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San-AntonioRéflexions définitives sur l’au-delàMORCEAUX CHOISIS recueillis par Thierry GAUTIER

Je voudrais qu’on ait un endroit exprès pour mourir, nous autres hommes. Une espèce de vaste et sombre tanière où nous irions dégobiller notre dernier soupir. Un immense vestiaire où rendre nos casaques. On se coucherait les uns à côté ou par-dessus les autres. On se dissiperait mollement. On pleuvrait en fine poussière. On se diluerait dans le généreux néant, notre père à tous, qu’il soit en forme de Dieu ou en informe d’absence. Ce serait plus propre. Moins impudique que de crever au pied levé, n’importe où. De s’oublier à mourir, comme un clébard s’oublie à chier. De transmuter, à la vue du monde, les chefs-d’œuvre abîmés que nous sommes en excréments pestilentiels. Oui, on devrait être très sévère avec les morts fortuits. Prendre des mesures draconiennes pour endiguer ce laisser-aller effroyable. Si j’étais au gouvernement, je promulguerais une loi pour interdire aux gens de canner aussi salement qu’ils ont vécu.

Je me demande si la mort vaut vraiment le coup d’être vécue.

* * *

Souvenez-vous: ne jamais perdre de vue le côté drôle des choses tristes! Sinon, l’existence devient vite la Vallée des Sanglots. Ainsi, moi qui vous cause, lorsque j’assiste à un enterrement, je ne manque pas d’emporter le goupillon que m’a offert mon ami Lathuile, l’antiquaire. Au moment d’asperger le cercueil, quand la personne qui me précède me tend le goupillon collectif je le refuse d’un air grave et je sors le mien de ma poche. La bouille de l’intéressé, à ce moment-là, n’est pas racontable.

* * *

Les cimetières sont éclairés au néant.

* * *

La neige unifie les tombes.

* * *

Je trouve stupide de passer aux morts leurs habits du dimanche. S’habille-t-on pour aller se coucher?

* * *

Le cortège s’est égaillé (ce qui peut paraître incongru lorsqu’il s’agit de funérailles).

* * *

Si tu as un pied dans la tombe, fais-le couper.

* * *

Le croque-mort s’est pété une cheville en faisant le valdingue. On le coltine jusqu’au corbillard qui attend devant la grille du cimetière. On l’allonge à la place du passager. C’est la première fois qu’il fait du tourisme à bord de sa calèche. Jusqu’alors, il n’avait jamais eu l’occasion de se payer l’intérieur. Pour lui, c’est une promotion, en somme.

* * *

L’agaçant, c’est qu’il faut toujours et partout faire la queue: à l’entrée des cinoches comme à la sortie des cimetières!

* * *

Quand tu as des lettres de condoléances à expédier, ne tarde jamais, sinon le destinataire ne sait même plus de qui il s’agit.

* * *

C’est une espèce de brouillon de vieillard! Un projet de cadavre!

* * *

Il est trop vieux pour exister.

* * *

L’existence est une immense fabrique de vieillards.

* * *

Il est des défunts que l’on maquille outrageusement pour qu’ils fassent bonne contenance dans leur cercueil vitré, sur la place Rouge ou ailleurs; moi, j’ai jamais pigé qu’on expose des macchabées. C’est une insulte qu’on leur fait, car les grands hommes le sont par leur vie, non par leur charogne.

* * *

Côté bar, deux vieux crabes à monocle, au faciès couperosé, éclusent leur soixante-douzième scotch de la journée en échangeant des réflexions d’une voix pâteuse. On dirait qu’ils attendent, non pas quelqu’un, mais quelque chose de très important. En fait, ce qu’ils attendent, c’est leur mort, ces chers vieux désœuvrés. Ils n’ont rien d’autre à branler que de laisser couler le temps.

* * *

Il était si vieux qu’il avait l’air d’un oubli.

* * *

La vie nous presse.

La mort aussi.

Il ne faut pas longtemps pour mourir.

* * *

Je devais me préparer à recueillir son dernier soupir, encore que je n’aurais su où le mettre.

* * *

C’est toujours émouvant, l’ouverture d’un testament. Une surprenante métamorphose réussit à transformer les dernières volontés d’un vivant en premières volontés d’un défunt.

* * *

Ce qui me gêne dans la mort, c’est ce gros tas de viande qu’on laisse aux autres. Ils sont obligés de composer avec et nous de décomposer.

* * *

Un époux mort n’est plus un mari.

* * *

À la première Toussaint, les chers défunts font toujours le plein. Ensuite, le temps fait son boulot.

* * *

Il faut que les autres meurent pour qu’on s’aperçoive de sa propre vie.

* * *

Comme disait un tueur à gages: s’il aime les fleurs, il va en avoir bientôt.

* * *

Il a l’air emmerdé d’un mec qui a paumé le corbillard de sa femme dans un encombrement de la circulation.

* * *

Je préfère la mort de Félix Faure, qui a dessoudé en se faisant tétiner Popaul par une dame, à celle de Jehanne d’Arc.

* * *

Un mort, c’est un mort et quand un mort est mort, on ne peut pas cracher à la gueule de sa mémoire.

* * *

C’est fou le nombre de gus qu’étaient faits pour vivre jusqu’à cent piges et qui sont morts avant!

* * *

On met les cimetières aux confins des communes.

Chacun chez soi!

À la Saint-Ducon, n’oubliez pas de fleurir ma tombe!

* * *

Notre date de naissance et notre date de décès sont en train de joindre les deux bouts.

* * *

Les morts ont un passé, kif les vivants.

* * *

Les gens raffolent de voir leur blase gravé. Ça les mène jusqu’au cimetière, cette marotte.

* * *

Où es-tu pauvre mort qui te prétendais immortel?

* * *

Le plus beau destin que puisse connaître un héros, c’est de disparaître avant qu’on ne s’aperçoive qu’il n’était qu’un homme.

* * *

Il est arrivé qu’on fusille des morts, mais on n’en a jamais guillotiné.

* * *

La foule est un cimetière déambulatoire.

* * *

Le maréchal Ney, mort de n’avoir su choisir entre le bourbon et la fine Napoléon…

* * *

Il vint apporter l’extrême-onction au roi avec une onction extrême.

