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II. LES DOUZE VILLES DE ÇATAL HÜYÜK

La première date de neuf mille ans. – Robes, bijoux et miroirs. – Les fresques et le symbole de la main. – Encore une fois : où est l'écriture ? – Les sanctuaires de la Déesse-Mère. – Ces fourchettes qui viennent de si loin nous piquer l'esprit. – Les techniciens de l'obsidienne et le mythe de Prométhée. – Traces évidentes d'agriculture. – Questions sur l'Arche. – Les descendants de qui ?

Nous avons évoqué dans ce livre bien des merveilles conjecturales. S'il est meilleur encore de s'émerveiller sans conjectures, voici une civilisation qui fait rêver et dont l'existence est aujourd'hui avérée. Quatre de ses centres sont désormais identifiés. Le plus célèbre de ceux-ci se nomme Çatal hüyük. On en doit l'exhumation à James Mellaart.

La découverte fortuite d'un objet en obsidienne, au Sud de la Turquie, intrigua Mellaart. Il pensa que sa trouvaille provenait peut-être d'un atelier insoupçonné, aux abords d'un des volcans de l'Anatolie centrale. La perspective de déterminer l'origine de tant d'armes, d'outils, d'ustensiles de la même matière, exhumés dans de nombreux pays où il n'existait manifestement pas d'obsidienne, ne pouvait manquer de séduire un archéologue. La localisation d'un tel centre prouverait qu'il s'opérait déjà des échanges entre l'Asie antérieure, la Mésopotamie, le plateau iranien et probablement diverses contrées occidentales dès le néolithique. Le jeune savant inventoria donc la région de Konya. À cinquante kilomètres de la ville, à quatre-vingts du volcan Hassan Dagh, deux « tells » ou tépés se dressaient dans la plaine. Les résultats dépassèrent de loin les espérances de Mellaart.

Il découvrit douze villes superposées et dont la plus ancienne remontait à sept mille ans avant J.-C., donc à neuf mille ans. Sauf la dernière en date, ces villes avaient sans doute été successivement détruites par le feu et rebâties. Sans même faire appel au symbolisme, il vient naturellement à l'esprit que cette superposition de villes présente une analogie avec notre civilisation, laquelle pourrait bien être également bâtie sur un amoncellement de civilisations disparues.

Mais ce qui trouble le plus, ici, d'emblée, c'est le degré de culture et de raffinement que présupposent les trouvailles faites dans ces douze cités.

Chaque ville se composait de maisons en brique démunies de portes. On accédait à l'intérieur par le toit en terrasse à l'aide d'échelles. L'ensemble des logements d'un quartier était disposé en nid d'abeilles et constituait une forteresse protégeant des assaillants éventuels et des crues de la rivière Carsamba. Les édifices s'étaient presque tous effondrés, mais on parvint à reconstituer des fragments de murs. On découvrit qu'ils étaient intérieurement revêtus de fresques. Cependant, les restaurateurs se heurtèrent à un écueil. Une fois livrées à la clarté solaire, les couleurs s'altérèrent. Sans doute étaient-elles à base de pigments minéraux qui se détériorent sous l'action de la lumière. On photographia rapidement les fresques pour en préserver le souvenir intact. (Par la suite, on procéda à divers essais d'englobement pour préserver les teintes. L'acétate de polyvinyle donna satisfaction.)

Ces fresques représentaient des scènes variées : chasses, jeux, cérémonies ou des personnages dans différentes attitudes. La facture était d'un tel réalisme qu'on peut lire les traits dominants des caractères : l'activité débordante qu'une grande souplesse favorisait, l'intelligence astucieuse confinant à la ruse. On reconstitua les modes vestimentaires. Les hommes portaient des chemises de laine, des tuniques et des manteaux d'hiver en peau de léopard, munis de ceintures à boucles en os. Dans l'ourlet des robes féminines, des cercles de cuivre, analogues à ceux de laiton qui conféraient leur rigidité aux crinolines de nos aïeules, empêchaient les jupes de se soulever. Le décolleté, assez audacieux, ne s'apparentait toutefois pas à celui de la Crétoise qui servit de modèle à la statuette baptisée la « Parisienne ». Des bijoux de plomb, métal rarissime à l'époque, ou de cuivre serti de pierres dures taillées ou de pierres précieuses, complétaient les atours. Les nécessaires qui renfermaient des produits de teintes différentes laissent à penser que l'usage du fard n'était pas inconnu et les élégantes, pour vérifier leur maquillage, disposaient de miroirs d'obsidienne dont la monture s'enrobait de plâtre pour éviter qu'elles ne se blessent…

