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22L’ÉCHEC

Parmi tous les projets de réformes prévus dans notre programme de gouvernement, celui des universités était à l’évidence un des plus risqués. Il touchait à un domaine extrêmement sensible et à un milieu toujours prompt à s’embraser. Personne pourtant, ni le président de la République, avant tout préoccupé par l’affaire des ordonnances, ni aucun syndicat étudiant, ne s’en était particulièrement ému lorsqu’il avait été présenté en Conseil des ministres le 11 juillet 1986. Élaboré sous l’autorité d’Alain Devaquet, professeur de grand renom, ministre chargé de la Recherche et de l’Enseignement supérieur auprès de celui de l’Éducation nationale, René Monory, le texte prévoit une autonomie renforcée des universités et l’instauration d’une plus grande sélection à l’entrée de chaque établissement. Il introduit tant de changements dans le système universitaire que je m’étonne presque de le voir si peu discuté.

Ce n’est qu’à la fin du mois de novembre, après avoir pris, j’imagine, le temps de la réflexion, que les opposants au projet de loi Devaquet ont commencé de se signaler. Je n’ai pas de preuves, mais des certitudes, quant au rôle joué par l’Élysée dans la naissance tardive de ce mouvement contestataire. Son apparition n’a rien de spontané. La manipulation politique ne fait aucun doute quand on sait que l’appel à la grève a été lancé par un comité d’étudiants socialistes de Villetaneuse (Paris XIII). D’ailleurs, certains de ses membres ne tarderont pas à être reçus officiellement à l’Élysée par le chef de l’État, toujours prêt à se déclarer solidaire de qui pourrait contribuer à déstabiliser le gouvernement.

Déjà approuvé par le Sénat, le projet Devaquet doit être présenté à l’Assemblée nationale le 27 novembre, quand les étudiants défilent en masse dans les rues de Paris et des grandes villes de province pour exiger son retrait. Leurs critiques portent sur la hausse des droits d’inscription et leur disparité selon les établissements, la valeur spécifique des diplômes en fonction de chaque université, et, bien entendu, sur le principe même, jugé sacrilège, de la sélection.

Contrairement aux prévisions du ministère de l’Intérieur, la première manifestation, le 23 novembre, a déjà rassemblé deux cent mille participants et non dix mille comme annoncé. Quatre jours plus tard, le mouvement a encore pris de l’ampleur. Dès lors, le spectre de Mai 68 commence à hanter, autour de moi, les esprits réputés les plus solides et les moins enclins au compromis.

Dois-je retirer sans tarder un projet de loi contesté non seulement par la gauche, qui le rejette en bloc, mais aussi par une partie de la droite, résolue à en durcir les dispositions contre l’avis du ministre ? À mon grand étonnement, Charles Pasqua est le premier à me conseiller d’abdiquer face aux réactions étudiantes. « On ne pourra pas tenir, il vaut mieux lâcher tout de suite », me dit-il en substance.

Mais qu’adviendra-t-il, dans ce cas, des autres réformes si nous renonçons à les mettre en œuvre dès que la rue s’y oppose ? Capituler ainsi en rase campagne, dans l’effroi et la précipitation, serait se condamner, pour la suite, à l’inertie et à l’immobilisme. C’est l’argument que me font valoir, de leur côté, les deux ministres concernés, Alain Devaquet et René Monory, lesquels menacent de démissionner si leur texte est ainsi désavoué.

Si je ne suis pas insensible aux craintes de Charles Pasqua, pour qui le pire serait de se couper de la jeunesse en maintenant un texte apparemment contraire à ses aspirations, je ne suis pas moins attentif aux arguments de ses collègues pour qui céder aux revendications des syndicats étudiants serait se déconsidérer auprès de l’opinion. C’est tout le dilemme, en pareil cas, d’un chef de gouvernement. Celui auquel Georges Pompidou a été confronté en Mai 68 et qu’il a tenté de résoudre en tenant le meilleur équilibre possible entre dialogue et fermeté.