* * *

Quand les Grands clabotent, on se dit que le monde va être mutilé. Et puis non, ça se cicatrise en vitesse. On les remplace, on s’en passe.

* * *

La postérité, ça se prépare. Regardez-les, tous: les grands compositeurs, les peintres célèbres, les écrivains à petits tirages, comment ils prennent leur piédestal, tout vivants, tout crus, pour pas se louper le posthume. Du travail de longue haleine. Ils se préparent à survivre au lieu de se préparer à mourir. Faut de la santé, je dis. Être très con, très content de soi, très un tas de trucs pour s’organiser l’absence avec autant d’acharnement.

* * *

Les gens surveillent davantage leurs biens que leur vie.

* * *

Vieillir, c’est un jour de moins chaque soir.

* * *

On doit le respect aux morts, surtout à ceux qu’on fabrique soi-même.

* * *

La mort de l’assassin venge-t-elle sa victime?

* * *

Jack l’Eventreur:

— Dépecez-vous, je vous attends!

Il perpétra ses premiers meurtres avec tant de tact que seules ses victimes furent au courant de leur trépas.

* * *

La mort est notre lot de consolation.

* * *

Ah! mes amis, comme il est triste de voir s’écrouler une forteresse, brûler une œuvre d’art, périr un génie!

* * *

Sa dame s’est engagée dans le veuvage, comme d’autres à Médecins Sans Frontières.

* * *

Je ne veux pas la mort de la pécheresse quand elle est bien roulée.

* * *

Il rend à Dieu une âme dont Il n’espérait plus grand-chose.

— Vous voyez ce croque-mort? Il a le zizi plus funèbre que ses pompes.

* * *

Exister ici ou là, c’est toujours apprendre à mourir.

* * *

Tu ne peux pas lutter contre un vieil amant mort.

* * *

Je ne serai pas le premier veuf qu’aura perdu sa femme.

* * *

Tu as raison de ne pas vouloir mourir, vieillir suffit.

* * *

Fasse Dieu qu’on ne puisse visser le couvercle de ma bière sans avoir à y percer un trou!

* * *

— Ça n’a pas l’air d’aller fort, grand-père?

— Je suis vieux!

— Ça vous passera!

* * *

La mort est un autre pays.

* * *

L’existence est un entrelacs de rencontres. Des gens viennent et repartent. Le temps qu’on les estime indispensables et voilà qu’il faut s’en dispenser. Ils vous meurent devant ou bien vont se planter ailleurs, dans d’autres terres ou d’autres culs.

* * *

La seule chose qui m’ennuiera un peu dans la mort, c’est d’être absent. Le reste, je m’en fous.

* * *

Les gondoliers ont l’air de croque-morts à présent. Ce sont les fossoyeurs qui plantent Venise dans la mer et l’ensevelissent à gestes tendres, en souvenir.

* * *

Vivre, c’est arpenter un tapis roulant allant en sens inverse de ton déplacement.

* * *

On aura mis tout ce temps à cesser, sans avoir l’air d’y croire.

* * *

La vie est le choix du moindre mal.

* * *

Je suis beaucoup plus sûr de ma mort que de ma vie.

* * *

— Il est encore loin, votre cimetière natal?

* * *

À force de ne plus être tout à fait jeune, on devient vraiment vieux.

* * *

T’interviewes un pis-que-centenaire et il est foutu! T’apprends son décès dans l’année même. Faut pas déranger ceux qui se prolongent.

* * *

Ils sont sur le qui-meurt (parce que enfin, être sur le qui-vive, c’est de l’optimisme!).

* * *

Il se demande si, peut-être, il serait pas mortibus, lui, et ne ferait pas ma rencontre dans l’au-delà. Ce sont des combines qu’arrivent. Tu crois roupiller, et tu te réveilles mort en plein, entouré de beaux esprits ailés.

* * *

Comme souvent chez les subalternes, la mort faisait de lui une vedette.

* * *

Je veux, comme épitaphe sur ma tombe, tout seul, mais gros comme ça: un point d’exclamation.

* * *

Ne vous moquez pas des morts. Votre tour viendra. Que dis-je: il est déjà venu puisque vous êtes nés!

* * *

Bon Dieu, où est-ce qu’on les met, les macchabées? Dites, c’est vrai qu’ils clabotent tous sans exception, les hommes? Y a des moments, je doute. Je les vois dans les rues, dans les brasseries, au spectacle… Nombreux, bruyants, mobiles. Et je me mets à les imaginer clamsés. Je me dis que c’est pas possible qu’ils y aillent tous, dans le grand trou bordé de chrysanthèmes!

* * *

Une mère, de même qu’elle vous apprend à vivre, elle vous apprend aussi à mourir, puisqu’en même temps que la vie, elle vous donne la mort.

* * *

C’est timorant, l’existence. Au fil des jours elle te rejette et à la fin tu meurs pondu.

* * *

Mourir est une asphyxie. La vie s’arrête par manque d’air, toujours.

* * *

La vie? On sort du confort absolu, un coup de ciseaux et on commence à mourir.

* * *

Une femme ouvre les jambes et c’est de la mort qui se précipite hors d’elle…

* * *

Les femmes surmontent mieux leur veuvage que leur ménopause.

* * *

Faites pas la fine bouche, ça vous arrivera, mes petites mères! Vous pouvez toujours vous la maquiller, la vitrine, vous la faire décorer comme certaines porcelaines, le moment viendra que vous paumerez votre emballage cadeau pour trouver le grand calme ossatoire.

* * *

Tous les vieillards ont des choses intéressantes à dire, dommage qu’ils les disent avec leurs gencives.

* * *

Qu’est-ce que ça signifie, des qualités ou des défauts? Y a pas de vraiment bons, y a pas de vraiment méchants, y a que des pauvres vivants empêtrés en eux-mêmes. Ceux qui ont vécu d’avoir tué et ceux qui sont morts d’avoir trop vécu, en fin de compte, ça donne le même humus.

* * *

À côtoyer la mort, tu te raccroches à la vie.

* * *

Il ne faut jamais envisager le pire. Puisque le pire c’est la conclusion de notre vie, nous n’avons que le droit d’envisager le meilleur.

* * *

Quand les autres sont sous terre, il est plus facile de les compisser que lorsqu’ils sont à la verticale.