Des animaux figuraient aussi sur ces fresques : oiseaux (plus particulièrement des vautours), léopards et taureaux. Les taureaux l'emportent en nombre. Les symboles abondent dans ces peintures murales : de curieux réseaux de lignes rouges et noires qui se croisent ; puis des rosettes, des mandales, des haches à double tranchant (que l'on retrouve plusieurs millénaires plus tard chez les Scythes, en Thrace, en Crète également), des croix assez nombreuses.

Mais le symbole le plus saisissant et le plus fréquemment représenté à Çatal hüyük est la main humaine. On ne peut manquer d'établir un lien avec celles que peignaient déjà les Aurignaciens plusieurs dizaines de millénaires auparavant sur les parois de leurs cavernes, par exemple à Gargas dans les Hautes-Pyrénées, à Cabrerets dans le Lot, à Castillo près de Santander. Ils utilisaient toutefois un procédé différent car ils appliquaient la peinture au pochoir, entre les mains qui, sans doute posées à plat, apparaissaient en négatif. À Çatal hüyük, elles aussi étaient coloriées. Certes, on ne peut que supputer l'importance qu'on leur accordait exactement. Se pourrait-il qu'à peine sorti de la période glaciaire, l'homme soit déjà accordé à cette partie de son corps dans laquelle, selon les Chiromanciens de tant de contrées de la Mésopotamie à la Chine, se dessinent les traits de son caractère et les événements essentiels de sa vie ? Ou faut-il voir dans les séries de mains qui se jouxtent à Çatal hüyük des indications numéraires, chaque doigt représentant une unité ? Mais quand celles-ci se pressent contre des seins, le symbole devient plus clair dans le sens d'une invocation procréatrice…

Si l'on considère d'une part tous ces symboles, et d'autre part les cachets d'argile cuite retrouvés en très grand nombre, l'absence d'écriture sous quelque forme que ce soit surprend. Des cachets de la dimension d'un timbre-poste existaient dans chaque maison. Ils servaient à marquer des objets de céramique et ils différaient tous les uns des autres, ce qui incite à croire à une propriété privée régie strictement et aussi à une structure sociale basée sur la famille. On pourrait les rapprocher des blasons de notre ère ; mais ils étaient l'apanage des nobles, alors qu'ils sont ici présents dans tous les foyers. On imagine que ces cachets servaient à signer des messages écrits sur des matériaux périssables. Mais comment supposer que nulle trace de ces matériaux n'a subsisté, même très altérée, même sous forme de poussière ? Comment aussi expliquer qu'aucune inscription ne figure sur les fresques mises au jour jusqu'à présent ? Cependant, des accomplissements en tant de domaines ne permettent pas d'admettre que les hommes de Çatal hüyük n'ont possédé aucune forme de graphisme ou de préservation de la parole. Peut-être ne savons-nous pas identifier cette écriture, ou des enregistrements subtils ? Peut-être sommes-nous en présence d'héritiers de l'écriture perdue des origines ? Peut-être l'écriture fut-elle intentionnellement secrète ou interdite ? On peut aussi se demander s'ils n'utilisaient pas une encre cryptographique exclusivement sensible à un révélateur connu des maîtres initiés.

On a retrouvé, dans quarante sanctuaires exhumés, de nombreuses sculptures et divers objets cultuels. Ces éléments permettent de reconstituer, partiellement, la religion des premiers citadins du monde (jusqu'à preuve du contraire).