Par expérience et par tempérament, je me méfie de toute attitude jusqu’au-boutiste dans la gestion des conflits sociaux. D’instinct et par respect de l’opinion, je suis davantage porté à la négociation qu’à l’affrontement. La France n’est plus un pays qu’on peut gouverner à coups de diktats. La volonté de réforme a peu de chances d’aboutir si elle ne bénéficie pas d’un minimum de consentement et de compréhension. Une saine pratique démocratique commande, selon moi, non de se résigner au statu quo, mais de faire en sorte que les évolutions nécessaires s’opèrent dans la concertation plutôt que dans l’épreuve de force. La première ayant fait défaut, à l’évidence, dans le cas du projet Devaquet, c’est à la seconde solution que nous paraissons condamnés, à moins d’abdiquer au risque de perdre la face.

Le 30 novembre, lors d’une intervention télévisée, je me déclare prêt au dialogue avec les différents protagonistes de la crise, en reconnaissant qu’il y a sans doute eu, dans cette affaire, « un certain nombre de malentendus, peut-être des maladresses ». À tort ou à raison, je veux croire qu’il subsiste une chance de sauver la réforme en remettant éventuellement en cause ses dispositions les plus controversées. En acceptant, en tout cas, d’ouvrir des négociations à leur sujet… Mais c’est de ma part une erreur d’appréciation, dans la mesure où nos opposants n’attendent qu’une chose, en réalité : le retrait pur et simple du projet de loi. Les principaux ministres et responsables de la majorité restent fortement divisés à ce propos, les uns me pressant d’en finir au plus vite, les autres de tenir bon, sous peine de ne plus avoir les moyens de gouverner. Cette dernière position, défendue entre autres par Pierre Messmer, le président du groupe RPR à l’Assemblée nationale, reste en grande partie la mienne, compte tenu de l’impossibilité de trouver, dans l’immédiat, un terrain d’entente avec le mouvement étudiant.

Le 5 décembre, j’accompagne François Mitterrand au sommet européen de Londres, chargeant Édouard Balladur, en tant que ministre d’État, de suivre le dossier Devaquet à ma place. Alors que les affrontements tendaient à s’envenimer depuis la veille, entre forces de l’ordre et manifestants les plus radicaux — souvent de simples casseurs —, des incidents particulièrement violents éclatent ce soir-là, au Quartier latin. Vers 1h30 du matin, un étudiant, Malik Oussekine, est matraqué, dans le sas d’entrée d’un immeuble de la rue Monsieur-le-Prince, peu après l’évacuation de la Sorbonne, par trois policiers appartenant à l’escadron des voltigeurs motocyclistes. Déjà malade, et sous dialyse, le jeune homme décède de ses blessures. Édouard Balladur m’apprend la nouvelle, dans la nuit.

Je rentre à Paris aussitôt, choqué par ce qui vient de se produire et déterminé à en tirer les conséquences. Aucune réforme ne vaut la mort d’un homme. Tous ceux qui me connaissent savent que je n’ai pas grand-chose en commun, à cet égard, avec Margaret Thatcher, préférant laisser mourir de faim une douzaine de militants irlandais que de céder à leurs revendications. Il n’est pas question pour moi de passer outre à un drame de cet ordre. Ne fût-il qu’accidentel, c’est l’accident de trop, celui que rien ne saurait justifier à mes yeux. Le 8 décembre, j’annonce le retrait du projet Devaquet.

« C’est une sage décision », me déclare François Mitterrand, qui me l’a recommandée avec la bienveillance de celui qui ne doute pas du bénéfice qu’il pourra en retirer. « Comme vous le savez, j’ai moi-même renoncé à un projet de loi sur l’enseignement. Vous n’ignorez pas que je m’en suis bien porté ! »

Je n’en crois pas un mot naturellement, sachant surtout qu’il y a des échecs plus coûteux que d’autres, et que celui-là, en raison de la mort de Malik Oussekine, risque de ternir durablement le bilan de mon gouvernement, si positif soit-il par ailleurs. J’aurai beau faire valoir, le moment venu, chiffres à l’appui, que la situation économique du pays est meilleure, après deux années de pouvoir, que celle que nous avons trouvée à notre arrivée, que des résultats ont été obtenus, quoique insuffisants, dans la lutte contre le chômage, et des progrès accomplis en matière de sécurité comme de politique sociale, c’est sur un autre plan, moral et politique, que nous serons jugés, en définitive.