* * *

Il est des gens dont on oublie l’absence aussi vite que la présence.

* * *

Meurs pas, on a du monde!

* * *

Tout le monde se signa devant le corps.

* * *

Le notaire, en trois exemplaires.

* * *

Il est bien dommage qu’on ne fasse pas exécuter aux vivants une répétition de leurs obsèques, histoire de les inciter à la méditation.

* * *

Tu vas pas mourir, avec tout ce monde qui t’aime!

* * *

Il est extrêmement mort pour son âge!

* * *

Son destin part aux archives.

* * *

Du train où ça va, vous allez canner sans savoir que vous avez vécu.

* * *

J’ai envie de mourir lucide. Le dernier godet de rhum, c’est folklorique mais archi-con. Je suis persuadé que des tas de suppliciés l’ont refusé.

* * *

Il est formellement beau. On croirait son masque mortuaire.

* * *

Curieux comme le temps fait perdre à la mort son caractère effrayant. Un squelette finit par devenir un objet.

— Il n’est plus mort? espéré-je, évoquant le précédent de Lazare (dont la gare est aussi réputée que la résurrection).

* * *

Le soir ils rentrent baiser leurs femmes ou regarder la télé et ça redevient gai comme un cimetière.

* * *

L’abdication des vieillards est toujours plus ou moins feinte.

* * *

Je me risque dans la nécropiaule.

* * *

Il fait des efforts pour respirer. On sent que ça n’est pas un mariage d’amour, l’oxygène et lui. Que ça ne durera pas autant que la guerre entreprise par Edouard III d’Angleterre et Philippe VI de Valois.

* * *

Même en tombant d’une chaise, si tu te tues, t’es mort!

* * *

Je me rappelle un dessin humoristique de Roger Sam. Ça représentait un veuf qui suivait l’enterrement de sa femme en tenant à la main un transistor retransmettant France-Irlande. C’est comme ça que je la vois, la vérité. Les morts bien morts et les vivants bien vivants.

* * *

Son horoscope ressemble à son encéphalogramme: il est aussi plat que la poitrine de la reine Babiola.

* * *

Quand tu songes qu’Albert Ier s’est tué en alpinismant dans les Ardennes, montagnettes ressemblant à des taupinières, imagine ce que cela aurait donné dans les Alpes!

* * *

Il passe des heures aux cagoinces en temps normal. Et il est clamsé, la merde au fion, donc sur un triomphe! Pet à son âme!

* * *

— Votre type a fait un arrêt cardiaque.

— Grave?

— Plus maintenant: il est mort!

* * *

J’ai pleuré sur trépas.

* * *

C’est l’histoire véridique d’un vieil Italien qui voulait écouter des mélodies napolitaines en mourant: chaque fois qu’il se sentait mal, les siens s’empressaient de mettre un disque.

* * *

Un jour qu’il avait un malaise, on voulut brancher l’électrophone.

— Non, non, dit-il, inutile.

Et il mourut.

* * *

Si je parviens à éviter la soixantaine, c’est que je serai mort avant.

* * *

Il vaut mieux une violée vivante qu’une vierge morte.

— Vous savez que les veuves doivent garder leurs précédents anneaux de mariage? J’en ai connu une, son doigt, on aurait dit un ressort à boudin!

* * *

Quand je nous vois tellement fragiles, je me demande comment des mecs se démerdent pour devenir octogénaires.

* * *

Je me résigne à garder la verticale, dont nous ne profiterons jamais suffisamment, nous autres, les futurs horizontaux définitifs.

* * *

Les Hollandais sont décédés et ressemblent enfin davantage à des moulins à vent qu’à des cons!

* * *

Comme il avait sommeil, je l’ai couché sur mon testament.

* * *

— Le pétomane est mort?

— Pet à son âme!

— Je pourrai pas aller aux zobs-secs.

* * *

Je pense à l’histoire du gars qui se retrouve seul sur la Terre après un déconnage atomique. Comprenant que personne d’autre que lui n’est vivant, il se précipite du haut d’un buildinge. Et pendant sa chute, il entend une sonnerie de téléphone.

* * *

Ça me rappelle une potion que Félicie m’avait administrée «pour les vers» quand j’étais à la maternelle. Un truc nauséabond et pernicieux, infect jusqu’au bout du tolérable. Mais efficace, ça oui. Mes vers, comment qu’ils avaient déménagé en vitesse, les malheureux! Le départ définitif! Ils ont jamais plus voulu en entendre causer, de ce milieu atroce. C’était du terrain impossible, ravagé pour toujours, et je me demande même s’ils oseront se hasarder dans ma carcasse, les astèques, lorsque je serai bouclé dans mon lardeuss amidonné. J’en doute. On doit avoir une littérature parlée ou rampée, chez les asticots, pour se raconter les endroits radioactifs.

* * *

Il paraissait tellement au bout du rouleau que les croque-morts devaient le jouer à la belote.

* * *

Humus, fin de section!

* * *

Comme je l’ai lu un jour sur la tombe de M. Moïse Cohen: «Après mon décès, la vente continue rue d’Aboukir.»

* * *

— C’est vrai qu’on agrandit le cimetière?

— Que veux-tu: la vie continue.

* * *

Verdun, ça n’impressionne plus personne.

* * *

Pour tout te dire, je le croyais mort, cézigue. J’aurais parié que même les asticots consécutifs à son trépas étaient décédés.

* * *

La mère, c’est ce qui rend la mort et la vie tolérables.

* * *

Hors de son auto, il est foutu, l’homme moderne. C’est un cul-de-jatte en péril. Il se tue généralement au volant de sa bagnole, mais c’est seulement quand il est à pied qu’il a conscience d’être mortel!

* * *

Une bouche à demi ouverte: comme celles des morts qui ont vainement tenté de récupérer leur dernier soupir.

* * *

Ils se sont fringués en noir, à tout hasard. Ces gens-là ont toujours le deuil à portée de la main.

* * *

La guerre de Cent Ans aurait duré beaucoup moins longtemps si les bidasses de l’époque avaient possédé des mitrailleuses.

* * *

Elle dit, avec des trémolos dans la glotte que, s’il arrivait quelque chose à l’un des deux, elle se demande ce qu’elle deviendrait!