Les sanctuaires semblent avoir été tous dédiés à la Déesse-Mère. La présence de cette Déesse suggère qu'il existe un lien entre tous les cultes à l'aube de l'humanité. Ne figure-t-elle pas parmi les statuettes de l'ère solutréenne, découvertes à Vilendorf en Autriche, à Brassempouy dans les Landes comme dans la grotte de Grimaldi à Menton ? Ne la retrouve-t-on pas chez le Tchouktchi esquimau ? Là, tantôt elle s'appelle la Mère du Mort, tantôt elle porte d'autres noms selon ses attributions multiples mais dont l'essentielle est la fécondité. En Sibérie également le Chaman ne s'adresse-t-il pas à la Maîtresse de la Terre qui le renvoie à la Mère de l'Univers pour obtenir l'autorisation de prendre au lasso les animaux qui assurent sa subsistance ? Des statuettes représentant la Déesse rudimentairement n'ont-elles pas été exhumées à Jarmo, vieilles de près de neuf mille ans ? À Eshmun en Mésopotamie, comme à Baalbek ne l'adorait-on pas ? En Égypte, elle s'identifie à Maat. En Chaldée, elle existe tantôt mince comme une sylphide, tantôt callipyge. Et n'est-ce pas elle que représentent les mères allaitant leurs enfants dans les figurines en terre cuite de Tell Obeid ? On a cru la reconnaître à Mohenjo-Daro, dans la vallée de l'Indus, et depuis l'époque védique elle occupe une place de choix dans le Panthéon indien. La Reine de l'Eau au Mexique (de l'eau, source de la vie) comme celle de la Fécondité des Minoens, d'abord stéatopyge puis élancée, tantôt nue, tantôt vêtue et parée, s'identifient à elle. Au Louristan, il y a environ cinq mille cinq cents ans, on trouve d'elle diverses représentations. Et en Anatolie quatre mille ans après la disparition de Çatal hüyük elle demeure présente. Les chaînons manquent, mais on est tenté de la retrouver dans le culte de maya, la Mère de Gautana Bouddha comme dans la vénération de Marie, mère de Jésus. Permanence de cette Déesse-Mère de l'univers ?

Dans les statues trouvées à Çatal hüyük elle est exclusivement callipyge. L'une de celles-ci la représente en train d'accoucher d'un taureau (préfiguration du culte de Mithra ?). Des peintures murales indiquent qu'elle avait le pouvoir de ressusciter les défunts. Sa couleur comme celle de la vie était le rouge. Celle de la mort : le noir.

On trouve aussi dans les fresques des motifs roses, blancs, pourpres, plus rarement bleus et, inexplicablement, jamais de vert. Sur plusieurs fresques on peut déchiffrer des scènes se rapportant à un décès et qui tendent à prouver la croyance en un monde futur. Les cadavres étaient dénudés et exposés sans doute en un lieu élevé, à la merci des vautours.

Il y a lieu de faire le rapprochement avec les Mazdéens. À l'époque Achéménide, en effet, ceux-ci enterraient encore les cadavres intégralement mais après la reconquête de l'empire par les Parthes, l'usage des tours du silence se répandit et se poursuit chez les Parsis de l'Inde.

Lorsqu'à Çatal hüyük, il ne subsistait du corps que le squelette, on enterrait celui-ci après l'avoir revêtu des habits du mort. On plaçait dans la sépulture ses armes, ses outils, s'il s'agissait d'un homme, des bijoux et divers ustensiles pour les femmes, des jouets pour les enfants.

C'est dans les tombes qu'on a découvert des fragments à peine détériorés de tissus, tous d'excellente qualité, particulièrement ceux de laine qui ont permis d'identifier trois types de tissage. Il y avait aussi des étoffes en poils de chèvre, du feutre. Ce sont jusqu'à ce jour les plus anciens textiles de notre planète. Deux circonstances ont favorisé leur préservation ; le fait qu'ils ne se trouvaient pas en contact avec la chair en décomposition, et aussi les conditions hygrométriques de l'air. Mais il se pourrait aussi que le sol ait des qualités particulières comme celui d'Ispahan. Aucune étude pédologique ne nous l'a encore révélé.