François Mitterrand ne s’y trompe d’ailleurs pas, qui, annonçant sa candidature à l’élection présidentielle, sur le plateau d’Antenne 2, le 22 mars 1988, se pose en garant de l’unité nationale, de la paix civile et de la cohésion sociale, en dénonçant, avec une virulence calculée, l’emprise exercée sur le pays par « des esprits intolérants, par des partis qui veulent tout, par des clans et par des bandes ».

Ces attaques m’ont indigné à l’époque, tant je les estimais injustes et excessives. Mais je dois bien reconnaître aujourd’hui que ses critiques sur l’État-RPR n’étaient pas toutes infondées et que je m’étais moi-même enfermé, sans toujours m’en rendre compte, dans un fonctionnement politique trop partisan et des schémas de pensée trop rigides. Ce n’est pas à la cohabitation proprement dite, si pervers soit ce système sous bien des aspects, que j’attribue mon échec électoral face au président sortant, mais au fait d’être devenu prisonnier d’une image politique qui ne me ressemblait pas, en réalité, celle d’un homme de droite au sens le plus limitatif du mot. Il était plus facile à mon adversaire, dans ces conditions, de se poser en homme d’ouverture…

Candidat déclaré à l’élection présidentielle dès le 16 janvier 1988, et aussitôt entré en campagne, je bénéficie, certes, d’un parti en ordre de marche, d’un réseau d’élus et de militants aussi efficaces qu’enthousiastes. Mais l’entrée en lice de Raymond Barre, pourfendeur acharné de la cohabitation dont il m’impute l’entière responsabilité, en même temps que de l’État-RPR dont il dénonce à son tour « l’esprit de clan », fait voler en éclats l’unité de la majorité que je suis parvenu à réaliser deux ans auparavant et à préserver depuis lors, non sans efforts ni concessions. Privé d’une partie des électeurs centristes, que François Mitterrand s’emploie de son côté à séduire en faisant miroiter aux dirigeants du CDS une possible alliance pour la suite, me voici réduit du même coup à ne pouvoir compter que sur le soutien d’un appareil politique puissant et solidement implanté, mais décrié de tous côtés et seul, désormais, à se réclamer d’un bilan gouvernemental forcément contesté.

À cela s’ajoute une donnée politique devenue incontournable depuis que François Mitterrand l’a instrumentalisée contre nous : la présence d’un Front national doté de son propre groupe parlementaire et dont les thèses n’ont cessé de gagner du terrain auprès de l’opinion. Le Pen sera de nouveau candidat à l’élection présidentielle, promis, cette fois, à un score important. Malgré les pressions d’une partie de mon entourage et le souhait manifeste d’un partie de notre électorat, je me suis toujours refusé à envisager toute alliance ou même amorce de dialogue avec le Front national depuis la déplorable affaire de Dreux, en 1983. De son côté, Le Pen a tout tenté pour m’attirer dans ses filets, allant jusqu’à me piéger, un jour d’août 1987, pour accréditer l’idée que nous serions en relation.

Alors en vacances, en famille, au cap d’Antibes, je rentre de la plage ce jour-là, en fin de matinée, quand je vois surgir devant moi, sur le petit chemin que j’ai l’habitude d’emprunter pour regagner mon hôtel, un homme qui me tend la main avec beaucoup d’insistance, en me lançant un « Bonjour, monsieur Chirac ! » sonore et appuyé. Comme je marchais la tête un peu baissée, je n’ai d’abord pas reconnu celui dont j’étais en train de serrer la main. C’était Le Pen souriant, empressé, manifestement ravi d’être parvenu à ses fins : me contraindre à le saluer.

Cette rencontre n’avait rien pour lui de fortuit, comme on peut l’imaginer. M’ayant repéré depuis plusieurs jours et sachant quel chemin j’empruntais quotidiennement, il s’était fait accompagner discrètement d’un photographe pour « immortaliser » la scène. Je ne m’en rends pas compte sur l’instant. Je ne l’apprendrai qu’à mon retour à Paris, par le patron de l’agence Sipa Press, Göksin Sipahioglu, qui, ayant acheté cette photo, vient aussitôt me voir à Matignon pour m’en restituer l’original. « Ce sont des méthodes scandaleuses, me dit-il. J’ai acquis cette photo parce que c’était mon devoir. Mais il n’est pas question que je l’utilise. Je vous la rends… » Je lui propose de le rembourser, mais il refuse. Le Pen en ayant probablement gardé un double, ce cliché sortira malgré tout dans la presse, quelque temps plus tard, mais sans produire sur l’opinion l’effet escompté.