* * *

Un opéra, ça finit toujours par un mec qui brame pendant une plombe qu’il est clamsé.

* * *

Un héros, qu’est-ce que c’est, sinon un monsieur qui ne croit pas à sa mort?

* * *

Et elle meurt, mes amis! Comme dans du Shakespeare! Comme dans du Corneille! Comme dans la vie!

* * *

Il est de la race des guerriers de Verdun. De ceux qui escaladaient les tranchées, face à la mitraille, pour aller regarder la mort dans le blanc des yeux. À l’époque, quand on vous disait: «Donne ta vie», on ne répondait pas «Tiens, fume!» mais «Tiens, prends!».

* * *

Tu vois: de Gaulle…

Il aura passé sa vie à être immortel.

Et puis il est mort.

* * *

Mes derniers mots? Mort Bach!

* * *

On aime colporter les malheurs. Dès que tu apprends une mort, tu sautes sur ton bigophe pour l’annoncer à tes connaissances. Charognards, nous sommes. Dépeceurs. Oiseaux de mauvais augure. Taxidermistes!

* * *

L’anthropophagie, c’est le point culminant de la haine. Quand on déteste trop quelqu’un, au point qu’aucun supplice terrestre n’est plus apte à étancher cette haine, le manger doit constituer l’ultime recours.

* * *

— Oh! mon Dieu, vous n’êtes pas mort! s’écrie-t-elle.

— Je ne pense pas, dis-je, ou alors, si je fais semblant de vivre, reconnaissez que c’est bien imité?

* * *

Beaucoup de gens sont plus utiles à leur pays morts que vivants.

* * *

Il pense à son salut, pas forcément à l’éternel, mais à l’autre, à l’immédiat, le plus urgent en somme!

* * *

Un vrai Lyonnais commence toujours la lecture de son journal par la rubrique nécrologique.

* * *

Les amis vantent les mérites du mort, de la maison à l’église; de l’église au cimetière, ils parlent de ses défauts, et du cimetière au bistrot, de ses vices inavouables.

* * *

— On lui a tranché la carotide avec son rasoir à manche.

— S’il s’était rasé à l’électricité, ça ne lui serait pas arrivé.

* * *

Ils discutent avec des voix de naufragés jouant à pile ou face lequel bouffera l’autre.

* * *

Il y a beaucoup de gens dont la mort me surprend parce que je les croyais décédés depuis longtemps.

* * *

Il vaut mieux être sans femme que sans vie.

* * *

Si l’espoir n’existait pas, on se croiserait les bras et on attendrait la mort.

* * *

Elle s’imagine déjà veuve, non sans une certaine complaisance.

* * *

Visez-les, accroupis sur leurs belles bedaines, couvant leur mort tendrement.

* * *

Se dévêtir jusqu’au squelette, n’est-ce pas du grand art?

* * *

Je suis inexistant à force de faiblesse.

* * *

Accroché au bastingage, il s’apprête à rendre son âme à Dieu, seulement auparavant, il restitue des tas d’autres trucs moins nobles et plus consistants.

* * *

Tous les morts, quand ils ne se trouvent pas dans leur lit, sont des duc de Guise encombrants.

* * *

Il est mort d’une morsure de serpent-minute. En une heure! Ce qui prouve que le serpent-minute, tout comme la cocotte du même nom, ne mérite pas son appellation.

* * *

Même à un mort, l’uniforme donne une contenance.

* * *

Le temps passe, l’homme trépasse, comme répétait ma grand-mère. À force de passer et trépasser, on finira par en mourir!

* * *

Ils sont variés, les cercueils. T’as du frêle sapin qui doit se déglinguer facile dans l’humidité des tombes, du chêne déjà plus costaud, du noyer, de l’acajou renforcé. Des bières carrément ouvragées, manière de faire chier les voisins à la levée du corps.

* * *

Tu ne peux pas à la fois mourir et avoir tes aises, ce serait trop beau.

* * *

On souscrit une assurance-vie parce qu’elle ne s’appelle pas assurance-mort.

* * *

On n’a pas intérêt à être vieux.

* * *

Nous autres, notre finalité, c’est l’asticot. On se déconstitue patiemment dans nos tombes. On opère le dur strip-tease: la peau, la viande, et vous les os devenez cendre et poudre! Brûlé, c’est sans doute plus hygiénique, mais impertinent. T’as pas le respect de tes parents qui t’ont conçu, mijoté, fabriqué presque comme on tisse une tapisserie. T’anéantis d’un coup de monstre chalumeau ce cadeau infini!

* * *

Il a beaucoup bu pour oublier. Et il a oublié! Ainsi, deux bouteilles de picrate peuvent avoir raison du chagrin! Souviens-toi bien de ça, l’artiste, tu en auras besoin un jour.

* * *

Ce qui console de la mort des amis, c’est qu’ils laissent des veuves.

* * *

Comme disait Jeanne d’Arc en grimpant au bûcher: «L’essentiel, c’est d’être cru.»

* * *

Ils nous font entrer dans leur salon de retraités, là qu’ils se préparent doucettement à mourir en regardant la téloche et en comptant des gouttes de digitaline Nativelle.

* * *

La terre du Père-Lachaise, ça n’est plus que de la poudre d’os sous du marbre!

* * *

On a souvent vu des vivants faire semblant d’être morts. Mais jamais des morts faire semblant d’être vivants.

— C’est bien la fatalité qu’il se soit noyé, murmure-t-il, j’aurais tant voulu le buter!

* * *

Henri II se prend de la ferraille dans le cigare.

Henri III en déguste dans le baquet.

Henri IV dans l’horloge.

Sans causer de l’Henri de Guise qui a eu droit lui aussi à son infusion d’acier trempé!

* * *

Il ne faisait pas bon porter ce prénom dans la famille royale.

* * *

Si tous les cornards tuaient leurs rombières, la France serait moins peuplée que l’Albanie.

* * *

Devant le cadavre de leur chef, ils paraissent quelque peu intimidés, comme s’ils le surprenaient en train de déféquer ou de se taper un rassis.

* * *

Y a plein de gens qui disent «à demain» et qui ne voient pas le jour se lever.

* * *

La fuite est une fatigue. Le renoncement, un flirt avec la mort.