Parmi les objets usuels, laissés à la disposition des défunts, il paraît intéressant de signaler des fourchettes de bois et d'os. Cet objet ne se trouve chez aucun autre peuple de la pré-, ni de la protohistoire et l'on en ignorait l'usage en Occident avant ces derniers siècles. Avec ces fourchettes, des plats de dimensions variées, des assiettes, gobelets, pichets et coupes, en céramique très fine.

L'examen des squelettes retrouvés jusqu'ici n'a pas permis de déterminer la race dominante. On trouve divers types de Méditerranéens et aussi des Anatoliens. Mais les fouilles se poursuivent et l'on ne sait quelles surprises elles nous réservent. Les ethnologues ont pu, par contre, fixer l'âge approximativement moyen : trente-deux ans pour les hommes, trente ans pour les femmes. On peut penser que les maternités trop nombreuses, comme autrefois aux Indes, provoquaient cette légère différence. Car ceci excepté, la femme occupait certainement le premier rang dans cette société.

Un détail déjà le suggère, en dehors de l'importance qui est donnée à la femme en matière religieuse. Les tombes étaient creusées sous l'emplacement qu'avaient occupé les lits des défunts de leur vivant. Ceux des hommes étaient de simples banquettes. La maîtresse de céans, elle, avait droit à une couche très large, presque majestueuse. Un jour peut-être découvrira-t-on un lien entre les différentes civilisations éparses dans le temps et dans l'espace et qui pratiquèrent le matriarcat : prédécesseurs des Indo-Européens en diverses régions de l'Asie occidentale ou tribus indonésiennes et malaises, pour ne citer que ces quelques exemples.

On peut, sans trop risquer de se tromper, imaginer que, même hiérarchiquement inférieure aux prêtresses, seules dépositaires du rituel, une confrérie de prêtres (ou de magiciens), savants et techniciens sut tirer un parti magnifique de l'obsidienne, principale ressource de Çatal hüyük. Il y avait trois gisements d'obsidienne près du volcan maintenant éteint. Et ce matériau servait à la fabrication de presque tous les outils : faucilles, haches, grattoirs pour le nettoyage de la laine, poinçons, armes diverses, pointes de lances ou de flèches.

Or, techniquement, l'obsidienne est un verre : dur et noir. Pourquoi les savants de cette cité n'auraient-ils pas cherché à en inventer des variétés de différentes couleurs et n'auraient-ils pas créé les premiers le verre dont on pense être redevable aux Phéniciens ou aux Égyptiens ?

Et les expéditions de ces techniciens jusqu'aux abords des volcans de Hassan Dag, Karaça Dag et Mekke Dag n'auraient-elles pas donné naissance, bien avant la civilisation hellénique, à la légende de Prométhée ? Certes, rien ne vient étayer cette hypothèse. Nous n'avons même pas, pour nous y appuyer, une légende qui, née dans la région d'un fait réel, aurait été retransmise à travers les âges aux premières générations de l'ère historique. Mais les conditions géographiques en Grèce comme en Crète expliquent mal la naissance de ce mythe. Alors pourquoi ne pas en chercher la source autour des cratères jadis incandescents ?

Mais la réalité, à Çatal hüyük, fait elle-même rêver. Parmi les ustensiles, Mellaart remarqua d'emblée les mortiers qui servaient à moudre les grains. Ces grains ont laissé parfois leurs empreintes ou sont demeurés presque intacts. Et les chercheurs se rendirent bientôt à l'évidence (grâce aux études génétiques du professeur danois Hans Helbart) : les habitants de la cité néolithique ne se bornaient pas à cueillir des épis de blé sauvage à la ronde : ils en cultivaient trois variétés. Ils semaient également de l'orge, des lentilles, faisaient croître des plantes oléagineuses et médicinales, des amandiers, des pistachiers.

On sait que des savants américains ont également trouvé dans des grottes du Mazandéran sur les rives de la Caspienne des grains de blé dont le carbone 14 leur a permis de déterminer l'âge : dix mille ans environ. Un peu auparavant du reste, en 1948, Robert J. Braidwood avait, au cours de ses fouilles, à Jarmo, en Irak, exhumé des meules et des fours à cuire des galettes. Or, ces objets remontaient à 6750 avant J -C.