Ce n’est qu’entre les deux tours de l’élection présidentielle que j’ai fini par me résigner à l’idée d’une rencontre secrète avec le leader du Front national. « Il faut que tu voies Le Pen », ne cessait de me répéter Charles Pasqua, convaincu que mon attitude était politiquement suicidaire. Mais mieux valait perdre une élection, selon moi, que de vendre son âme. Quelles qu’en soient les conséquences, je me refusais à transiger sur les valeurs auxquelles j’étais le plus attaché. À quoi bon discuter avec un homme à qui je n’avais, en fait, rien à dire, tant je détestais tout ce qu’il représentait ?

Au vu des résultats du premier tour, plutôt décevants, il faut bien le reconnaître — j’ai obtenu un peu moins de 20 % des suffrages, talonné par Raymond Barre avec 16,6 % et largement distancé par François Mitterrand qui a rassemblé plus de 34 % des voix —, la pression de Pasqua se fait plus forte pour que je pactise avec Le Pen, dont le score, 14,4 %, est loin d’être négligeable. « Il faut que tu le rencontres, insiste-t-il, tu ne peux plus l’ignorer totalement… » Il n’est plus le seul à me tenir ce langage. Beaucoup, autour de moi, sont désormais du même avis. Le plus inattendu est Édouard Balladur, lequel vient m’expliquer à son tour, en y mettant les formes avec sa subtilité coutumière, qu’il est devenu indispensable de s’entendre, d’une manière ou d’une autre, avec le Front national.

Je persiste à exclure toute éventualité de ce genre, mais consens malgré tout à me rendre au rendez-vous que Charles Pasqua se propose d’organiser discrètement avec Le Pen, dans un appartement de l’avenue Foch appartenant à un de ses amis. Pasqua m’y accueille, avant de me laisser seul, en tête à tête, avec Le Pen. L’entretien est très bref, quelques minutes à peine. Le temps de confirmer à Le Pen que je n’entends faire aucune concession aux idées du Front national, ni sceller la moindre alliance avec lui. Constatant qu’aucun accord n’est possible entre nous, Le Pen me répond qu’il n’a aucune raison, dans ces conditions, de lancer un appel en ma faveur.

Je n’en suis pas surpris et me sens soulagé, d’une certaine manière. Le pire eût été qu’il se mette en tête, malgré tout, de m’apporter son soutien. En lui signifiant une fin de non-recevoir, je suis au moins parvenu à l’en dissuader. Le 1er mai 1988, le leader du Front national demandera tout au plus à ses électeurs de n’apporter aucune voix à François Mitterrand, les laissant libres de choisir entre le vote blanc et celui qu’il qualifie de « candidat résiduel ». Un moindre mal…

Raymond Barre s’est rallié à ma candidature dès le 24 avril, au soir du premier tour. J’avais prévu de faire de même, au cas où il m’aurait devancé. Un solide report des voix centristes m’est nécessaire pour espérer l’emporter. En se présentant d’entrée de jeu comme un président d’ouverture et de rassemblement, François Mitterrand s’est positionné de telle manière qu’il réussira sans peine à capter une frange importante de cet électorat. J’en suis d’autant plus conscient que je ne parviens pas, dans le même temps, à m’affranchir de mon image un peu rebutante de chef de parti, d’homme d’ordre et de conservateur. « Facho-Chirac », comme certains se sont plu jadis à me surnommer, n’a pas encore disparu de tous les esprits. On ne se débarrasse pas facilement de ce genre d’étiquette.

L’affaire calédonienne, survenue en pleine campagne présidentielle, n’arrange rien à cet égard. Se fondant sur le constat irréfutable qu’une majorité d’habitants de ce territoire est favorable à son maintien au sein de la République — 98 % se sont prononcés en ce sens le 13 septembre 1987, lors du référendum sur l’autonomie de la Nouvelle-Calédonie, boycotté par les indépendantistes —, mon gouvernement a fait adopter un nouveau statut révisant celui élaboré par nos prédécesseurs sous l’angle d’une « indépendance-association » et devenu, de fait, illégitime.