* * *

Nos odeurs vieillissent avec nous, un peu plus vite que nous, même.

* * *

La favorite du sultan périt d’une angine soignée d’un coup de sabre.

* * *

Vieillard qui dort est près de la mort.

* * *

Un sourire moribondesque me découvrit son dentier.

* * *

Buter quelqu’un pour trois francs ou pour trois milliards, c’est du kif!

* * *

Fixez un instant n’importe quel individu et vous verrez se dégager son cadavre de lui, comme on aperçoit le fond d’un ruisseau lorsque le soleil tombe d’aplomb dessus.

* * *

La vieille devait être beaucoup plus grande quand elle était petite.

* * *

Elle ne s’est mariée que pour devenir veuve un jour. C’est une espèce de vocation chez certaines: elles sont usufruiteuses dans l’âme.

* * *

Le gastronome se meurt.

Qu’il parte en pets.

* * *

Un S. D. F. roupille sous un porche voisin. Lit de carton, couvrante de guenilles. Deux boîtes de conserve en guise de cuisine. Une poussette déglinguée, trouvée aux ordures, lui tient lieu de camping-car. Un kil de rouge pour le bonheur. Où chie-t-il? Où baise-t-il? Que dis-tu? Tu t’en fous? Eh ben t’as raison: moi aussi. Enfin presque. S’il fallait m’occuper de tous ceux qui crèvent, j’aurais plus le temps d’aller acheter mon caviar!

* * *

Pour les funérailles du nain Little Think, on a observé trente secondes de silence.

* * *

Un mort et un cocu ont en commun l’ignorance de leur état.

* * *

— Dis, comment ils s’y prennent pour hiberner, les animaux tels que l’ours, le serpent ou la marmotte? Moi, je ne pourrais pas. J’accepte de cesser, pas de m’interrompre.

* * *

Toutes les têtes sont en os, la viande n’est qu’un fard léger.

* * *

Dans le fond, le veuvage ça repose.

* * *

L’odeur, c’est la vie. Ne puer qu’une fois mort est un manque de personnalité.

* * *

— Ça ne va plus? murmurai-je avec cette gaucherie qu’on a avec les cocus et les moribonds.

* * *

Vous ne pouvez savoir à quel point un zig en train de mourir est hostile à toute forme de conversation. Il devient d’un égoïsme qui frise l’impolitesse.

* * *

Les grands désespoirs, je vais te dire: tu te suicides, ou bien tu bouffes! La tortore a réconforté davantage d’amants trahis que la ciguë n’en a tués. Meurs ou mange! Là est l’unique question!

* * *

L’homme meurt de trop d’assurance.

* * *

Il fut un temps où j’ignorais que les gens âgés sont vieux d’avoir vieilli; je les croyais vieux de naissance.

* * *

Le malheur rapproche les individus plus fortement que le bonheur qui, lui, s’oublie au détour du bidet.

* * *

Il se mit à claquer des dents tel un squelette sortant l’hiver sans son cercueil.

* * *

Puisque notre destin commun est de finir dans un trou, fasse le ciel qu’il ait du poil autour!

* * *

Roland: il a soufflé si fort dans sa trompe que les veines de son cou se sont rompues et qu’il est mort! C’était peut-être un bon sabreur, mais pas un bon trompettiste.

* * *

Il est des gens dont on dit que «l’âge leur va bien». C’est l’usure qui les répare, en somme.

* * *

Il existe dans toute femme mariée une veuve qui sommeille.

* * *

Exalter la mémoire d’un disparu stimule la sienne.

* * *

L’homme a peur de la mort parce qu’elle ne lui est pas familière.

* * *

Il vaut mieux être honteux de vivre que fier de mourir.

* * *

Moi, vieillir, j’envisage pas trop. Au-delà d’une certaine limite, je sais que je ne pourrais plus me tolérer.

* * *

Étant de nature suicidaire, je m’exécute.

* * *

Tu meurs cent fois à trop durer!

* * *

Le veuvage va bien lui aller. Pour peu qu’elle mette des bas noirs, je suis partant pour régler la succession de son mari!

* * *

La mort est un cauchemar qui bascule dans la réalité. Au lieu de te réveiller, au plus fort de l’angoisse, tu t’anéantis.

* * *

Seul le suicidaire est capable du dédain suprême.

* * *

Rien n’est plus déprimant que les yeux d’un mort. C’est l’au-delà qui vous examine.

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Le suicide est le recours des aventuriers qui n’aventurent plus; leur dernière expédition.

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Je m’exécute, comme disait le bourreau qui en avait marre d’être au chômage.

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Il y a toujours un moment où l’homme le plus dynamique éprouve confusément le besoin d’en finir: c’est quand il a sommeil.

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Combien sont morts d’avoir voulu impressionner leur entourage! Ils faisaient un peu de cinoche et l’ont eu dans le cul. Amen!

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Les vieux ne se suicident pas, c’est plus de leur âge!

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Seuls les cons peuvent exister sincèrement, les autres font semblant ou bien se butent.

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L’euthanasie, ça aide à vivre.

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Y en a, en ce moment, qui me lisent et qui se savent condamnés. Ceux-là, je leur crie «Tenez bon, les gars!» Les instants qui vous restent à vivre, et qui, vus par les verticaux, paraissent aussi ragoûtants qu’un conduit à merde obstrué, ces instants-là, mes braves bougres, vont sans doute être les plus baths de votre vie.

* * *

Mourir des suites d’une longue maladie!

* * *

Comme si on mourait des suites d’une maladie et non pas de son terme!

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Les personnes âgées demandent du rabe de vie! Elles veulent pas clamser, pas «comme ça», pas si jeunes. Elles ont besoin de se préparer! Guérir leurs maladies avant de mourir.

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Notre handicap, nous autres, ce sont ces milliers de tuyaux dont nous sommes tributaires; le moindre d’entre eux se bouche et tu crèves, gros malin qui attends la Légion d’honneur!

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Ah! Ne plus être à force de bien être!

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T’es happé par le «milieu hospitalier». Te sens partir en couille. Ton passé n’était qu’un préambule. Ta vraie vie, c’est cette période liquidatoire. L’embarquement pour cimetière. Tu te gaffes que tu sortiras de là les pinceaux en flèche, les paupières baissées, la braguette parfaitement boutonnée. Si t’as eu un petit lâcher de vessie pendant qu’on te saboulait, tant pis; comme ça, t’auras les burnes au frais en attendant que le petit Jésus te reçoive!