Mellaart estime que les hommes, tout en demeurant chasseurs, mais devenus pasteurs et agriculteurs durent comprendre la nécessité de quitter leurs habitations dispersées sur les flancs des montagnes pour se grouper dans les plaines, afin de faciliter les opérations agraires et sans doute aussi l'élevage.

Après les travaux de Maurits Van Loot à Mureybat en Syrie du Nord, on allongea l'échelle des âges en ce qui concerne les communautés agricoles : celles-là appartenaient au VIIIe millénaire avant J.-C. Mais on ne peut plus risquer au stade actuel d'établir de chronologie avec le dogmatisme des archéologues et ethnologues du passé. Chaque année, dans quelque lieu du globe, une nouvelle découverte remet en question l'antériorité d'une civilisation.

Le site syrien cessa d'apparaître la première agglomération culturale lorsque l'on mit au jour en Iran, assez récemment, des vestiges d'un village remontant à huit mille cinq cents ans avant notre ère. On en trouvera peut-être bientôt d'autres plus anciens.

La classification de Tunay Akoglou a, naturellement, pour point de départ Çatal hüyük. Après un hiatus de plusieurs millénaires, le second site est Tell Hala, mis au jour par Oppenheimer en 1911 et qui remonte à 3800-3500 ans avant J.-C. Mais ce tableau dans lequel figurent ensuite Uruk, les Hattites, les Hittites, les Hurrites, malgré sa rigueur scientifique semble très précaire.

Entre la date du dernier Çatal hüyük vers 5600 avant J.-C., et les expéditions dont parle Tashin Ozgüc et que les Sumériens firent en vue d'acheter du cuivre, que s'est-il passé dans cette contrée où se déroulèrent tant d'événements depuis les débuts de l'ère historique et que l'on a crue longtemps inorganisée même en communautés très primitives au néolithique ? Les échanges entre Sumériens et Anatoliens sont postérieurs de plus de vingt siècles à cette mystérieuse disparition de la dernière ville exhumée par Mellaart. Comment combler ce hiatus ?

À une époque plus récente, les Assyriens installèrent dans la même région un important comptoir commercial : Kanesh. C'est là que Tashin Ozgüc (actuellement directeur de la section archéologie de l'université d'Ankara) et ses collaborateurs excavèrent en 1963 quatorze mille tablettes gravées. Le déchiffrement de celles-ci n'a pas encore été entrepris. Peut-être y retrouvera-t-on des indications relatives à Çatal hüyük ?

En 1967, Tashin Ozgüc devait découvrir à Altin Tépé les vestiges d'une ville comportant une citadelle et une nécropole. Le site qui se trouve dans la région orientale de l'actuel État turc appartenait à l'Urartu qui s'édifia aux alentours de l'Ararat. Avant même que ces fouilles aient été entreprises sur l'aire de ce vaste empire qui s'effondra au VIe siècle avant J.-C. nous possédions déjà d'amples renseignements à son sujet grâce à des textes assyriens. D'abord un petit État au IIe millénaire, l'Urartu, avait atteint son apogée au VIIIe siècle avant (et non après) notre ère. À cette époque, les Lydiens le considéraient comme beaucoup plus puissant et inquiétant que l'Assyrie. Au nord, il s'étendait au-delà du Caucase, à l'ouest, il franchissait l'Euphrate. À l'est, il avait vassalisé les Indo-Européens de la région du lac Urmiah. La résidence le plus souvent citée de leurs souverains et dont jusqu'ici on ignore l'emplacement exact était Toprak Kaleh, au bord du lac de Van. Nous ne connaissons pas l'origine des habitants qui étaient toutefois des Asiatiques et non des Sémites. Nous ignorons donc quel lien existait entre eux et les citadins de Çatal hüyük. Mais on ne peut manquer d'être troublé par diverses similitudes.