Le ministre en charge du dossier, Bernard Pons, s’est efforcé depuis lors de maîtriser une situation restée explosive, après les premiers incidents intervenus en 1984 entre les militants indépendantistes du FLNKS de Jean-Marie Tjibaou et les membres du RPCR, l’antenne locale du RPR, de Jacques Lafleur.

Après plusieurs affrontements meurtriers entre activistes des deux bords, la tragédie qu’on redoutait se produit sur la petite île d’Ouvéa, le vendredi 22 avril, avant-veille du premier tour de l’élection présidentielle. Le poste de gendarmerie est pris d’assaut par un commando canaque : quatre gendarmes sont tués, vingt-trois autres pris en otages et conduits dans une grotte voisine. Je décide aussitôt que tout doit être mis en œuvre pour les libérer, au besoin par la force. Le chef de l’État souhaite dans un premier temps qu’on s’efforce de régler les choses par la négociation. Celle-ci se révélant sans issue, il finit par donner son accord, le 3 mai, à cinq jours du second tour, pour que les forces armées passent à l’action. L’opération, dans un premier temps déconseillée par les militaires, qui l’ont ensuite jugée réalisable, se solde par une tuerie épouvantable : deux soldats et dix-neuf Canaques y laissent la vie. On ne tarde pas à me soupçonner d’avoir utilisé la manière forte à des fins électorales. Soupçon misérable, que je ne prends pas la peine de réfuter, tant il va de soi qu’un tel drame résulte d’un engrenage devenu incontrôlable et d’une décision dont, en tout état de cause, je ne suis pas seul responsable…

Ce massacre, que personne ne pouvait souhaiter, éclipsera quelque peu une nouvelle dont tout le monde ne pouvait que se réjouir : la libération des derniers otages du Liban, Marcel Carton, Marcel Fontaine et Jean-Paul Kauffmann, obtenue la veille et, à travers elle, la fin désormais possible du contentieux avec l’Iran. Avant de quitter mes fonctions de Premier ministre, le 10 mai 1988, je serai en mesure de remettre à François Mitterrand et à mon successeur, Michel Rocard, le calendrier fixé avec Téhéran pour le rétablissement des relations diplomatiques avec la France.

Ironie du sort, c’est à propos du dossier iranien que s’est joué, à mon détriment, lors du débat télévisé qui m’a opposé à François Mitterrand, le 28 avril, le moment décisif de la campagne du second tour. Je n’attendais rien de bon de ce face-à-face, n’ayant jamais été très à mon aise, comme on sait, à la télévision. Est-ce chez moi une forme de timidité ou de stress que je ne parviens pas à dominer ? Toujours est-il que je n’ai jamais réussi à être tout à fait naturel ni vraiment sympathique dans ce genre d’exercice… Mais ce qui a joué contre moi, ce soir-là, durant la fameuse séquence concernant l’affaire Gordji, ce n’est pas, de ma part, un quelconque embarras — je me sentais, au contraire, plutôt sûr de moi à ce moment-là —, mais le fait que les téléspectateurs n’aient pu constater celui de mon adversaire.

François Mitterrand avait obtenu, en effet, qu’il n’y ait aucun « plan de coupe » permettant de voir les réactions de l’autre candidat. Quand je lui ai demandé s’il pouvait réfuter ma « version des choses en me regardant dans les yeux » et qu’il a déclaré, en apparaissant seul à l’écran pour me répondre : « dans les yeux, je la conteste », je fus le seul à pouvoir observer que François Mitterrand n’en faisait rien, détournant plutôt son regard au lieu de le fixer dans le mien, comme je le lui demandais. C’est ainsi que notre confrontation s’est trouvée amputée d’un instant de vérité qui aurait pu être décisif en ma faveur. Mais c’est l’inverse qui s’est produit…

Le 8 mai 1988, François Mitterrand sera réélu président de la République avec un peu plus de 54 % des suffrages exprimés. Mon échec, le deuxième après celui de 1981, paraît cette fois sans appel. Je n’ai jamais pensé, cependant, ni à ce moment-là, ni plus tard, qu’il pouvait être définitif.