* * *

Le toubib eut une grimace qui en disait long sur l’état du malade. Moi, le jour où un médecin fera ça au-dessus de ma carcasse, je pigerai que le moment de me laver les pinceaux pour comparaître devant mon Créateur est arrivé.

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Quatre plombes du mat’, c’est l’heure des angoisses pour qui ne dort pas. L’heure où l’on meurt dans les hôpitaux et où les fêtards commencent à réaliser l’étendue de leur gueule de bois.

* * *

Survivre est provisoire, je sais bien, mais je crois que notre mission est de nous prolonger au maxi. L’euthanasie! Tiens, fume! Je suis pour l’opération sans espoir, pour la piquouze qui fait durer l’agonisant.

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Ma santé ne décline pas: elle s’incline.

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La Mort marche devant moi, à reculons comme un cameraman devant des comédiens.

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Foutez mes viscères dans un canope et mes testicules dans du formol, embaumez le reste de mes restes et vous occupez pas de mon âme. Surtout pas. Never! J’en fais mon affaire! L’expulserai avec mon dernier soupir ou mon ultime pet. L’ira vadrouiller dans les zéphirs, ma belle âme. Elle butinera le vent du large et caressera les pollens. La prenez pas en charge, surtout. Faut qu’elle circule à sa guise, avec ou sans moi. On ne peut rien pour elle, elle a l’habitude d’être orpheline!

* * *

Je me sens happé par un formidable mystère que la mort, je le devine, n’élucidera pas.

* * *

Je ne fais que passer sur cette planète! J’arrive du néant, et j’y retourne. Je refuse de laisser des scories.

* * *

L’amour et la mort marchent, la main dans la main, le long de mon destin.

* * *

Quand j’arriverai au grand vestiaire, ne me restera plus grand-chose en mémoire: quelques regards d’hommes, quelques sourires d’enfants, quelques culs de femmes. L’essentiel, en somme.

* * *

Un jour je deviendrai maigre et poli, parce que mort et silencieux.

* * *

Mes écrits ne sont que le squelette bossu de mes pensées.

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Je crèverai sur le monceau de fœtus de mes belles intentions.

* * *

J’ai bien davantage peur de la vie que de la mort.

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Elle et moi, c’est pour toujours, c’est-à-dire jusqu’à la mort de l’un de nous.

* * *

Ceux qui ne me lisent pas sur ordonnance, je leur fais la bise. Je leur promets qu’on ne se quittera plus. On vieillira ensemble, on s’étiolera de conserve, on craquellera en chœur. On fera de l’humus en couronne! On deviendra engrais azoté la main dans la main.

* * *

Je n’ai plus le temps de ne pas dire ce que je pense!

* * *

Si j’ai assez d’énergie, au moment de clamser, j’adopterai la position fœtale: la plus confortable qui soit accordée à l’homme. Partir comme on est venu, ce serait élégant, non? Même si t’as fait pipi dans ton linceul en embarquant.

* * *

J’aime les noix, étant natif de leur pays, mais pas les planches fournies par leur arbre. Son bois a tout de suite un aspect petit-bourgeois. Même en cercueil, je déteste. Je suis chêne, moi. Voire arole, avec tous ses nœuds! Je dédaignerais pas un pardingue taillé dans ce pin à chair rose. Et puis le nœud est mon emblème, non?

* * *

Le jour meurt; moi aussi peut-être? Seulement lui sera de retour demain car il est branché sur l’éternité.

* * *

Un jour, ils viendront en pèlerinage sur ma tombe, par cars entiers, on leur fera des forfaits. Visite du mausolée de Santantonio! Ils auront droit de toucher ma pierre, je leur guérirai les écrouelles, la chiasse verte, le psoriasis. Je ferai sous-Lourdes, en somme. Je sais que le Bon Dieu est d’accord, me l’a fait savoir cette nuit.

* * *

Tu fus un homme, San-Antonio, que cette notion t’aide à finir. Puisque l’avenir se dérobe, plonge ta tête dans ton passé, comme l’autruche dans ses plumes.

* * *

Mon passé est plein de gens que j’ai aimés à en mourir et qui sont morts sans que j’en meure.

* * *

Rien n’est indiscret à qui va mourir.

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Je ne suis, pareil à tous mes frères humains, qu’une anomalie cosmique; rien qu’un truc en vie lancé dans l’infini, venu de rien et qui y retourne.

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J’aimerais prendre congé de l’étoile polaire que mémé m’a fait découvrir autrefois, par une nuit d’été suave où les grillons et les rainettes s’en donnaient à cœur joie.

* * *

Moi, la littérature, je la licebroque. Le jour que ça ne me dégoulinera plus, je serai soit dans mon lardeuss de sapin (j’ai des goûts simples), soit dans une petite charrette, donc inapte ou inepte à tout jamais. Détritus à balancer aux orties après usage. Kif les rasoirs Gillette. Sauf que moi, j’aurai rasé le monde de moins près!

* * *

Je sais que je mourrai des suites d’une longue convalescence.

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Si j’avais su qu’il était si facile de mourir, je ne serais pas né.

* * *

Mon passé me vieillit.

* * *

Je ne laisserai pour héritage que mes dépenses.

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Je me sentais délivré de moi-même, un peu comme si une mort bienveillante s’avançait vers moi d’une allure glissante.

* * *

La seule chose qui m’ennuie dans la mort, c’est d’être absent.

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Et quand je me sentirai mourir, je te dirai que tu me manques déjà.

* * *

Tu veux que je te fasse une confession? Je ne lis plus les journaux, n’écoute pas la radio, ne regarde point la téloche! Seule la terre m’importe. Avant d’aller y jouer la taupe hibernante, j’en admire le dessus féerique: l’eau et les plantes, une belle chatte et la prière! Pour le reste, s’adresser au concierge!

* * *

Je suis un vieux fœtus blasé. Ma vie m’aura servi de leçon. Je ne recommencerai jamais plus.

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Personnellement, j’aspire à une mort consciente, voire acceptée. Déposer mon bilan en pleine dorme me donnerait le sentiment d’être floué.