Ce fut la découverte de deux tombes en 1938 et en 1956 sur la « Colline d'Or » (Altin Tépé) qui incita la Fondation historique et le département des Antiquités du gouvernement turc à entreprendre les fouilles. Elles permirent de reconstituer la vie quotidienne, les techniques, l'art, la religion du peuple. Les murs de l'enceinte et ceux de la citadelle avaient une épaisseur de plus de dix mètres et la technique employée à leur construction prouve une grande habileté. Une partie des textes déjà déchiffrés fournit des indications quant au maniement des blocs de granit de quarante tonnes que les ingénieurs soulevaient à plus de soixante mètres (deux cents pieds) de hauteur et ajustaient. Toutefois, bien que le procédé soit expliqué, il nous paraît stupéfiant qu'on ait atteint cette performance à Altin Tépé de même qu'on demeure interdit devant les dalles de Baalbek, en se demandant d'où elles proviennent et comment on a pu les transporter et les mettre en place.

On est également parvenu à déchiffrer quelques textes relatifs à la comptabilité, aux réserves. Un d'eux nous informe que l'on stockait à l'usage du roi et des nobles trois cent soixante-quinze mille litres de vin. Lorsqu'on sera parvenu à lire tous les autres, on obtiendra sans doute une profusion de données nouvelles. Mais d'ores et déjà certains objets nous en fournissent de précieuses : comme ce disque d'or dont les motifs minutieusement et artistement gravés nous permettent d'établir des singuliers rapprochements ! N'y voit-on pas un dieu vêtu d'une longue robe et monté sur un cheval ailé, ancêtre de ceux de la mythologie grecque ?

Les tombes sont une réplique en réduction des maisons, comme plus tard dans la nécropole de Nagheh-e-Roustem. Les cadavres, ici aussi, sont somptueusement vêtus avant d'être enterrés. Et dans les cercueils de pierre ou de bois, on place comme à Çatal hüyük des armes pour les hommes, des bijoux pour les femmes.

Le luxe ici excédait de beaucoup celui de la cité néolithique les meubles étaient ornés d'or et d'argent, les pieds des tables et des lits, en bronze, prenaient la forme de sabots de chevaux ou de pattes de boucs. Des têtes de taureaux décoraient des chaudrons. Pour exécuter les dessins très soignés des fresques, les artistes disposaient de règles et de compas.

Tous ces éléments fragmentaires ne permettent pas de reconstituer une chaîne solide. Trop de maillons manquent et l'éparpillement dans l'espace multiplie les hypothèses. Si l'on sait, par exemple, comment Çatal hüyük disparut, écrasé (probablement par les Scythes) au milieu du sixième millénaire avant notre ère, on ignore tout des motifs qui engendrèrent l'édification première de cette cité.

On peut difficilement admettre qu'elle représente un essai qui s'avéra un coup de maître dans le domaine urbain. Par ailleurs, le monopole de l'obsidienne ne suffit pas à expliquer cet accomplissement. Des techniques complexes comme celle qui consiste à percer dans une bille de pierre dure un trou plus fin que la plus fine aiguille ne naissent pas toutes seules. S'il s'agit d'une invention, elle présuppose une ingéniosité confondante. Mais ne s'agirait-il pas plutôt d'un héritage ? On conçoit mal que l'art de Çatal hüyük soit le prolongement normal de celui du paléolithique supérieur vers la fin du dernier âge glaciaire. Et cela vaut également pour la civilisation de prêtres techniciens découverte récemment au Caucase, dans une région certainement en contact avec la cité néolithique qui avait, nous l'avons dit, un important réseau commercial.

Première civilisation urbaine accomplie ? Née comment ? Apparition brusque ? Ou, sinon, quelle filiation ? Quel héritage ? Représentant un progrès par rapport à un passé que nous ignorons, ou le souvenir de quelque civilisation plus haute ?

À Çatal hüyük, peut-être les habitants ignoraient-ils eux-mêmes ou niaient-ils l'existence de leurs prédécesseurs, tout comme ceux d'Altin Tépé ignoraient la leur. Lorsque l'on aura déchiffré leur écriture, il se peut qu'on lise : « Des fous seuls peuvent prétendre qu'il y eut dans un lointain passé des hommes aussi avancés que nous. »