de mon équipe, qui se déclarent prêts à soutenir un président dont ils n’ont pas apprécié la politique et, encore moins, le comportement à leur égard. Et ce n’est pas la proposition, transmise peu après par l’Élysée, d’inviter à déjeuner les parlementaires et les cadres du Rassemblement, qui sera de nature à les rassurer… Sauf à m’exprimer à titre personnel — ce que je fais, dès le lendemain, en annonçant que je voterai, quant à moi, pour M. Giscard d’Estaing — il ne m’appartient pas d’engager la position du mouvement sans l’approbation de ses membres. Or, celle-ci est loin d’être acquise, comme le confirme, dans les jours suivants, la décision du comité central de laisser la liberté de vote à nos adhérents. Tandis que quelques personnalités gaullistes comme Philippe Dechartre ou Christian Poncelet n’hésitent pas à se déclarer favorables au candidat de la gauche.

Plus que sur un choix de politique, cette élection se jouera sur une question de confiance. C’est de la capacité ou non du Président sortant à restaurer son crédit auprès d’une partie des électeurs de sa majorité que dépendra l’issue du scrutin. Au fond de moi, je crains qu’il ne soit déjà trop tard pour que Giscard y parvienne, tant ses mauvaises relations avec le RPR me semblent irrémédiables. Giscard ne fera d’ailleurs aucun effort spectaculaire entre les deux tours pour se rapprocher de ses dirigeants, qu’il ne cherchera pas même à rencontrer, par crainte sans doute de paraître s’abaisser.

Lorsqu’il m’appelle au téléphone, le 28 avril, c’est tout au plus pour me demander de participer au grand meeting qu’il prévoit d’organiser porte de Pantin. Je lui réponds que, n’étant pas mandaté par les militants du RPR pour m’exprimer en leur nom, je ne vois pas l’utilité d’y être présent. Après quoi, Giscard m’adressera, le 1er mai 1981, une lettre officielle d’invitation au meeting qui doit se tenir le surlendemain. Comme j’en demande la raison au secrétaire général de l’Élysée, Jacques Wahl, celui-ci me répond : « Pour que ça reste… »

Le 4 mai, Giscard m’écrit de nouveau, et sans doute avec la même arrière-pensée, pour m’annoncer son intention de « prendre en compte les sensibilités et les suggestions qui se sont exprimées ces dernières semaines ». La démarche est à l’évidence trop tardive pour avoir le moindre effet, d’autant qu’elle s’accompagne d’une promesse qui peut prêter à sourire quand on connaît l’histoire des dernières années : « C’est pourquoi, annonce Giscard, je chargerai le nouveau Premier ministre d’organiser, sans délai, les États généraux de la majorité, qui permettront aux diverses familles qui la composent de retrouver leur unité, en tirant ensemble les enseignements de la campagne pour les traduire dans l’action. » On ne saurait être moins convaincant.

Je ne souhaite pas la victoire de François Mitterrand et le fais savoir on ne peut plus clairement dans un texte que je publie, le 6 mai 1981, appelant à faire barrage au candidat socialiste. Mais je n’ai plus aucun moyen, désormais, d’endiguer le processus, engagé de longue date, qui entraîne une minorité des militants gaullistes à rejeter ouvertement Giscard au profit de son concurrent. Y serais-je parvenu que cet effort n’eût d’ailleurs pas suffi à inverser le cours des choses, comme le prouveront les résultats du second tour de l’élection présidentielle.

Le soir du 10 mai 1981, chacun pourra vérifier, chiffres en main, que le Président a fait le plein des voix de droite, et même gagné trois cent mille voix supplémentaires. Ce n’est donc pas le vote des électeurs RPR qui a creusé l’écart de 1,2 million de voix qui le séparent de son challenger socialiste, mais la mobilisation massive, en faveur de François Mitterrand, des abstentionnistes du premier tour. Preuve que l’arithmétique d’une telle élection échappe, en réalité, à la seule logique partisane.

Je n’ai pas le cœur à me réjouir d’un échec aussi retentissant, qui rejaillit, au-delà du candidat, sur l’ensemble de la majorité. En politique, on ne construit pas une victoire sur la défaite de son propre camp. Mais cette défaite, qui est aussi la mienne, comment ne pas en imputer la responsabilité à celui qui s’est employé, d’un bout à l’autre de son septennat, à diviser sa majorité au lieu de la rassembler, et à gouverner sans tenir le moindre compte de l’opinion de ses alliés ? Giscard préférera en rejeter la faute sur d’autres — c’est-à-dire, moi — en parlant de « trahisons préméditées » quand il eût été plus honnête de reconnaître, au moins, des torts partagés.

Il n’aura plus de cesse, désormais, que de remâcher ses griefs et de me désigner comme le seul coupable de son renvoi de l’Élysée. Un jour, Giscard assurera avoir « jeté la rancune à la rivière ». Mais ce jour-là, la rivière devait être à sec, tant cette rancune est demeurée chez lui tenace et comme inépuisable.

Pour néfaste qu’elle fût à mes yeux, l’arrivée de la gauche au pouvoir ne signifiait pas la fin de la République, ni celle de ses institutions. Tout au plus était-ce le prix de l’alternance souhaitée par les Français. En démocratie, la défaite d’un homme n’est jamais, ou rarement, une perte irréparable.