* * *

Je crois qu’on n’avait plus rien à se dire. Tout ce qui me restait, que j’avais pas pu, je suis allé le lui pleurer contre le mur de l’église où l’on avait porté son pauvre petit corps la veille de l’enterrement. Je l’ai dit pendant la nuit aux pierres grises qui s’en souviennent encore peut-être…

* * *

Papa, lui, quand il s’est fait niquer par la grande faucheuse, il a juste eu une petite exclamation entendue, le côté: «Voilà, j’arrive!»

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Et puis il a eu l’air de se foutre de tout et on a compris qu’il venait de cesser.

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Quand on a son blase sur une plaque de rue, on l’a aussi sur une pierre tombale et ça fait moins gai.

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La mort, c’est simple et il faut pas faire de cinoche autour. Quand ma mère est morte, je ne me suis pas mis en deuil. C’est au cœur que j’avais un crêpe. Les fringues sont trop hypocrites!

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Dans les pires instants, suffit d’une pin-up pour que je m’envole. Je me rappelle des enterrements familiaux qui m’éprouvaient beaucoup. Derrière le corbillard, en réprimant des larmes, j’apercevais tout à coup une souris pas mal balancée à qui le noir allait bien. Illico, je me laissais couler en queue de peloton avec la nana pour l’entreprendre. La vie qui continuait, quoi! Pleine de sève, de fichtre et de foutre.

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Tu verras comme jadis vient vite!

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Quoi de plus merveilleux qu’un arbre? Il nous donne des fruits pour nous rafraîchir, de l’ombre pour faire la sieste, des lits pour faire l’amour et des cercueils pour faire le mort.

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Quelquefois on visitait le cimetière des chiens, dans l’île. Sur les petites tombes y avait des inscriptions qui nous fendaient l’âme: À Médor, mon compagnon. Ici repose Loulette Durand, morte en couches. Souvent les maîtres avaient fait sceller la photo de l’animal dans la pierre. La Loulette Durand, par exemple, c’était un petit fox blanc et noir avec un museau pointu et des oreilles de lapin.

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La vie: le seul legs qu’on fasse toujours avant de mourir.

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Brassens a posé une des plus belles questions de la littérature: «Est-il encore debout le chêne, ou le sapin de mon cercueil?» C’est l’image choc, qui remet l’homme sur les rails de la réalité d’où son orgueil le fait sortir.

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Le tralala d’après clamsage: la plume dans l’suaire!

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On est peu de chose. L’on ne fait que passer, pisser et trépasser.

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Trop de gens meurent à l’improviste. Ils sont tués au dépourvu, ce sont les cocus du dernier soupir.

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Les gens? Le temps de vous aguicher l’âme, de se faire une place en vous, de vous devenir commodes, qu’on les situe indispensables et voilà qu’il faut s’en dispenser. Ils vous meurent devant ou bien s’en vont se replanter ailleurs, dans d’autres terres ou d’autres culs.

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Il faut tellement peu de temps à notre esprit pour vivre une vie ou mourir une mort…

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La mort, c’est la dernière question des interviewers.

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Le suicide est un langage, surtout quand il est raté.

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Il faudrait pouvoir mourir de temps en temps, histoire de se refaire une santé.

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La vie, au fond, c’est un green de golf avec plein de trous sur le parcours. D’ailleurs c’est par un trou qu’elle finit: la grande gueule noire et vorace de la terre, qui bouffe tout.

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Les gens refusent le contact. Moi qui meurs depuis que je suis au monde, je continue mes tentatives du sourire tendu comme une fleur; combien l’ont accepté à ce jour?

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Il faut toujours répondre à la mort par la vie.

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Pareils à des élèves, les hommes sont entassés sous un préau et regardent tomber la pluie en attendant l’heure de rentrer sous terre.

* * *

Si les hommes comprenaient la puissance du temps qui passe, ils vivraient beaucoup plus vieux. C’est le grand guérisseur d’ici-bas.

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On se met à devenir vieux sitôt qu’on cesse de grandir.

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Il ne faut jamais penser au pire, sinon on n’oserait plus foutre un pied devant l’autre.

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Chaque jour à vivre est une victoire. Chaque jour vécu une défaite.

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On ne meurt pas riche de ce qu’on a fait, on meurt pauvre de ce que l’on n’a pas fait.

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Dormir, c’est mourir un peu.

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Le vieux saltimbanque se mit à échafauder sa fin de vie, comme un romancier son livre.

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Il faut mourir pour mesurer pleinement son degré de popularité, mais la mort est fatale aux gens célèbres.

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Elle sursaute, «frappée d’une évidence», comme l’écrivait un Immortel décédé l’année dernière.

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Vieillir n’est pas un délit; seulement une grave négligence.

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Ce qu’il y a de plus lugubre en ce monde, c’est de voir deux vieilles dames danser ensemble à la fin d’une noce.

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Il disait, Audiard, le sarcastique des comptoirs, que les individus ne laissent après eux que des odeurs. Tu parles qu’il avait raison, l’homme à la gapette et au sourire écœuré.

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Mourir analphabète, c’est mourir deux fois.

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Les écrits s’en vont, les morts restent.

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Il y a des femmes qui, avant leur mariage, sont déjà faites pour être veuves.

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Mes dernières volontés, je les ai toujours gardées pour mon vivant.

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Les gens que tu couches sur ton testament ne dorment que d’un œil.

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La vraie vieillesse s’exprime par le regard, comme les grands sentiments.

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Pour accepter sa vieillesse, il faut la regarder de loin.

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La mort nous minéralise avant de nous liquéfier.

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C’est fascinant, la mort. Un macchab te mobilise complètement. Tu ne peux pas regarder ailleurs, ni penser à autre chose. Il te veut tout entier, avec son grand mystère immobile.

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Tu deviens réellement con devant un mec en train de clamser. Plus tu cherches à l’assister, plus les mots deviennent foireux et te font des bras d’honneur.

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Les morts vieillissent mal.

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Les vioques qui ont refoulé du baigneur pendant des années de veuvage, quand tu leur fais sauter le slip, t’en as pour ton artiche.

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Si on faisait l’autopsie de tous les gens morts, la plupart du temps on trouverait dans leur cage thoracique, au lieu d’un cœur, un perroquet.

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Je ne sais pas pourquoi les noyés m’ont toujours paru un peu plus morts que les autres morts. Sans doute parce qu’ils sont allés chercher leur trépas dans un élément qui ne nous est pas naturel.

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Ce qui fait le plus peur à un gus en partance, c’est l’affolement de ceux qui l’entourent.

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Des bouffées de mémoire morte… Je nous revoyais à la pêche aux écrevisses. On se mesurait la bite et chaque fois on tombait d’accord: il avait la plus longue (de peu), moi la plus grosse (de beaucoup). Et maintenant, il crève avec sa bite entre les jambes.

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Tout le monde n’a pas la chance d’avoir un témoin lorsqu’il rend l’âme.

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Veille un mort, et tu sauras ce que l’aube signifie!

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Un dictateur a beau faire flinguer à tout-va ses compatriotes, se laisser statufier, peindre, dorer à la feuille, encenser, sucer, vénérer, grandiloquer, il crèvera et ne subsistera de sa gloire qu’une méchante exhalaison.

* * *

La mort des autres, tu l’acceptes d’assez bonne grâce; mais la perspective de la tienne te plonge dans des indignations éperdues.

* * *

Comme la mort des autres fait mal lorsqu’elle vous donne conscience de la vôtre!

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Les héros, faut pas leur marchander l’oubli, ils le méritent trop!

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Trois heures d’un ministère inabouti suffisent pour qu’on t’appelle «m’sieur le ministre» jusqu’au Père-Lachaise.

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Il n’y a rien de plus débectant que la vengeance. On en rêve, mais quand il vous arrive de l’assouvir, ensuite on se sent con et désemparé comme après un enterrement.

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Les hommes se croient protégés chaque fois que d’autres hommes meurent à leur place.

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Célébrer la mémoire d’un être cher, c’est en somme stimuler la sienne propre.

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L’intelligence, c’est la permanence de la notion de fin dans l’esprit d’un homme.

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C’est une tradition chez les vivants que de rendre les disparus éternels. Une commodité de nature.

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Tu les considères immortels, n’empêche qu’ils décanillent tous en douce. Un jour l’un, un jour l’autre, sur la pointe des pieds, sans dire au revoir, pas jeter un froid. On les funèbre, les enterre ou incinère, les oublie. Qu’au bout d’un rien de temps, on se rappelle seulement plus qu’ils ont existé.

* * *

Quand on est mort, on est tellement mort qu’on ne peut plus vous imaginer vivant.

* * *

Il fait comme le défunt: il s’éternise.

* * *

Tu vois des gens: tu les salues. Tu les revois: ils sont vieux. Tu ne les revois plus: ils sont morts!

* * *

L’homme ne se sépare jamais de son futur.

* * *

Sauf pour mourir.

* * *

Et alors, il meurt…

* * *

Le réveillon? Un petit morceau de veillée funèbre.

* * *

Tous les moments sont bons pour disparaître. Y a pas d’instants propices aux derniers instants. Embarquez!

* * *

Jusqu’alors, il n’y avait que des champs de morts. Bientôt, il y aura des champs de vivants, tout pareils. Au lieu d’être des cimetières de morts, ce seront des cimetières de vivants.

* * *

On bouchonne de partout! T’as vu ces files d’attente? Même devant les crématoires, ça engorge. Partout, je te dis: les écoles, les hôpitaux, les pissotières. Chicanes, tickets d’appel! Tous à la queue, comme Leuleu!

* * *

Ce n’est pas de l’argent qu’il faut léguer à ses enfants, mais des ondes protectrices!

* * *

Le bonheur de t’avoir est toujours corrompu par la perspective de te perdre.

* * *

J’ai rien demandé, je partirai donc sans dire merci!

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Tout compte fait, on ne laisse après soi que des regrets et des enfants.

* * *

Quand tu ne seras plus de ce monde, le monde lui non plus ne sera plus de ce monde.

* * *

Dis, tu penses aux démunis? Aux grands vieillards sous la lune, perdus dans les froidures de l’âge, et dont le panais pend, pend, pend sempiternellement, pend à ne plus en pouvoir, à ne plus jamais contempler le soleil au fond des cieux, pend comme le balancier d’une pendule arrêtée, pend, pend, pend, sans esprit de retour, sans la perspective d’une turlute professionnelle, sans l’espoir d’une réanimation momentanée, un jour, un seul, juste pour dire, juste pour voir, juste pour se souvenir! Ah! infortunés vieillards non fortunés, qu’on ne mâchouillera plus et dont aucun doigt expert ne titillera le gland ni les bourses pour un ultime adieu à l’espèce! Ah! chers vieux génaires démunis qui n’ont plus de rigide que l’impuissance, comme je pense à vous! Quelle joie j’aurais à vous payer une pute. Ce serait ma tournée! Mon aide et assistance à personne âgée en danger d’inertie! Comme je voudrais lever une armée de filles courageuses, valeureuses, pour vous gloutonner les roustons, vous pomper, vous carrer, si besoin était, le doigt dans le fion afin de rétablir des déclics salvateurs. Ah! souffler dans vos braguettes rances pour les faire gonfler! Changer en os vos peaux mortes! Vous redonner l’éclat du beau zob joufflu, rubicond, dodelineur et raide, raide, raide à en casser les noix de coco! Ne renoncez pas, vieillards sans ressources. Ne faites pas de votre slip dépenaillé un mausolée. Il ne faut pas «qu’ici repose». Oh! que non? Jamais! Ici remue, ici s’agite, ici frétille Mister Dupaf. The king! Le membre à tout jamais régnant de vos attributs. Amen.

* * *

Je vais te dire: surtout ne jamais craindre sa propre mort. En ce qui me concerne, je la considère comme une vieille copine un peu chiante mais pas mauvaise dans le fond.

La mort nous est offerte au même titre que la vie. C’est l’une des deux portes incontournables que nous avons à franchir.

Il n’existe que deux façons de la conjurer: soit en en parlant, soit en mourant.

Je préfère pour l’instant la première solution. Alors familiarisons-nous avec elle et rions de notre trépas. Il s’opérera si bien que nous n’en reviendrons pas!

San-Antonio